Londres. Un mois d’automne comme tant d’autres. Les Hopkins, une riche famille américaine, vivent dans les beaux quartiers. La mère doit partir et laisse son fils, Philip, à la charge de son grand-père. Passionné par la fauve, le petit garçon fait l’acquisition d’un serpent inoffensif. De retour à la maison, il est victime d’une tentative de kidnapping monté par la gouvernante et le chauffeur avec l’aide d’un criminel allemand…
Venin est l’adaptation d’une série noire redoutablement efficace écrite par le romancier sud-africain Alan Scholefield, publié en France sous le titre Des serpents sur vos têtes (Série noire n°1787). Le scénario est de la plume de Robert Carrington. Il avait déjà réussi un huis clos paroxystique avec Seule dans la nuit (Wait Until Dark, 1967) où une aveugle (Audrey Hepburn) était confrontée, seule, dans son appartement à des tueurs.
Produit par ex-agent d’Al Pacino, Martin Bregman, Venin débute son tournage sous la direction de Tobe Hooper. Au bout de deux semaines, l’auteur de Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chainsaw Massacre, 1974) pour d’obscures raisons quitte le tournage. Pareil mésaventure était déjà arrivée à Martin Bregman sur sa précédente production, Un après-midi de chien (Dog Day Afternoon, 1975). Frank Pierson son scénariste et réalisateur fut débarqué au profit de Sidney Lumet (12 hommes en colère, Serpico) qui effectua, il est vrai, un remarquable travail. C’est un réalisateur d’une moindre envergure qui va prendre la succession de Tobe Hooper, l’anglais Piers Haggard.
Connu pour avoir dirigé de petites productions d’horreur, Piers Haggard arrive sur le plateau après une préparation d’à peine dix jours. Ce choix atteste de la volonté de Martin Bregman de faire de Venin un simple thriller horrifique, alors que Hooper avait envisagé un sous-texte sur les rapports de classes. C’est toujours présent dans le film, le couple de domestiques anglais en opposition aux riches américains, mais ne constitue pas l’élément central du film. Nous sommes loin de l’univers de Tobe Hooper connu pour ses positions « gauchistes » et par la lecture politique que le spectateur peut faire de ses films. Il faut aussi envisager son départ comme le fait d’une mésentente avec ses acteurs principaux.
Si le mamba est le plus venimeux et agressif des reptiles, il fait pale figure en face de la distribution du film. Mettre face à face deux personnalités aussi fortes que Klaus Kinski et Oliver Reed ne pouvait provoquer qu’un amoncellement de conflits. Les deux acteurs s’insultent copieusement sur le plateau. Il suffit de voir les plans où ils se font face pour voir le degré de haine qui émane de leurs regards. Ils sont aux limites d’en venir aux poings. Ce qui apporte indéniablement une force dans les rapports entre les deux protagonistes.
Klaus Kinski était connu pour ses sautes d’humeur et les rapports violents qu’il pouvait entretenir avec les réalisateurs, les autres acteurs, les membres de l’équipe, en fait, avec tout le monde. Acteur génial, possédé, aux limites de la folie, mégalomane, Kinski est un acteur total, imprévisible, il sauve de l’anonymat par sa seule présence d’innombrables séries B. Jouer face à lui n’était pas une mince affaire, le diriger – encore moins. Ses rapports de haine et d’attraction avec le réalisateur Werner Herzog (Aguirre, Fitzcarraldo…) sont restés célèbres. A cette collaboration hors norme, Herzog a consacré un passionnant documentaire, Ennemis Intimes (1998).
Quant à Oliver Reed son nom reste associé aux grandes réussites de Ken Russell. Il frappe les esprits par une scène célèbre où il lutte nu avec Alan Bates dans Love (Woman in Love, 1969). Ce premier nu masculin dans un film grand public fait scandale. Autre film à scandale, Les Diables (The Devils, 1972), où il joue un prêtre, victime des fantasmes sexuels des sœurs d’un couvent d’Ursulines à Loudun. Olivier Reed a été découvert dans La Nuit du loup-garou (The Curse of the Werewolf, 1961), certainement la meilleure interprétation d’un loup-garou à l’écran. Ce remarquable film est signé par Terence Fisher et produit par la mythique Hammer. Souvent décrit comme alcoolique et violent, Oliver Reed traîne de film en film une sale réputation. Il n’en demeure pas moins qu’il honore l’écran d’une incroyable présence, d’une force brutale, terrienne. Oliver Reed est mort durant le tournage de Gladiator de Ridley Scott en 1999.
