Antonio est écrivain. Il est tétraplégique. Il s’est émancipé de sa mère pour vivre sa vie. Il habite dans un appartement à Barcelone. Sa liberté passe aussi par la sexualité. Il fait venir à la maison une assistance sexuelle. Autour de lui, c’est une condamnation plus au moins silencieuse. Mais Antonio va plus loin en mettant en place un lieu d’assistance sexuelle pour handicapés…
Vivir y outras ficciones est une petite merveille, un film qui brouille totalement la frontière entre le documentaire et la fiction, la vie s’y immisce entre chaque plan et s’installe au cœur de chaque scène. Jo Sol s’installe dans la maison d’Antonio. Il filme son quotidien. L’auxiliaire de vie pour sa toilette du matin. Le contact avec son corps est froid, clinique, neutre. Comme si ce corps accidenté n’existait pas. Antonio revendique le droit à l’existence de son corps, de ses besoins sexuels, de contacts physiques. La situation est simple et la question qu’Antonio pose reste gênante : un tétraplégique a-t-il droit à une sexualité? La réponse par l’affirmative semble aller de soi et pourtant rien de moins simple.
Contre l’avis de son entourage, Antonio rencontre Sara, une travailleuse du sexe, accompagnatrice sexuelle. Ils se rencontrent et s’apprécient. Pourtant cette admirable jeune femme est aussitôt traitée de putain. Antonio brise un tabou en revendiquant un droit naturel : avoir une sexualité. Jo Sol filme l’intime, le coït, sans que jamais cela puisse s’amalgamer avec du voyeurisme. C’est un acte naturel, simple et beau. Antonio ne s’arrête pas à sa personne, il permet à d’autres handicapés d’utiliser sa chambre pour des rencontres et se retrouve accusé par les autres locataires de proxénétisme !
Des réticences fusent. Dans un magnifique plan, l’auxiliaire de vie est seule dans la cuisine, elle comprend ce qui se passe dans la chambre et s’en va dans un silence lourd de sens. Elle n’est pas la seule, ainsi son ami Pepe est profondément choqué par son activisme. Pepe est comme Antonio marginalisé par la société et traîne depuis des années une dépression. Après un séjour en hôpital psychiatrique suite à de la petite délinquance pour survivre, Pepe a bon espoir de s’intégrer. Antonio est dans une autre démarche : il s’attaque à l’hypocrisie de la société. Les liens entre les deux hommes sont forts, ils discutent et au fur et à mesure de leur rencontre se dévoilent leurs réalités. Et puis à leurs paroles se substituent les flamencos sublimes de Niño de Elche, chants de revendication, qui nous touchent au cœur. Si Antonio et Pepe incarnent leurs propres rôles, il faut dire un mot des deux actrices, Ann Perelló (l’assistante sexuelle) et Arántzazu Ruiz (l’auxiliaire), incroyables de naturel, plus vraies que nature, impressionnantes de justesse. Vivir y otras ficciones est une œuvre singulière, musicale et lumineuse.
Fernand Garcia
Vivir y otras ficciones un film de Jo Sol avec Antonio Centeno, Pepe Rovira, Arántzazu Ruiz, Ann Perelló, Niño de Elche, Makoki… Scénario : Jo Sol. Caméra : Jordi Solé & Afra Rigamonti. Son : Pol Marquès. Montage : Afra Rigamonti. Montage son : Cristian Marin Perez. Musique : Nino de Elche. Production : Shaktimetta Produccions. Distribution (France) : Films des deux rives (Sortie le 7 février 2018 ) Espagne. 2016. 81 minutes. Couleur. Son : 5.1. Festival de San Sebastian, 2016 – Prix du jury jeune, Festival du cinéma espagnol de Nantes, 2017. Tous Publics.