We Can’t Go Home Again – Nicholas Ray

Présenté au Festival de Cannes, hors compétition, en 1973 dans une version différente, We Can’t Go Home Again est un work in progress. Sans relâche, Nicholas Ray va travailler son film jusqu’à sa mort en 1979. Plus de 40 ans après sa première présentation, We Can’t Go home Again nous arrive enfin sur les écrans de cinéma ainsi qu’en DVD.

Que vient foutre ici un gars d’Hollywood ?

WE CAN'T GO HOME AGAIN 02 Copyright (c) 2011 by Charlie Levi

Le gars en question à 60 berges, il s’appelle Nicholas Ray. Son dernier film, Les 55 jours de Pékin, date de 1963, un infarctus l’empêche de le terminer. Alcoolique, toxicomane et totalement désabusé, il est à l’image de ses films les plus personnels. Oublié d’Hollywood, Ray, quant à lui, n’a pas oublié l’essence du cinéma.

En 1971, Nicholas Ray est promu professeur de cinéma à l’Harpur College de l’Université de Binghanton dans l’Etat de New York. We Can’t Go Home Again est né des méthodes d’enseignement controversé de Nicholas Ray. Film multiforme, il englobe une myriade de visions personnelles, celles des étudiants, combinées à la maîtrise cinématographique de Nicholas Ray.

Le film débute par une courte présentation du contexte historique, la fin des années 60, les images issues d’un projet, que Nicholas Ray n’a pu mener à bien. Nicholas Ray entre dans la salle de montage de l’université, les étudiants sont surpris. Les commentaires sarcastiques et ironiques fusent, Elle était comment Marilyn ? T’as fait le film sur les inuits ? Il en faut plus pour déstabiliser le vieux cinéaste. Il pige vite, il connait les jeunes, il n’est pas pour rien l’auteur de La Fureur de vivre. Les étudiants ne s’attendaient pas à voir entrer comme professeur une telle légende du cinéma. Ils sont sur la défensive, pour eux, il représente l’establishment. Hollywood est à leurs yeux complètement out, une simple machine de propagande, la guerre du Vietnam fait rage, une contre-culture extrêmement critique sur le passé des Etats-Unis se développe sur les campus. Les étudiants se radicalisent et font face à une violente répression. Richard Nixon est au pouvoir. Très vite, ils comprennent que Ray n’est pas un homme du système.

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De son côté, Nicholas Ray comprend parfaitement la situation politique et les aspirations de la jeunesse. Il leur propose de prendre les caméras de l’Université et de sortir dans la rue filmer le réel. Ils acceptent. Petit à petit, Ray les entraîne à filmer leur quotidien. La vie estudiantine se transforme en vie communautaire. Le film va prendre plusieurs formes. Si la scène d’arrivée de Ray est évidement « une reconstitution », We Can’t Go Home Again s’articule en un complexe balancement entre bien préparé et pris sur le vif, séquences écrites et improvisées. Les formats d’images sont multiples, 35 mm, 16 mm, Super 8, ¾ Umatic, 1 pouce, etc. La majeure partie du film se déroule en split-screen, deux images de tailles différentes et décalées l’une par rapport à l’autre.

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Les étudiants filment les manifs, les jeunes, la répression policière et rapportent ce matériel au vieux cinéaste. Petit à petit, Ray les entraîne à parler d’eux-mêmes, ils se transforment en auteur – acteur de leur propre vie. Les étudiants filment tout. De personnalités fortes émergent. Les jeunes femmes s’affranchissent des carcans de la société dans une sexualité libre. Des affinités électives voient le jour, des liens amoureux aussi. Les couples se font et se défont. Des tensions éclatent au sein du groupe. Nicholas Ray modèle son film en y intégrant toutes les tensions et les doutes de ses étudiants. En cinéaste chevronné, il manipule cette petite communauté pour une œuvre faussement collective et c’est le portrait d’une jeunesse qui s’esquisse, se dessine et se révèle. De cette extraordinaire forme mouvante, le spectateur n’est nullement exclus, il se retrouve lui-même en questionnement. Et c’est de manière insidieuse que le film s’étend comme les tentacules en nous. Une pensée se fait alors un jour, pourquoi le cinéma d’aujourd’hui est-il si vieillot dans sa forme ? Pourquoi le champ de l’imaginaire est-il si microscopique dans le cinéma ? Pourquoi nous condamne-t-on à ne voir que des produits ?

Fernand Garcia

 AFF WE CAN'T GO HOME AGAIN

We Can’t Go Home Again, un film de Nicholas Ray, avec Nicholas Ray, Tom Farrell, Leslie Levinson, Richard Bock, Jill Gannon. Scénario : Nicholas Ray et Susan Ray. Directeurs de la photo : Doug Cohn, Stanley Liu, Danny Fisher, Tim Ray. Musique : Norman Zamcheck & Suzy Williams et Tim Ray. Montage : Carol Lenoir, Ritchie Bocj, Charles Bornstein, Danny Fisher, Max Fisher, Frank Ceverich, Tony Margo. Producteur : Nicholas Ray. Restauré par la Nicholas Ray Foundation, en collaboration avec le EYE Film Institute d’Amsterdam et l’Academy Film Archive, et avec le soutien de RAI, Gucci, la Film Foundation, la Gulbenkian Foundation, la Cinémathèque Française et le Muzeo Internazionale del Cinema. L’image a été restaurée par Cineric Inc. et le son par Audio Mechanics. Distribution (France) salle et DVD : Carlotta. USA. 1973. Couleurs. 1,33 :1. 97 mn. Sélection Officielle, Hors Compétition – Festival de Cannes.