Deux hommes dans la plaine. Depuis des mois, Lin McAdam (James Stewart) et High-Spade Frankie Wilson (Millard Mitchell) sont à la recherche d’un assassin. Arrivés à Dodge City, Kansas, ils découvrent que la ville se prépare pour un événement important. Le jour de la fête nationale, le 4 juillet 1876, une compétition de tir est organisée avec un prix exceptionnel pour le vainqueur : une Winchester modèle 1873. La ville est en effervescence. A la sortie du saloon, le Marshall Wyatt Earp (Will Geer) traîne de force Lola (Shelley Winters), une chanteuse, à la diligence. Lin s’interpose…
Les films évoluent avec le temps et notre regard se modifie avec les acquis de l’âge et les discours dominant de l’époque. Ce qui frappe aujourd’hui dans Winchester 73, c’est la libre circulation des armes. Les tueries de masse aux Etats-Unis ont mis l’accent sur la facilité pour chaque Américain de pouvoir obtenir des armes, ce droit est garanti par la constitution américaine. Un regard discret sur Winchester 73 est prompte à échafauder un discours aberrant sur le film et en ferait une œuvre pro-NRA (National Rifle Association). Il n’est pourtant pas absurde de préciser que le film est né par un concours de circonstances et d’opportunité d’une association entre un fabricant d’armes et Universal.
« – En attendant, déposez les armes. – Il faut une bonne raison pour demander une ânerie pareille ».
La longue séquence à Dodge City, historiquement vraie, démontre comment une Nation s’est bâtie sur une violence régulée où même les enfants ont le culte des armes. Le célèbre Wyatt Earp interdit le port d’arme dans sa ville. Stupéfaction chez les nouveaux arrivants. Et pourtant, la ville organise une compétition entre les meilleurs tireurs et offre comme prix un fusil et pas n’importe lequel, une Winchester modèle 1873 considérée comme parfaite et surnommée « une sur mille » tant elle atteint la perfection des chaines de fabrication. Le rêve pour tout homme de l’Ouest, avoir une telle arme, c’est la possibilité d’exercer un pouvoir de domination et de conquête. Cette arme est l’instrument du malheur pour tous ceux qui en seront les propriétaires.
Les « héros » d’Anthony Mann sont monomaniaques, obsédés par un but ultime, seule manière de donner un sens à leur vie, mais une fois atteint, c’est l’abîme du vide, le néant. Lin (James Stewart) n’échappe pas à la règle. Il poursuit une vengeance, sa justice se place au-dessus des lois, dans une sorte morale issue du droit divin. Il traque Dutch Henry Brown (Stephen McNally) afin de le rayer de la surface de la terre. Et c’est face à cet homme honni qu’il remporte la Winchester. Il prend ainsi l’ascendant sur son pire ennemi ; satisfaction de courte durée, le fusil lui est dérobé, c’est le début d’une ronde infernale, sanglante et nihiliste. La violence entraîne la violence, c’est une malédiction qui enferme les hommes dans un cul-de-sac. La démonstration est imparable.
Mann révolutionne le western en y introduisant la fatalité propre au film noir, ce réalisme des destins tragiques. Les réminiscences du film noir sont perceptibles dans l’éclairage des scènes d’intérieur ainsi que la disposition des personnages dans le cadre. Mann accentue le contraste de l’image ce qui est à l’époque inhabituel dans le western et pousse l’ensemble vers un réalisme plus brut. Il travaille de manière étonnante le son, le duel final avec le ricochet strident des balles, désamorce le côté épique et héroïque, la séquence se transforme en un combat pathétique. Mann réduit les deux hommes à deux silhouettes dans une nature grandiose dont la sécheresse survivra à la petitesse de leur affrontement.
Anthony Mann s’affranchit de la mythologie et s’éloigne de l’esprit de l’histoire originale de Stuart N. Lake, inspirée de faits véridiques. Il s’éloigne aussi du scénario de Robert L. Richards, cosigné par Borden Chase qui revendiquera longtemps l’entière paternité, homme de droite, conservateur et défenseur des valeurs traditionnelles de l’Amérique, le scénario correspond à sa vision du far-west. Pourtant c’est Anthony Mann qui s’attaque à l’histoire, homme de gauche, progressiste, il n’a pas une vision idyllique de la conquête de l’Ouest et encore moins de la grandeur de l’homme. Il entraîne par sa mise en scène le sujet vers une dimension loin des sentiers battus de l’héroïsme, le doute est de mise et le monde bascule.
Winchester 73 est une date dans l’histoire du cinéma puisqu’il scelle l’association James Stewart – Anthony Mann, le premier des cinq westerns qui vont les réunir, rien que des classiques. Est-il nécessaire de préciser que Winchester 73 est un chef-d’œuvre ?
Fernand Garcia
Winchester 73 est disponible pour la première fois en Blu-ray dans une superbe édition combo (+ DVD) de Sidonis – Calysta. Avec une profusion de compléments : une présentation du film par Bertrand Tavernier. Son intervention fourmille d’anecdotes, il revient sur la genèse du film proposé dans un premier temps à Fritz Lang. Après cette défection, James Stewart propose Anthony Mann à la réalisation. James Stewart sera le premier acteur à mettre son salaire en participation avec Winchester 73, il a eu du nez puisque le film engrangera d’énormes recettes lui rapportant largement plus que son salaire (34 minutes). Une deuxième présentation tout aussi élogieuse de la part de Patrick Brion tout en revenant sur les principaux westerns de l’année 1950 (12 minutes). The Lux Radio Theatre Show, pièce radiophonique du 12 novembre 1951, avec les voix de James Stewart, Stephen McNally et Julie Adams, une rareté (52 minutes). La bande-annonce originale du film (2’11) et une galerie de photos et d’affiches. Cette édition est accompagnée d’un livret : La Winchester 1873 – Anatomie d’une légende de Tristan Laloute. Historique passionnant de la Winchester, des premiers « prototypes » jusqu’à la mise au point des fameuses « une sur mille ». On y croise des noms célèbres associés à sa conception comme Smith et Wesson. C’est tout aussi instructif sur la mise en production du film et surtout sur la campagne publicitaire et le marketing qui va accompagner la sortie de Winchester 73 (44 pages). Cette édition propose enfin le remake en couleur de Winchester 73 réalisé en 1967 par Herschel Daugherty pour la télévision avec Tom Tryon, John Saxon, Dan Duryea, Joan Blondell… (92 minutes) une curiosité présentée par Patrick Brion (5’57).
Winchester 73 (Winchester ’73) un film d’Anthony Mann avec James Stewart, Shelley Winters, Dan Duryea, Stephan McNally, Millard Mitchell, Charles Drake, John McIntire,Will Geer, Jay C. Flippen, Rock Hudson, Steve Brodie, John Alexander… Scénario : Robert L. Richards & Borden Chase d’après une histoire de Stuart N. Lake. Directeur de la photographie : William Daniels. Décors : Bernard Herzbrun & Nathan Juran. Costumes : Yvonne Wood. Son : Leslie I. Carey & Richard De Weese. Montage : Edward Curtiss. Musique : Joseph Gershenson. Producteur : Aaron Rosenberg. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1950. 92 minutes. Noir et blanc. Format image : 1,37 :1. Version Française de 1951 et de 2004 et Version originale STF DTS-HD. Tous Publics.