Deux hommes dans la plaine. Depuis des mois, Lin McAdam (James Stewart) et High-Spade Frankie Wilson (Millard Mitchell) sont à la recherche d’un assassin. Arrivés à Dodge City, Kansas, ils découvrent que la ville se prépare pour un événement important. Le jour de la fête nationale, le 4 juillet 1876, une compétition de tir est organisée avec un prix exceptionnel pour le vainqueur : une Winchester modèle 1873. La ville est en effervescence. A la sortie du saloon, le Marshall Wyatt Earp (Will Geer) traîne de force Lola (Shelley Winters), une chanteuse, à la diligence. Lin s’interpose…
Magnifique idée, à partir du déplacement d’un objet, dans le cas présent d’une Winchester qui passe de main en main, Anthony Mann dresse une topographie humaine incomparable. L’affrontement entre les deux frères, dont l’un est responsable de la mort du père, teinte le film d’un sous-texte freudien, lié à l’arme, assez détonnant. Anthony Mann signe, avec Winchester 73 est l’un des westerns les plus emblématiques du genre et l’un des plus originaux.
Comme toujours, les « héros » d’Anthony Mann sont monomaniaques, obsédés par un but ultime, seule manière de donner un sens à leur vie, mais une fois atteint, c’est l’abîme du vide, le néant. Lin (James Stewart) n’échappe pas à la règle. Il poursuit une vengeance, sa justice se place au-dessus des lois, dans une sorte morale issue du droit divin. Il traque Dutch Henry Brown (Stephen McNally) afin de le rayer de la surface de la terre. Et c’est face à cet homme honni qu’il remporte la Winchester. Il prend ainsi l’ascendant sur son pire ennemi ; satisfaction de courte durée, le fusil lui est dérobé, c’est le début d’une ronde infernale, sanglante et nihiliste. La violence entraîne la violence, c’est une malédiction qui enferme les hommes dans un cul-de-sac. La démonstration est imparable.
Anthony Mann révolutionne le western en y introduisant la fatalité propre au film noir, ce réalisme des destins tragiques. Les réminiscences du film noir sont perceptibles dans l’éclairage des scènes d’intérieur ainsi que la disposition des personnages dans le cadre. Mann accentue le contraste de l’image ce qui est à l’époque inhabituel dans le western et pousse l’ensemble vers un réalisme plus brut. Il travaille de manière étonnante le son, le duel final avec le ricochet strident des balles, désamorce le côté épique et héroïque, la séquence se transforme en un combat pathétique. Mann réduit les deux hommes à deux silhouettes dans une nature grandiose dont la sécheresse survivra à la petitesse de leur affrontement.
Anthony Mann s’affranchit de la mythologie et s’éloigne de l’esprit de l’histoire originale de Stuart N. Lake, inspirée de faits véridiques. Il s’éloigne aussi du scénario de Robert L. Richards, cosigné par Borden Chase qui revendiquera longtemps l’entière paternité. Borden Chase est un homme de droite, conservateur et défenseur des valeurs traditionnelles de l’Amérique, le scénario correspond à sa vision du Far-West. Pourtant c’est Anthony Mann qui s’attaque à l’histoire, homme de gauche, progressiste, il n’a pas une vision idyllique de la conquête de l’Ouest et encore moins de la supposé grandeur de l’homme. Il entraîne par sa mise en scène le sujet vers une dimension qui l’éloigne des sentiers battus de l’héroïsme. Le doute et les certitudes basculent jusqu’à l’absurde d’une situation finale sans espoir de retour. Le regard de Mann n’est pas celui humaniste de John Ford, ni celui épique de Raoul Walsh, les hommes sont ce qu’ils sont, ni grand, ni petit, simplement humain avec tout ce que cela entraîne, de bon et de mauvais. Les personnages de Mann ouvrent les yeux et tente de vivre autrement peut-être apaiser.
Winchester 73, premier des cinq westerns que James Stewart et Anthony Mann, brille d’un éclat particulier dans leur association, celle du chef-d’œuvre absolu.
Fernand Garcia
Winchester 73 est disponible en combo (+ DVD) chez Sidonis – Calysta dans la collection Western de légende. Le master HD en noir et blanc est superbe. Cette édition est proposée avec une profusion de compléments : une présentation du film par Bertrand Tavernier. Son intervention fourmille d’anecdotes, il revient sur la genèse de Winchester 73 proposé dans un premier temps à Fritz Lang. Après son refus, James Stewart propose Anthony Mann à la réalisation. James Stewart sera le premier acteur à mettre son salaire en participation avec Winchester 73, il a eu du nez puisque le film engrange d’énormes recettes lui rapportant largement plus que son salaire (34 minutes). Une deuxième présentation tout aussi élogieuse de Patrick Brion (12 minutes). The Lux Radio Theatre Show, pièce radiophonique du 12 novembre 1951, avec les voix de James Stewart, Stephen McNally et Julie Adams, une rareté (52 minutes). La bande-annonce originale du film (2’11) et une galerie de photos et d’affiches. Cette édition est accompagnée d’un livret : Winchester 73, fac-similé du magazine Star-Ciné (70 pages).
Pour être complet l’éditeur ajoute le remake couleur de Winchester 73 réalisé en 1967 par Herschel Daugherty pour la télévision avec Tom Tryon, John Saxon, Dan Duryea, Joan Blondell… (92 minutes) une curiosité présentée par Patrick Brion (5’57). Cette version est aussi disponible en unitaire DVD.
Winchester 73 (Winchester ’73) un film d’Anthony Mann avec James Stewart, Shelley Winters, Dan Duryea, Stephan McNally, Millard Mitchell, Charles Drake, John McIntire,Will Geer, Jay C. Flippen, Rock Hudson, Steve Brodie, John Alexander… Scénario : Robert L. Richards & Borden Chase d’après une histoire de Stuart N. Lake. Directeur de la photographie : William Daniels. Décors : Bernard Herzbrun & Nathan Juran. Costumes : Yvonne Wood. Son : Leslie I. Carey & Richard De Weese. Montage : Edward Curtiss. Musique : Joseph Gershenson. Producteur : Aaron Rosenberg. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1950. 92 minutes. Noir et blanc. Format image : 1,37 :1. Version Française de 1951 et de 2004 et Version originale STF DTS-HD. Tous Publics.