Visite ou mémoires et confessions est un film de Manoel de Oliveira sur Manoel de Oliveira à propos d’une maison, la sienne. Et écrivons-le sans plus attendre ce film est une merveille.
Une petite porte en bois s’ouvre sur un jardin aux arbres majestueux. Ils masquent la maison de Manoel de Oliveira. Ces arbres sont là depuis toujours, depuis la construction de la maison en 1942. Maison d’architecte dans un style labyrinthique des années 30. Ces arbres, on les voit de la baie vitrée du salon. Les arbres nous suivent dans notre vie, du bois du berceau à celui du cercueil.
Deux voix, un homme, une femme, pénètrent dans la maison. Ils visitent et nous les suivons. Leur échange est entrecoupé par Manoel de Oliveira. Assis à son bureau, De Oliveira se lève par politesse et nous accueille. Il cherche ses mots… sa voix est empreinte d’une grande émotion. Il n’est plus le propriétaire des lieux. Acculé par les dettes, Manoel de Oliveira a dû vendre à un particulier avant d’être saisi et que sa maison ne finisse dans une vente aux enchères. Il a 73 ans, nous sommes en 1981, chez lui, dans les environs de Porto. A ce moment de sa vie, c’est un adieu à cette maison, mais peut-être aussi au cinéma.
Visite ou mémoires et confessions est une œuvre testamentaire conçue comme telle et présentée, selon sa volonté, après sa disparition (qui interviendra le 2 avril 2015). Au moment du tournage, de Oliveira, ne sait pas, ce qu’aujourd’hui nous savons, que sa carrière est devant lui, qu’il va être l’auteur d’une des œuvres les plus novateurs et modernes de la fin du XXe siècle et du début XXIe. C’est un voyage dans le temps que nous, spectateur, effectuons avec lui. Mais ce temps n’est pas vécu de la même façon. Le passé, le présent et le futur se combinent le temps de la projection. Étrange œuvre posthume qui devient, par la force des choses, le point final d’une aventure cinématographique hors normes. Visite ou mémoires et confessions clos la première partie de sa carrière et ouvre sur les suivantes. Manoel de Oliveira s’y livre intimement, un état des lieux. Par le biais de la maison, il évoque son père, sa mère, ses frères, les joies et les peines durant les quarante années passées dans la maison. Son amour absolu du cinéma et son admiration pour les femmes. Le film est dédié à la sienne, son compagnon de route, Maria Isabel, et lève le voile sur son incarcération par le pouvoir fasciste.
De Oliveira s’extrait de la maison à plusieurs reprises. Il reconstitue un épouvantable moment de sa vie. En 1963, après une projection débat autour d’Acte du printemps, la PIDE (la police politique) l’arrête et le transfère à Lisbonne. Un autre compagnon d’infortune, le poète Urbano Tavares Rodrigues, est incarcéré en même temps que lui. Manoel de Oliveira est interrogé et humilié pendant plusieurs jours. De son tortionnaire, il dira simplement que « L’homme peut descendre bien bas ». C’est aussi la maison de la famille de sa femme, le petit guéridon sur lequel il a écrit Angelica (projet non réalisé mais qui verra le jour 30 ans plus tard), l’usine de son père qu’il a repris par fidélité et devoir, les studios de la Tobis… La fiction cinématographique est ce qu’il y a de plus près du réel… Et puis, la caméra revient, en long travelling avant dans la maison. De Oliveira tape sur sa machine à écrire Non ou la veine gloire de commander, chef-d’œuvre qu’il ne portera à l’écran qu’en 1990. Il évoque sa passion pour l’histoire. Comment le Portugal, un si petit pays, a-t-il pu avoir d’aussi grandes ambitions ? L’histoire matrice de la saudade qui est aussi une projection vers l’avenir. Les voix reprennent… la nuit tombe sur la maison et les visiteurs quittent les lieux, des silhouettes restent enveloppées dans la douceur de la nuit…
Quelques mots de Manoel de Oliveira, les derniers : « Je me souviens de moi dans le temps et l’espace et je m’éclipse », quelques photos fixes et puis soudainement, un sentiment vertigineux nous submerge… la saudade.
Fernand Garcia
A lire : Manoel de Oliveira
Visite ou mémoires et confessions (Visita ou Memórias e Confissões), un film de Manoel de Oliveira avec Manoel de Oliveira, Maria Isabel de Oliveira avec la participation de Manuel Casimiro de Oliveira, José Manuel de Oliveira, Adelaide Maria Trêpa et Isabel Maria de Oliveira. Voix Off : Teresa Madruga et Diogo Doria. Dialogues : Augustina Bessa-Luis. Image : Elso Rocque. Son : Joaquim Pinto et Vasco Pimentel. Montage : Ana Luisa Guimaraes. Mixage : Jean-Paul Loublier. Scripte : Julia Buisel. Production : Manoel de Oliveira avec la Coopérative des Cinéastes Associés, Manuel Guanilho Avec le soutien du Ministre de la Culture M. Lucas Pires et de l’Institut Portugais du Cinéma. Distribution (France) : Epicentre Films (Sortie le 6 avril 2016). 1981-2015. 70mn. Couleurs. Sélection : Cannes Classics, Festival de Cannes 2015 – Festival Cinéma d’Alès 2016 – Itinérances – Festival Toute la Mémoire du Monde 2016.