1962 : lors d’un congrès de physique dans les Alpes suisses, le jeune Johannes défend une théorie sur l’existence de mondes parallèles. Mais personne n’y croit, pas même son tuteur. Les mystères s’accumulent pourtant : une curieuse formation nuageuse dans le ciel ; la présence fantomatique de Karin, cette jeune pianiste qui l’obsède et semble tout savoir de lui… Et ces personnes victimes d’accidents étranges dans la montagne ? Le réel semble bien fragile en ce lieu.
« Universal Theory est un film sur la physique, l’inspiration, les faux souvenirs, les vrais rêves et les fantômes qui se cachent derrière ce que nous appelons « notre histoire ». » Timm Kröger.
Né en 1985 à Itzehoe, Allemagne, le réalisateur et co-scénariste Timm Kröger a étudié à l’European Film College de Ebeltoft (Danemark), puis à la Film Academy Baden Württenberg à Ludwigsburg (Allemagne). Déjà co-écrit avec Roderick Warich, le premier long métrage de Timm Kröger, The Council Of Birds, qui est aussi son film de fin d’études, est présenté à La Mostra de Venise en 2014 lors de la Semaine de la critique. Précurseur direct d’Universal Theory, The Council Of Birds se déroule en 1929 et raconte l’histoire d’un compositeur disparu. Ce premier film étant resté inédit, Universal Theory est donc le premier long métrage du cinéaste à sortir en salles.
« Ce film a commencé comme un rêve… Un paysage de montagne étrange, mais étrangement familier. Un congrès de physique qui semble-t-il ne se tiendra jamais. Et une histoire d’amour absorbée dans une « conspiration » qui reste opaque jusqu’à la fin du film. » Timm Kröger.
Hommage à tout un pan du cinéma de science-fiction des années 1950 et 1960, le réalisateur utilise ici des bribes de physique quantique dans l’histoire comme des métaphores psychologiques des personnages ou de l’intrigue. Johannes Leinert est-il un génie inconnu car incompris ou un savant fou paranoïaque obsédé par la métaphysique et la physique quantique ? Sa mystérieuse histoire d’amour avec Karin Hönig révèle-t-elle les clefs de l’énigme que l’on appelle le destin ou traduit-elle le chaos de l’univers ? Dans Universal Theory, Timm Kröger joue en permanence sur les deux tableaux en faisant co-exister en même temps deux « réalités » contradictoires, et ainsi faire naitre des émotions contraires chez le spectateur. A la fois labyrinthe psychologique et thèse philosophique sur la notion du temps, avec Universal Theory, Timm Kröger parvient à faire se rejoindre ses différentes idées comme si chacune d’entre elles ne formait qu’un « tout ». Le « tout » que cherche à démontrer et comprendre le héros du film. Mais comment expliquer ou comprendre ce qui ne peut l’être ?
Si le découpage classique du film évoque le cinéma de Frank Capra ou encore celui d’Orson Welles, portée par le sublime noir et blanc et le clair-obscur de la photographie du chef opérateur Roland Stuprich, l’esthétique envoûtante d’Universal Theory et son atmosphère à la fois inquiétante et impalpable, nous font ressentir le film comme un rêve (ou cauchemar) déconcertant qui réunirait à la fois les univers de cinéastes comme Alfred Hitchcock ou David Lynch.
Immense et glaciale, la montagne, d’abord mystérieuse, devient peu à peu menaçante. Les paysages « cosmiques » d’Universal Theory sont accompagnés par une musique omniprésente qui témoigne avec sincérité d’une époque révolue. Mais, si l’histoire semble se dérouler au beau milieu du XXe siècle, les décors de Cosima Vellenzer, les costumes de Pola Kardum et la bande originale du film, signée Diego Ramos Rodriguez, qui oscille entre Strauss et Bernard Herrmann, lui confèrent une atmosphère aussi singulière qu’intemporelle qui puise également autant dans l’expressionnisme (le cinéma de Fritz Lang) que dans le romantisme allemand.
Tous les choix artistiques du cinéaste, aussi bien esthétiques que techniques ou narratifs, viennent souligner et répondre aux questions mêmes que pose le film. La forme du film vient parfaitement illustrer son propos. Universal Theory développe l’idée que le cinéma est un Art qui part de la réalité, transcende le temps et l’espace pour synthétiser nos rêves collectifs. Le cinéma est l’un de nos derniers refuges face aux limites toujours grandissantes que nous impose le monde réel. Le temps d’un film, nous échangeons nos vies de spectateurs avec celles de personnages d’un autre monde, d’une autre dimension, et vivons alors comme un rêve éveillé. L’homme n’ayant qu’une seule vie, le cinéma le soulage de la charge mentale devenue oppressante de devoir vivre la meilleure vie possible. Le cinéma nous console. Le cinéma nous apaise. Comme l’infinie possibilité d’interprétations du film fait voler en éclats le réel, le cinéma nous offre la chance de pouvoir dépasser notre propre condition par le biais des voyages qu’il nous permet d’effectuer dans l’immensité infinie de ce que l’on appelle le « multivers ». Le cinéma nous donne la possibilité de nous accomplir. Le cinéma nous élève en nous donnant la possibilité de nous accomplir.
Dans le rôle de Johannes Leinert on découvre l’énigmatique acteur allemand Jan Bülow qui, après quelques apparitions sur les écrans au début des années 2010, a véritablement débuté sa carrière de comédien au théâtre en interprétant le rôle principal dans une adaptation de Hamlet, la pièce de William Shakespeare. Jan Bülow est parfait dans le rôle du héros romanesque par excellence, à la fois génie et fou, animé par une quête obsessionnelle de recherche de la vérité.
