L’écran TV s’allume une annonce pour Civic TV « Celle que vous emportez au lit », puis laisse rapidement place à une jeune femme Bridley James (Julie Khaner). Elle réveille son patron, Max Renn (James Wood), directeur de Civic TV. « Non, je ne suis pas un rêve… » et lui annonce son programme de la matinée. Max a rendez-vous à 6h30 avec Shinji Kuraki, producteur Japonais de Hiroshima Video, à son hôtel. Kuraki lui propose une série érotique : Samurai Dreams (Rêves de samouraï)…
Dès sa sortie, une accroche sur l’affiche intriguée : « Videodrome est l’Orange mécanique des années 80 » attribuée à Andy Warhol. Formule mystérieuse, finalement d’une grande justesse, Kubrick et Cronenberg anticipé notre futur, violent, déréglé ou l’intelligence se laisse absorber par la noirceur des ténèbres. Pour faire simple, la peur et le désir pour l’un, la fascination et le désir pour l’autre. L’imaginaire comme voyage vers une interzone au bord de l’abîme. Videodrome acte une phase de transformation des êtres humains, une nouvelle chair pour un autre monde.
Pourtant, le chemin des écrans n’a pas été simple pour Videodrome. Il s’était fait attendre suscitant, une traînée de rumeurs sur l’état du film de David Cronenberg, du refus d’Universal de la première version et de ses remontages. Le film tourné en 1981 et monté en 1982 avant Dead Zone est sorti après l’adaptation du Stephen King. La vision de David Cronenberg sur le développement des moyens de communication était si en avance, qu’elle en devenait quasi incompréhensible pour un spectateur de l’époque. On a du mal à imaginer l’effet de sidération qu’il produisit tant les thématiques abordait sont aujourd’hui partie intégrante de notre vie quotidienne.
L’histoire de Max Renn, avec son balayage vidéo entre réalité et phantasme, sadomasochisme et violence, donne au film un climat étrange et particulier, c’est depuis révélé comme annonciateur de notre société numérique. Videodrome avait trente ans d’avance, peut-être est-il toujours. Andy Warhol avait parfaitement raison, il s’agissait bien d’un monde à venir, parallèle, que nous percevons à travers les illuminations de Max Renn.
Dans les sous-sols techniques de Civic TV, Max Renn découvre des images « reçues » par satellite, une retransmission live de séances de torture. Des femmes (et des hommes) nues sont traînées, fouettées, torturées dans un étrange local (peut-être un studio). D’abord localisé en Malaisie, le signal semble venir de Pittsburgh aux Etats-Unis. L’intérêt de Max Renn pour ses vidéos est d’abord commercial. Il cherche à se démarquer de la concurrence par des programmes extrêmes et subversifs, toujours plus de sexe et de violence pour captiver l’attention des téléspectateurs. Il donne dans le porno soft, mais redoute la lassitude de son auditoire. Ainsi, la série japonaise, Rêves de samouraï, marqué culturellement est bien trop stylisée pour son public à la recherche de sensations nouvelles et interdite et plus « brut ». Max Renn est pris de vertige par les brides de scène qui s’affiche sur ses écrans, cette sexualité violente et déviante l’obsède rapidement jusqu’à l’obsession. Le signal Videodrome petit à petit s’infiltre en lui.
Nicki Brand (Deborah Harry), animatrice radio, recueil le témoignage d’auditeurs confrontés à des frustrations. Elle condamne du bout des lèvres Max, mais en son for intérieur, elle est fascinée par toute nouvelle forme d’expériences sexuelles. Elle s’abandonne au plaisir de la douleur. Le feu d’une cigarette sur son sein, la volupté SM, le désir de poussée toujours un peu plus loin les limites. Le passage à l’acte passe autant par la parole que par la stimulation des images de Videodrome. Les deux éléments se combinent, l’un poussant l’autre vers la fascination.
