Un groupe d’ouvriers allemands se retrouve dans un coin perdu de la Bulgarie pour la construction d’un barrage hydroélectrique. Travailleurs « détachés », ils restent confinés dans leurs bungalows à l’écart des villageois à l’exception d’un homme, Meinhard (Meinhard Neumann)…
Western se rattache parfaitement au genre, film de territoire physique et mental. En Bulgarie, ouvriers allemands se comportent avec l’étroitesse d’esprit de riches touristes. Mépris pour la population locale et sentiment de supériorité les conduisent le plus naturellement du monde à hisser le drapeau allemand. C’est un fort en territoire indien. La tension s’inscrit dans l’image, un sentiment larvé de peur, tout semble conduire vers une inéluctable explosion. Monde viril, de visage buriné par le travail au soleil. Les contacts avec les villageois se sont inscrits sous le signe de la raillerie. A la rivière, le chef, Vincent (Reinhardt Wetrek), s’en prend à des femmes, et à une en particulier qui se baigne. Il se croit tout permis. Vincent s’imagine en dominant, il ne cesse de se prévaloir de sa supposée supériorité de classe, d’origine. Il se drape dans le drapeau allemand comme dans un fétiche. Il n’est pas grand-chose, sa vie est un immense espace vide, sans amour. Vincent et Meinhard sont deux faces d’une Allemagne mal-aimée. L’un engoncé dans ses certitudes, l’autre – dans l’incertitude.
Évidemment il en résulte une atmosphère lourde à la Peckinpah, nous sommes en permanence sur la corde raide au bord d’une explosion de violence. Au milieu de ses hommes pleins de suffisance, Meinhard se retrouve marginalisé. Maladroitement, dans un premier temps, il s’accapare d’un cheval blanc, propriété d’Adrien (Syuleyman Alilov Letifov), l’une des personnes les plus respectées du village. Là, où nous attendions du ressentiment, nous trouvons la compassion, la main tendue. Meinhard découvre des êtres humains avec leurs habitudes, passions et mesquineries. Petit à petit, Meinhard rencontre les autochtones, tente d’apprendre leur langue. Saut dans l’inconnu non sans difficulté, la peur l’étreint. Il s’invente auprès d’Adrien un passé de légionnaire, il se calfeutre dans l’espace mythologique de la violence où les hommes gagne leurs galons. Un passé en Afghanistan, en Irak, pour masquer ses faiblesses. Quelques phrases malheureuses lui échappent, dont un sinistre « nous sommes de retour », qui rappelle de la présence allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Meinhard plus il s’avance vers l’autre, plus il se reconstruit intérieurement. L’Allemagne s’éloigne, marginal dans le groupe, il se fond peut-être pour la première dans une communauté. Il se découvre, s’accepte comme il est, avec ses contradictions, et retrouve son humanité perdue.
Un itinéraire westernien pour cet homme de nulle part, comme pour ceux croisés chez Delmer Daves ou ses cow-boys d’Anthony Mann pris dans un engrenage qui les fait avancer contraints et forcés. Valeska Grisebach reprend à son compte cette mythologie, elle situe quasiment toute l’action en extérieur, balise toutes les frontières visibles et invisibles. Magnifique fin, où Meinhard, au cœur d’une nuit festive, danse avec les villageois. Il est lui-même, il a dompté sa peur. Il ne repartira peut-être pas, à l’inverse des héros solitaires des westerns…
Troisième film d’une réalisatrice trop rare, trois films en 16 ans, Valeska Grisebach réussit une œuvre magnifique dont le sens se révèle au gré des rencontres et des échanges de Meinhard. Interprétation impeccable, uniquement des non professionnels, tout sonne juste, vrai, humain… à l’image du film.
Fernand Garcia
Western un film de Valeska Grisebach avec Meinhard Neumann, Reinhardt Wetrek, Syuleyman Alilov Letifov, Veneta Frangova, Vyara Borisova… scénario : Valeska Grisebach. Directeur de la photographie : Bernhard Keller. Direction artistique : Beatrice Schultz. Costume : Véronika Albert. Son : Fabian Schmidt. Montage : Bettina Böhler. Producteurs : Jonas Dornbach, Janine Jackowski, Maren Ade, Valeska Grisebach, Michel Merkt. Production : Komplizen Film. Coproduction : Chouchkov Brothers – Coop99 – KNM – ZDF-DAS Kleine Fernsehspiel – ARTE. Distribution (France) : Shellac (Sortie le 22 novembre 2017). Allemagne – Bulgarie. 2017. 119 minutes. Ratio image : 1 :1,85 :1. Son : 5.1. Sélection : Un Certain Regard, Festival de Cannes 2017. Tous Publics.