Dans le rôle de la secrète Karin Hönig, la mystérieuse pianiste, on retrouve la comédienne franco-britannique Olivia Ross qui, elle aussi, a commencé sa carrière au théâtre. Au début de sa carrière cinématographique, on a vu Olivia Ross dans des seconds rôles aussi bien chez Mia Hansen-Love dans Tout est pardonné (2007), Le Père de mes enfants (2009) et Eden (2014), que chez Olivier Assayas dans Personal Shopper (2016) et Doubles Vies (2018). Olivia Ross incarne avec ce personnage de femme fatale insaisissable, le fantôme d’un autre temps. Elle incarne le fantôme que l’on imagine d’un autre monde (du passé ?) et qui en sait beaucoup plus sur Johannes que lui-même. A moins qu’elle ne soit qu’une illusion. A moins qu’elle ne soit que la matérialisation inconsciente traduisant la persistance réelle d’un souvenir traumatique refoulé de Johannes.
A leurs côtés, pour incarner le personnage du Dr. Julius Strathen, le directeur de thèse de Johannes, le choix du cinéaste s’est porté sur l’acteur allemand Hanns Zischler qui compte près de deux cents rôles au cours de sa carrière et que l’on vu notamment chez Wim Wenders, Chantal Akerman, Steven Spielberg, Andrew Birkin, Olivier Assayas, Claude Chabrol, Yves Boisset, Bob Swaim, Pascal Bonitzer, Jacques Doillon, Costa-Gavras, Liliana Cavani, Jean-Luc Godard, Agnieszka Holland, István Szabó ou encore Rudolf Thome.
Le personnage du Commissaire Arnold est quant à lui interprété par l’acteur David Bennent qui a bouleversé le monde entier avec le personnage d’Oskar qu’il interprétait dans Le Tambour (Die Blechtrommel, 1979) réalisé par Volker Schlöndorff. Par la suite David Bennent tourne avec Yves Boisset (Canicule, 1984), Ridley Scott (Legend, 1985) ou Spike Lee (She Hate Me, 2004). En 2007, il retrouve Volker Schlöndorff dans Ulzhan. On peut également le voir dans Michael Kohlhaas (2013) d’Arnaud des Pallières, Planetarium (2016) de Rebecca Zlotowski ou encore Heureux comme Lazzaro (Lazzaro Felice, 2018) d’Alice Rohrwacher.
Ambitieuse proposition de définition de ce que l’on appelle une faille spatio-temporelle, Universal Theory (ou « quand la science rejoint la fiction ») raconte, en quelque sorte, plusieurs versions d’une seule et même histoire. Quand l’infinité des possibles rencontre l’infinité des espaces-temps. A mille lieues du conformisme, du manichéisme et de la vacuité des productions hollywoodiennes nauséeuses, Universal Theory est un magnifique film d’aventures ludique doublé d’un film noir fantastique haletant, dont la portée transcende ses hommages et ses références pour nous offrir une réflexion passionnante à la fois sur l’univers, le monde et la « réalité » qui nous entoure mais nous échappe, qu’une réflexion sur nous-même. Universal Theory interroge autant notre rapport au monde et à la « réalité » à travers notre perception du temps et de l’espace, qu’il interroge, à travers la complexité et les limites de notre pensée et de nos « mécanismes » psychologiques qui définissent nos identités, la solitude intrinsèque à notre condition. Universal Theory est un film qui nous offre la possibilité de faire un voyage « ailleurs », un voyage dans une (ou plusieurs) autre(s) dimension(s). Fascinante et vertigineuse odyssée à la croisée des genres, avec Universal Theory, Timm Kröger fait une proposition singulière de cinéma, une proposition riche pour le cinéma. Hypnotique.
Universal Theory a été sélectionné et primé dans plusieurs festivals comme la Mostra de Venise où il a reçu Le Bisato d’Or du Meilleur Film remis par la critique indépendante, L’Etrange Festival où il a reçu le Grand Prix Nouveau Genre du Meilleur Film et le Prix du Public, le Festival de SITGES (Festival International du Cinema Fantastique de Catalogne) où il a reçu le Prix de la Critique, ou encore, le FEFFS (Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg).
Steve Le Nedelec
Universal Theory (Die Theorie von Allem) un film de Timm Kröger avec Jan Bülow, Olivia Ross, Hanns Zischler, Gottfried Breitfuss, Philippe Graber, David Bennent, Ladina Carla von Frisching, Imogen Kogge… Scénario : Roderick Warich et Timm Kröger. Directeur de la photographie : Roland Stuprich. Décors : Cosima Vellenzer. Costumes : Pola Kardum. Son : Johannes Schmelzer-Ziringer. Montage : Jann Anderegg. Conception sonore : Dominik Leube. Musique : Diego Ramos Rodriguez. Producteurs : Heino Deckert et Tina Börner. Production : Ma.Ja.De Fiction Gmbh – The Barricades – Panama Film – Catpics AG. Distribution (France) : UFO Distribution (sortie le 21 Février 2024). Allemagne – Autriche – Suisse. 2023. 118 minutes. Noir et blanc et Coueur. Format image : 2.35. Son : 5.1. Tous Publics. Festival de Vanise, 2023. Grand Prix Nouveau Genre, L’Etrange Festival, 2023.