Budapest. Lili quitte sa mère pour rejoindre son père, Daniel, afin de vivre avec lui pendant deux mois. Son fidèle chien Hagen l’accompagne. Son père, ex-professeur d’université, survit tant bien que mal. Son appartement petit-bourgeois est aussi sinistré que la société; petit à petit, il s’est vidé de ses meubles au rythme des crises financières. C’est dans ce marasme économique qu’une nouvelle loi contraint les propriétaires de chien de race non pure à payer une taxe. Financièrement exsangue, Daniel ne voit dans le chien de sa fille qu’une charge financière supplémentaire qu’il ne peut assumer. Il abandonne Hagen dans la banlieue de Budapest sous les cris de protestation de Lili…
White God dresse un constat terrible de la situation politico-économique d’une Europe moralement au plus bas, Budapest n’en étant que la métaphore. Kornél Mundruczó suit en parallèle l’itinéraire de ses deux personnages principaux, Lili et Hagen. Ils vont très vite perdre toutes leurs illusions sur la nature humaine. Le temps de l’innocence s’évapore au fur et à mesure qu’ils ouvrent les yeux sur le monde. Mais c’est une prise de conscience salutaire à laquelle ils vont être confrontés. White God raconte l’itinéraire de deux positions morales dans un monde, où les hommes ont baissés les bras, où l’individualisme à pris le pas sur le collectif et la solidarité, où l’argent est la seule valeur, et le refuge des plus démunis est le nationalisme.
Lili est une adolescente d’aujourd’hui, un pied encore dans l’enfance un autre tout juste dans la réalité des adultes. Elle découvre son père perdu dans la spirale sans fin de sa lutte au quotidien pour gagner de quoi survivre. Aveuglé par la haine qu’il éprouve envers sa femme (et son nouvel ami), cet ex-professeur d’Université n’est plus capable du moindre sentiment. Les gens ne sont plus à ses yeux qu’une simple valeur marchande, comme les carcasses qu’il autorise à la vente, ou ne représente qu’un coût (sa fille, le chien).
Lili se dépense sans compter dans la recherche d’Hagen. Sur son chemin, elle ne rencontre que résignation entre autres chez ses camarades de classe, où domine la fascination pour l’argent quelle qu’en soit l’origine : licite ou illicite. La corruption gangrène la société. En parallèle de ses recherches, Lili répète sous les ordres d’un chef d’orchestre la Rhapsodie Hongroise n° 2 de Franz Liszt. L’interprétation des jeunes est à l’image du chef d’orchestre: désabusé, sans vie, sans avenir.
De son côté, Hagen découvre le vrai visage de la grande ville: les chiens errants, les terrains vagues, la précarité, la faim, la soif… C’est parmi ses congénères qu’Hagen retrouve un semblant de solidarité, d’entraide et l’appétit de vivre. Sur son chemin, chaque homme qu’il rencontre n’est que trahison et violence. Capturé, Hagen est malmené, conditionné et entrainé au combat pour satisfaire les goûts malsains d’hommes galvanisés par l’odeur du sang et de l’argent. C’est dans une extraordinaire séquence de combat de chiens dans une arène clandestine qu’Hagen atteint la pleine conscience de sa condition. L’homme n’est plus ce Dieu blanc (White God) idéalisé par Hagen. Il comprend, que cette société est en phase d’autodestruction et ne peut aboutir qu’à l’extermination des chiens, des abandonnés de la société de consommation, des sans-voix. Hagen prend la tête de la rébellion.
Il y a chez Hagen tout autant du Croc-Blanc de Jack London que du Spartacus de Howard Fast (le livre) et de Stanley Kubrick (le film). La séquence du combat de chiens renvoie directement dans son découpage même au film de Kubrick. White God est une formidable réinterprétation des contes. Kornél Mundruczó poursuit ainsi son travail inauguré par la plus originale des relectures de Frankenstein vu sur un écran de cinéma depuis bien longtemps : Tender Son, The Frankenstein Project en 2010, scandaleusement inédit en France malgré une sélection en compétition à Cannes.
Signalons la remarquable utilisation par Kornél Mundruczó de la Rhapsodie Hongroise n° 2, qui d’une interprétation sans couleurs retrouve toute sa palette et sa force dans l’accompagnement des aventures Lili et Hagen, rappelant ainsi que l’œuvre de Liszt tire ses origines du folklore gitanes, c’est-à-dire les exclus de la société. Parsemé de surgissements visuels sidérants, White God se termine dans le silence d’un face-à-face, où la jeunesse et les forces de la nature, immobile et complice, s’accordent le temps de trouver la meilleure manière d’agir. Demain les chiens… heureusement…
Fernand Garcia
Le film est dédié au grand cinéaste hongrois Miklós Jancsó.
White Dog – Grand Prix, Un Certain Regard, Festival de Cannes 2014. Sélection L’Etrange Festival 2014.
White God un film de Kornél Mundruczó avec Zsófia Psotta, Sandor Zsótér, Lili Monori, Laszló Galffi, Lli Horvath et les chiens Luke et Body. Scénario : Kata Wéber, Kornél Mundruczó, Viktória Petrányi. Directeur de la photo : Marcell Rév. Décors : Márton Agh. Musique : Asher Goldschmidt. Montage : Dávid Jancsó. Producteur : Viktória Petrányi. Production : Pronton Cinema. Coproduction : Pola Pandora, Chimmey, Filmpartners, ZDF/ARTE, Film I Vast avec le soutien de Hungarian National Film Fund, Eurimages, Medienboard Berlin-Brandenburg, Swedish Film Institute. Distribution (France) : Pyramide distribution (3 décembre 2014). Hongrie-Allemagne-Suède. 2014. 119 mn. Couleurs. Format image : 1,85 :1.
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