La parole comme vecteur d’image mentale est l’un des piliers du cinéma de Cronenberg, les exemples abondent, les télépathes de Scanners, les frères jumeaux de Faux-semblants fasciné par les possibilités du double vagin de leur patiente, etc. jusqu’aux spectateurs de Crash, qui imagineront avoir vu les relations pornographiques narrées dans le film. Le signal Videodrome ouvre l’esprit et le rend disponible. Nicki plonge dans Videodrome. Max Renn ne peut que la suivre en s’enfonçant dans le récepteur, vivre directement une expérience, au-delà du corps, une nouvelle vie, dans un monde numérique.
Cronenberg anticipe sur le virtuel, les avatars, l’image comme une nouvelle drogue, un stimulant organique. Idée formidable que des laissés-pour-compte qui se retrouvent dans un refuge face à des écrans. L’inclusion dans la société passe par l’accès aux écrans. Dans cette optique, le professeur Brian O’Blivion (Jack Creley) est l’une des plus brillantes créations de David Cronenberg. Sorte de Marshall McLuhan entièrement numérisé, O’Blivion (un nom uniquement pour les réseaux) n’existe que dans l’espace numérique, mais éternellement. Sa vision d’un « village globale » sans limite dans l’espace et le temps, est d’une incroyable modernité. Il est même en avance sur l’Internet actuel.
L’image agit comme une double pénétration, par l’esprit et par le corps avec la possibilité d’une vie par-delà l’existence physique. Videodrome début par le réveil via l’image vidéo de sa secrétaire de Max Renn. La Japonaise de la série, rêve du samouraï, et parachève son phantasme avec un godemiché. Max s’introduit une arme, qu’il utilise par la suite au nom d’une nouvelle chair. Fusion et transformation, religion de l’image dont les dangers sont ouvertement la manipulation. Les images de Videodrome, sont-elles vraies ? Il suffit d’y croire.
Videodrome est politique. Il s’agit d’un nouvel outil de propagande. Barry Convex (Les Carlson) est un businessman avec un projet politique incluant les médias. Le Soft Power doit permettre le retour de la grandeur des Etats-Unis, et c’est un technicien vidéo qui l’exprime clairement : « L’Amérique se ramollit, et le reste du monde s’endurcit. De plus en plus. Et nous allons devoir être purs, directs, et forts… si nous voulons y survivre. » L’idéologie américaine dans toute sa splendeur. Barry Convex agir sur la réalité en utilisant toutes les possibilités des nouveaux médias, il s’oppose à O’Blivion, qui lui, agit, de l’autre côté de la vie.
Icône de la contre-culture, Debbie Harry, la sexy voix de Blondie, trouve dans Videodrome, un rôle magnifique. Troublante à souhait, elle dégage une force érotique incroyable. Deborah Harry a 38 ans quand David Cronenberg la dirige. Elle est une star de la pop music. Debbie Harry a déjà quelques films à son actif et en fera après, mais aucun rôle n’aura l’impact de celui de Videodrome. Retenons, ses personnages secondaires dans Heavy (1995) et Copland (1997), deux films de James Mangold. Deborah Harry/Nicki Brand s’imprime définitivement dans notre mémoire comme une image-phantasme de fusion d’une actrice avec son personnage. Videodrome totalement.
James Wood, formidable acteur découvert dans Les visiteurs (The Visitors, 1972) d’Elia Kazan, son premier long-métrage. Après cette performance, il enchaîne les petits rôles marquants : Nos plus belles années (The Way We Were, 1973) aux côtés de Robert Redford et de Barbra Streisand de Sidney Pollack, Le flambeur (The Gambler, 1974) de Karel Reisz avec James Caan, La fugue (Night Moves, 1975) d’Arthur Penn avec Gene Hackman, etc. Robert Aldrich, le remarque et lui donne un rôle important dans l’épatant Bande de flics ! (The Choirboys, 1977). La série TV événement Holocauste (Holocaust, 1978) attire l’attention du grand public sur l’acteur. Le thriller Tueurs de flics (The Onion Field, 1979) d’Harold Becker, le consacre définitivement. Il se lie avec James B. Harris, ex-associé de Stanley Kubrick, qui le dirige dans les méconnus, mais formidable : Fast-Walking (1982) et Cop (1988). Sergio Leone, lui offre le rôle de Max, faux ami et traitre, dans Il était une fois en Amérique (Once Upon a Time in America, 1984), ultime chef-d’œuvre du film noir.
