Le titre français est trompeur, Une aventure de Buffalo Bill s’attache avant tout à suivre Wild Bill Hickok, autre légende de l’ouest plutôt que Buffalo Bill. On peut comprendre le distributeur français de l’époque, en 1905, Buffalo Bill avait fait une tournée triomphale en France avec son show. Son nom est synonyme d’aventures, de grands espaces, de pionniers, d’Indiens. Buffalo Bill est l’Ouest sauvage américain dans l’imaginaire collectif. Toujours est-il que dans le film de Cecil B. DeMille, Buffalo Bill Cody est un personnage important, mais secondaire. DeMille reprend plusieurs histoires de l’Ouest qu’il combine avec bonheur pour un spectacle oscillant entre faits réels et mythologie. The Plainsman, littéralement « L’homme des plaines », pour reprendre son titre original, est un formidable western. L’écrivain Graham Greene le considérait comme l’un des meilleurs westerns de l’histoire du cinéma.
Le début est surprenant, réuni dans une pièce de la maison blanche, des industriels de l’armement. Ils se lamentent de la fin de la guerre de Sécession, la paix entraîne un énorme manque à gagner avec la réduction des commandes, des tas d’armes leur restent sur les bras. Une idée fuse, un troc, les fusils dernières générations destinés à l’armée, contre des peaux avec les Indiens. Le résultat des ventes étant évidemment empoché par les fabricants d’armes. Malgré quelques petites réticences, la « proposition » est adoptée dans le dos de Lincoln. Son assassinat ne fait qu’accélérer la combine. Il n’est pas fréquent, aujourd’hui encore, de voir représentées les magouilles de ce qui deviendra le complexe industrialo-militaire. Déjà, ils sont au cœur du pouvoir. La profusion des armes à la suite de la guerre de Sécession entraîne aussitôt une escalade de violence.
Il est important de revenir sur Cecil B. De Mille et de reconnaître qu’il s’agit d’un des plus grands cinéastes américains. La dernière partie de sa carrière avec ses films monumentaux au classicisme pompeux et kitsch a occulté ses autres films et succès. Les 10 commandements, est diffusé régulièrement à la télévision. Le succès phénoménal du film, plus de quatorze millions de spectateurs rien qu’en France, sans compter les succès de Samson et Dalila (plus de sept millions) et de Sous le plus grand chapiteau du monde (plus de neuf millions) font de DeMille l’un des réalisateurs les plus populaires. Cecil B. DeMille est à tête d’une carrière exceptionnelle. En 1913, après une petite carrière d’acteur, il tourne non seulement son premier film, mais le premier à Hollywood. DeMille est l’un des grands pionniers du 7e art. Il invente au fil des films, il n’y avait pas encore l’idée de faire une œuvre, mais de donner au public des histoires. L’effervescence créatrice de l’époque explose les limites. Sa filmographie s’étend sur près de cinq décennies, des folles expérimentations des débuts au classicisme des derniers films, DeMille aura été de biens des aventures. Il est l’un des plus grands du cinéma américain en plus d’être l’un des pères fondateurs d’Hollywood.
« Pour beaucoup, DeMille, c’était la quantité, et donc la négation de la qualité Hollywood dans toute son horreur. La ligne critique de la nouvelle vague excluait DeMille : Rivette qui voyait quasiment tous les films s’étaient toujours refusés à assister à une projection des 10 commandements. Certains critiques éreintaient DeMille sans même avoir vu ses films », note Luc Moullet dans Cecil B. DeMille, L’empereur du mauve (Capricci, 2012). Aujourd’hui encore, l’œuvre de DeMille croule sous des considérations extra-cinématographiques et c’est bien dommage. Il suffit de se replonger dans ses films pour découvrir un ton singulier à la liberté sidérante (Madame Satan, Cléopâtre). Il y a choix des sujets s’articulant parfois autour de l’histoire universelle ou de l’histoire des Etats-Unis toujours intéressante. DeMille, c’est l’art de la narration couplet à un souci permanent de maintenir le public en haleine. DeMille est un homme de spectacle, un raconteur d’histoire, un metteur en scène et un technicien hors pair.
Il y a aussi des auteurs et techniciens qui vont suivre DeMille sur de longues périodes. Ainsi, le scénario d’Une aventure de Buffalo Bill est restructuré par Jeanie Macpherson. Plume talentueuse, Macpherson débute aux côtés de l’immense D.W. Griffith, avant de suivre DeMille. Elle est sa scénariste de prédilection reprenant tous ses scripts de 1915 à 1937. Elle est toutefois battue dans la durée par Anne Bauchens, monteuse de tous les films de DeMille de 1915 à 1956 !