Aux côtés de ses deux forts caractères, les autres acteurs ne sont pas en reste. Ainsi l’Américain Sterling Hayden, qui depuis plusieurs années traîne son imposante carrure dans des productions Européennes d’auteur, est réputé pour son mauvais caractère. Sterling Hayden avait marqué l’imaginaire des cinéphiles par des rôles puissants, de personnages singuliers parmi lesquels Johnny Guitar (1954) de Nicholas Ray. John Huston lui offre un rôle magnifique de gangster dans l’un des chefs-d’œuvre du film noir Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950). Ce grand acteur sera brisé par la chasse aux sorcières du sinistre sénateur Joseph McCarthy et son nom inscrit sur la liste noire des grands Studios. Cela n’empêchera pas Stanley Kubrick de le diriger dans deux grands rôles. Une première dans L’ultime Razzia (The Killing, 1956), où il est l’organisateur d’hold-up et la seconde dans Dr Folamour (Dr. Strangelove, 1963), où il incarne, non sans ironie, un général américain anticommuniste dément qui déclenche une attaque nucléaire sur l’URSS. Il est épatant en paysan de la vallée du Pô, plus vrai que nature, dans le monumental 1900 (Novecento, 1974-76) de Bernardo Bertolucci. Venin est le dernier film de ce géant du cinéma.
L’ambitieuse domestique est incarnée par Susan George. Elle avait déjà connu un huis clôt de cauchemar avec le tournage des Chien de paille (Straw Dogs, 1971) de Sam Peckinpah, où elle incarnait la femme de Dustin Hoffman, victime d’un viol collectif.
Sarah Miles est l’une des actrices les plus emblématiques de l’esprit du « Swinging London ». Réellement découverte dans un second rôle tout en perversité dans The Servant (1963) de Joseph Losey. Elle est la femme adultère du mélodrame La Fille de Ryan (Ryan’s Daughter, 1969-70) de David Lean, écrit pour elle par Robert Bold, son mari. Le film est un semi-échec commercial. En ce début des années 70, un scandale entache sa carrière. Durant le tournage du Fantôme de Cat Dancing (The Man Who Loved Dancing, 1972) elle est accusée du meurtre d’un prétendant (un suicide par dépit amoureux en faite) puis acquittée. Les tabloïds lui prêtent alors de nombreuses liaisons. Actrice atypique et rebelle, elle est toujours parfaitement juste et remarquable dans tous ses rôles.
Le policier confronté à la prise d’otages est incarné par Nicol Williamson. Celui accédera en parallèle de Venin à une reconnaissance internationale avec son rôle de Merlin dans la magnifique fresque de John Boorman, Excalibur (1981). Il est l’un des grands noms de la scène anglaise où ses interprétations de William Shakespeare ou Samuel Beckett restent mémorables. Acteur aussi génial qu’impulsif, il pouvait quitter le plateau ne trouvant pas son interprétation au niveau !
Venin est une formidable série B au suspense sans faille et à la réalisation très seventies, qui distille un vrai bonheur de spectateurs.
Fernand Garcia
Venin est édité par Sidonis production et Calysta Films dans la belle copie avec en complément de programme la bande annonce anglaise (1’20) et une galerie de photo.
Venin (Venom) un film de Piers Haggard avec Klaus Kinski, Oliver Reed, Nicol Williamson, Sterling Hayden, Sarah Miles, Susan George, Cornelia Sharpe, Lance Holcomb, Michael Gough, Rita Webb. Scénario : Robert Carrington d’après le roman d’Alan Scholefield. Directeur de la photographie : Gilbert Taylor. Décors : Tony Curtis. Montage : Michael Bradsell. Musique : Michael Kamen. Producteur éxecutif : Richard R. St. Johns. Producteur : Martin Bregman. Production : Morison film Group – Aribage Limited. Etats-Unis – Grande-Bretagne. 1980. Couleurs (Technicolor). Panavision. 89 mn. VF & VOSTF.