Très mal accueilli, sifflé et hué lors de la projection de 8h30 par une grosse partie du public/critiques, le dernier film de Takashi Miike, est plus intéressant qu’il n’y parait au premier abord. Une petite fille de 7 ans est retrouvée morte et violée dans une conduite d’égout. Son grand-père offre un milliard de yens à celui qui tuera l’agresseur de sa petite-fille. Identifié par son ADN, le jeune psychopathe est un récidiviste sorti de prison. Trahi par un ex-tolard, il se constitue prisonnier dans un commissariat de province. L’affaire fait les gros titres de la presse. Et la perceptive de la récompense attise bien des convoitises. Deux flics, un homme et une femme, spécialisée dans la protection des personnalités, sont chargés de ramener le tueur à Tokyo. Le déplacement s’avère bien plus difficile que prévu, des membres de la police espère eux aussi décrocher la récompense.
A nous occidentaux, le scénario rappelle des films des années soixante-dix et en particulier le formidable film de Clint Eastwood, L’épreuve de force, et quant au postulat de départ il rappelle vaguement celui de La rançon de Ron Howard, écrit par Richard Price. L’intérêt du film n’est pas là. Miike développe dans Shield of Straw toute une série de variations sur la mort et plus directement sur la peine de mort, sujet particulièrement tabou dans la société japonaise. Ce qui est le plus étonnant, c’est que ce thème est le principal moteur de ce film que l’on peut qualifier d’hyper-commercial. Ainsi, tous les personnages sont issus de catégories sociales différentes et se trouvent confortés dans leur volonté de tuer le psychopathe par l’acceptation de la société japonaise de la peine de mort. Mais pour chacun, il existe une ligne morale, et le franchissement de cette ligne est l’enjeu principal du film. D’un côté, un monde d’ouvriers, de petits patrons, de prolétaires, de l’autre un monde d’ordre, la police, l’état, entre les deux la presse aussi bien écrite que télévisuelle sans oublier Internet comme amplificateur immédiat de l’information. Miike dépeint une société où l’argent, quel que soit le milieu social, en est le premier moteur, le garant d’une vie meilleure, de la réussite et de la fin de tous les problèmes individuels. L’argent n’est ni plus ni moins que le synonyme du bonheur auquel tout un chacun aspire. L’élimination de l’autre en est le moyen.
Les différents protagonistes, que le spectateur rencontre tout au long du film, exposent leurs arguments et pseudo-justifications pour abattre le dégénéré, puisque de toute façon la société autorise et applique la peine de mort. Ainsi au sein du film, Miike met en place un discours théorique en parallèle d’un mouvement d’action pure. Ces deux parallèles finissent par se joindre dans un final où Miike brouille définitivement les cartes de l’ordre morale et d’une morale personnelle, lors de la rencontre du vieillard milliardaire et de l’unique survivant de ce périple, tandis que le psychopathe exprime ses regrets de ne pas avoir tué plus de personnes. Mais ce jeu sur deux tableaux, la théorisation et l’action, entraîne la mise en scène du discours vers une forme de schématisation des séquences, et le fonctionnement « rationnel » du scénario s’en trouve affecté. Miike n’a pas pu trouver un juste milieu et fondre l’ensemble dans l’action. Certaines scènes, – la rencontre avec le père d’une des victimes avec le groupe de policiers, le tueur, la chauffeuse de taxi de la fin, entre autres -, donnent l’impression de ne pas s’imbriquer naturellement dans le film, et que le scénario ne fonctionne que sur un ensemble de heureux hasards. Takashi Miike cinéaste iconoclaste et passionnant, auteur d’œuvre qui reste encore à découvrir, a depuis Shield of Straw terminé deux films.
Fernand Garcia
Wara No Tate – Shield of Straw, un film de Takashi Miike avec Takao Osawa, Nanako Matsushima, Tatsuya Fujiwara. Scénario : Tamio Hayashi d’après le roman de Kazuhiro Kiuchi. Photo : Kita Nobuyasu. Musique : Koji Endo. Production : Nippon Television Network Corporation – Warner Bros. Pictures Japon. Format image : 2,35 :1. Couleur. 2013. Japon. Durée : 125 mn. Sélection Officielle – Cannes 2013.