Wood est le mac de Ginger (Sharon Stone) dont elle ne peut se défaire dans le superbe Casino (1995)de Martin Scorsese. Chasseur de vampires dans Vampires (1998) de John Carpenter, drogué et voleur dans Another Day in Paradise (1998) polar noir de Larry Clark. James Wood est nommé à l’Oscar du meilleur acteur pour Salvador (1987) d’Oliver Stone, qui le dirige à nouveau dans Nixon (1995) et L’enfer du dimanche (Any Given Sunday, 1999). Il incarne le père des cinq sœurs de Virgin Suicide (1999) de Sofia Coppola. James Wood n’est jamais meilleur que dans la peau de personnages borderline, manipulateurs, ambigus, violents. Farouche défenseur de la liberté d’expression, James Wood est plus ou moins blacklisté depuis des années par Hollywood, trop rebelle et suprême provocation pro-Trump. Il enchaîne les voix off dans les jeux vidéo, une de ses passions. Dans Videodrome, il est absolument épatant.
David Cronenberg signe avec Videodrome, non seulement un chef-d’œuvre visionnaire, mais aussi l’une des œuvres les plus importantes de la fin du XXe siècle. Videodrome est devant nous. Incontournable.
Fernand Garcia
Videodrome une édition royale d’Eléphant Films, master HD impeccable, en complément sur le premier Blu-ray : Scènes inédites et un montage différent de plusieurs séquences, entre autres : le générique de début sur une fresque surréaliste dans un style proche de Salvatore Dali, tout le début offre un montage différent, moins sexuellement explicite (Rêves de samouraï est grandement amputé) (24 minutes). La bouche, le fameux plan des lèvres dans le téléviseur (2 env.). Un entretien avec Karim Hussain chef opérateur et réalisateur, grand admirateur de Videodrome, et « propriétaire » du 16 mm de la « bouche ». Il évoque sa fascination pour le film (13 minutes). Le film par Serge Grünberg et Stéphane Du Mesnildot, dans un entretien croisé pour décortiquer Videodrome (34 minutes). Le Making-of d’époque, reportage et interview sur le tournage de David Cronenberg, de James Wood : « David Cronenberg écrit la nuit, en puisant dans ses cauchemars » (7 minutes). La Bande-annonce pop culture de l’époque (2 minutes env.) et deux Teasers, le premier classique (1 minute) et le second reprend en partie la bande-annonce (1 minute).
Sur un deuxième Blu-ray, Eléphant Films propose de redécouvrir les quatre premiers jalons du cinéma de David Cronenberg : Transfer, From The Train, Stereo et Crimes of the Futur, dans d’impeccables reports HD, films jamais vus dans d’aussi bonnes conditions. Enfin, un livret sur Videodrome par Stéphane du Mesnildot accompagne cette édition. Découpé en trois chapitres : Un cinéaste mutant, Les crimes du futur antérieur et Videodrome nous regarde, de quoi avoir un aperçu de l’œuvre de David Cronenberg (24 pages). Cette édition d’Eléphant Films est la plus complète (et la plus belle) consacré à Videodrome, œuvre indispensable, à revisiter perpétuellement. Longue vie à la nouvelle chair ! Un must !
Videodrome un film de David Cronenberg avec James Wood, Deborah Harry, Sonja Smith, Peter Dvorsky, Leslie Carlson, Jack Creley, Lynne Gorman, Julie Khaner… Scénario : David Cronenberg. Directeur de la photographie : Mark Irwin. Direction artistique : Carol Spier. Costumes : Delphine White. FX maquillage : Rick Baker. Montage : Ronald Sanders. Musique : Howard Shore. Producteurs exécutifs : Pierre David et Victor Solnicki. Producteur : Claude Héroux. Production : Filmplan International – Guardian Trust Company avec la participation de CFDC et Famous Players Limited – Universal Pictures. Canada. 1983. 89 minutes. Couleur. Panaflex/Panavision sphérique. Format image : 1.85 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD. Interdit aux moins de 12 ans.