Il est éléments récurrents dans l’œuvre de Cecil B. De Mille, pour qui regarde attentivement, au premier rang duquel l’érotisme et le sadomasochisme. Obsessions qui s’étalent clairement et directement dans ses films du pré-code, plus de manière plus « subtils » après l’instauration du code Hays. Dans Une aventure de Buffalo Bill, DeMille se détecte des coups de fouet de Calamity Jane, une réalité historique qu’il fétichise à souhait. Ce personnage de femme a de quoi plaire à DeMille. Volontaire, combattante, amoureuse (de Hickok), elle manie le fouet et tient tête aux hommes. C’est un personnage qui reste d’une confondante modernité.
Jean Arthur, dont Calamity Jane était le personnage préféré, est excellente. Elle passe de « dominatrice » aux tourments de la culpabilité. Calamity Jane, monte à cheval, tire, s’habille en homme, manie avec dextérité le fouet et l’audace de choisir ses amants d’une nuit. Arthur et DeMille donnent une interprétation plausible et conforme de Martha Jane Cannary dite « Calamity Jane ». Wild Bill Hickok est le grand amour de sa vie rebelle.
A 36 ans, Jean Arthur, a déjà une longue carrière. Elle débute au temps du muet avec un rôle secondaire dans Cameo Kirby John Ford en 1923, il la dirigera en vedette dans Toute la ville en parle (1935). Jean Arthur végète dans les studios, ne trouvant pas vraiment sa place. Elle n’est pas une beauté dans les canons de beauté de l’époque. Harry Cohn, le patron de la Columbia, trouve son profil trop chevalin. Elle pense à plusieurs reprises à abandonner. Frank Capra la remarque dans Whirlpool (1934), un drame policier de Roy William Neill. Capra lui offre le premier rôle féminin dans L’Extravagant Mr. Deeds (Mr. Deeds Goes to Town, 1936) avec Gary Cooper. C’est le début d’une nouvelle Jean Arthur. Elle se métamorphose en blonde. Capra la dirige dans Vous ne l’emporterez pas avec vous (You Can’t Take It with You, 1938) et Monsieur Smith au Sénat (Mr. Smith Goes to Washington, 1939). Elle trouve sa voie. Jean Arthur est l’une des plus pétillantes actrices de la comédie américaine du milieu des années 30. Elle est radieuse et pétillante dans La vie facile (Easy Living, 1937) de Mitchell Leisen et plus grave dans le formidable Seuls les anges ont des ailes (Only Angels Have Wings, 1939) de Howard Hawks. Elle est une star. Elle retrouve Gary Cooper pour Une aventure de Buffalo Bill, le film est un énorme succès.
Gary Cooper est, encore une fois, remarquable. Il donne à Wild Bill Hickok, une consistance et une sorte de froideur des sentiments, qui font de lui un être pour le moins étrange. Cooper est déjà une immense star quand il tourne son premier film sous la direction de Cecil B. DeMille. Trois autres films, en technicolor, suivront : Les Tuniques écarlates (North West Mounted Police, 1940), L’Odyssée du docteur Wassell (The Story of Dr. Wassell, 1944), Les Conquérants d’un nouveau monde (Unconquered, 1947).
Dans Une Aventure de Buffalo Bill, les acteurs ont toujours quelque chose à faire, aucune action n’est statique, un regard, un mouvement, un geste, de l’avant-plan à l’arrière-plan, tout est mouvement, dans une parfaite cohérence, rien de gratuit, d’exagérer ou de superflu. Cecil B. DeMille est bien l’un des plus grands cinéastes du cinéma américain.
Fernand Garcia
Une aventure de Buffalo Bill, une édition combo (Blu-ray-DVD) Éléphant Films, dans un nouveau master restauré en HD. Le film est proposé dans sa version originale intégrale et dans sa version française d’époque (plus courte), supplément : une présentation érudite et admirative « de peut-être même le plus grand metteur en scène américain » Cecil B. DeMille par Jean-Pierre Dionnet. «… il faut oublier tous ses défauts humains, car son cinéma, lui, est humain… » (18 minutes). La Bande-annonce d’époque.
Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman) un film de Cecil B. De Mille avec Gary Cooper, Jean Arthur, Charles Bickford, Kames Ellison, Porter Hall, Helen Burgess, Victor Varconi, Fred Kohler, John Miljan, Paul Harvey… Scénario : Waldemar Young, Harrold Lamb et Lynn Riggs. Adaptation : Jeanie MacPherson. Basée sur des histoires de Courtney Ryley Cooper et Frank J. Wilstach. Directeur de la photographie : Vicor Milner. FX optique : Farciot Edouart et Dewey Wrigley. Décors : Hans Dreier et Roland Anderson. Intérieurs : A.E. Freudeman. Costumes : Visart, Dwight Franklin et Joe DeYong. Montage : Anne Bauchens. Direction musicale : Boris Morros. Musique : George Antheil. Producteur : Adolph Zukor. Production : Paramount Pictures. Etats-Unis. 1936. Version original intégrale 113 mn. Version française d’époque : 105 mn. Noir et blanc. Format image : 1.37. Son : Version originale avec ou non sous-titres français (blancs ou jaune) et Version française. Tous Publics.