Une Anglaise romantique ressort sur les écrans, retour sur ce beau drame de Joseph Losey par son producteur français, Eddy Matalon, qui se remémore pour nous quelques anecdotes…
Je suis arrivé dans l’affaire par l’agent de Tom Stoppard, que je connaissais bien et grâce à lui que j’ai rencontré le producteur Daniel Angel. C’était un producteur anglais important, un type très bien. La production avait besoin pour boucler le budget d’environ 400 000 euros, ce qui représentait 20% du montant total. Les rôles principaux étaient déjà attribués. Glenda Jackson était une star, tout comme Michael Caine, quelqu’un de merveilleux et enfin Helmut Berger était un nom dans le cinéma artistique. C’était une production importante. Le tournage s’est fait en Angleterre et pour quelques jours à Baden Baden. Losey avait à la photographie son fidèle Gerry Fisher, un homme adorable. Et enfin pour mettre sur pied la coproduction on avait attribué quelques rôles à des acteurs français : Michael Lonsdale, Nathalie Delon…
Pour le rôle de la nurse, Joseph Losey tenait absolument à prendre la toute jeune Isabelle Adjani. Elle l’avait ébloui sur scène dans L’école des femmes, à charge pour moi de prendre contact avec elle. Adjani était en pleine répétition à la Comédie Française avec Robert Hossein à la mise en scène de La maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca. Les dates de tournage du Losey étaient arrêtées. Je rencontre Hossein, un homme charmant, mais qui me dit que c’est impossible, les dates de la première et des représentations de la pièce sont déjà fixées et elles tombaient pendant le tournage de Losey. De son côté, Adjani lui dit qu’elle « n’en a rien à foutre » et qu’elle veut faire le film de Losey. Elle admirait les films de Losey. Mais c’était compliqué pour Adjani, elle avait signé pour la pièce. J’ai eu sa mère au téléphone et nous nous étions mis d’accord, et Isabelle Adjani n’a pu faire le film. Ce fut une grande déception pour elle. C’est Béatrice Romand, qui avait joué dans Le Genou de Claire et L’Amour l’après-midi d’Eric Rohmer, qui a eu le rôle.
Joseph Losey était assez difficile. Je l’admirais beaucoup mais parfois il était pour le moins assez chiant. Une anglaise romantique était sélectionné pour le Festival de Cannes, hors compétition, car Losey, qui avait reçu la Palme d’or pour Cérémonie secrète, refusait désormais d’être en compétition. Losey, quatre/cinq jours avant la projection à Cannes, était à Paris. Il n’avait pas encore vu la copie définitive tirée par le laboratoire. J’avais récupéré la copie en 35 mm, mais comment trouver une salle pour la projeter, car nous étions un samedi. Je supplie le projectionniste de la salle Lincoln de projeter le film, pas dans les salles de cinéma mais dans les salles de projection privées qui se trouvent en sous-sols près des salles de montage, des salles de projection relativement petites. Il accepte de le faire. Je préviens Losey et lui envoie un taxi, il était alors en lointaine banlieue. Losey entre dans la salle, regarde autour de lui et se tourne vers moi : « c’est très petit ici, qu’est-ce que c’est que ça ? Comment on peut projeter dans une cave merdeuse ! ». Ça me coûtait un maximum : la location de la salle, le projectionniste, le taxi… et Losey qui faisait la fine bouche, je dois dire, que je l’avais mauvaise. Je me suis écrasé, j’avais une telle admiration pour l’immense metteur en scène.
Le film est présenté à Cannes, je m’étais engagé à faire un repas avec une centaine d’invités, comme c’est de tradition, après la projection officielle du soir.
Helmut Berger est venu. Nous étions sur la terrasse du Carlton quand le fils de Serge Dassault, Olivier, qui faisait de la musique, vient vers moi et me demande si je pouvais lui présenter Helmut Berger. Helmut était à l’autre bout, complètement saoul et drogué. C’était un phénomène, très drôle… il m’a laissé une impressionnante note ! Le salopard (rires) ! Donc je vais voir Helmut, je lui dis que j’ai quelqu’un à lui présenter, il est un peu dans les vapes, « tu sais c’est le fils de Dassault, c’est un artiste, il fait de la musique… c’est un fils de milliardaire »… Helmut me suit, je fais les présentations. Et soudain, Helmut s’écrit « j’adore les fils de milliardaires ! » et lui roule un patin (rires) ! Je ne savais plus où me mettre. Helmut était vraiment un personnage hors norme.
Après cette aventure, Joseph Losey m’avait proposé de produire A la recherche du temps perdu. Il avait un scénario remarquable signé par Harold Pinter. Il avait déjà à plusieurs reprises tenté de le monter avec comme productrice Nicole Stéphane, une fille Rothschild, qui avait été actrice dans Le Silence de la mer de Melville. Elle avait essayé de monter le film mais sans succès. Pourquoi a-t-il pensé à moi ? A l’époque j’étais associé à Felix Meric dans la société Meric-Matalon. Nous avions le plus important réseau de salles du sud-ouest. Nous étions des producteurs exploitants. Felix Meric et moi étions tous deux marseillais. Pour Losey nous devions donc être de la mafia (rires) ! A la recherche du temps perdu a fini par se faire des années plus tard sans Losey et avec un autre scénario, un ratage absolu.
Pour en revenir à Une Anglaise romantique c’est la Gaumont qui l’a distribué et il a connu un beau succès en salle.
Propos recueillis par August Tino
Une Anglaise romantique (The Romantic Englishwoman), un film de Joseph Losey avec Glenda Jackson, Michael Caine, Helmut Berger, Michael Lonsdale, Béatrice Romand, Kate Nelligan, Nathalie Delon, Reinhard Kolldehoff. Scénario : Tom Stoppard & Thomas Wiseman d’après son roman. Directeur de la photographie : Gerry Fisher. Producteur : Daniel M. Angel. Production : Angel Productions – Arlington Properties – Les productions Meric-Matalon. Grande-Bretagne-France. 1975. 116 mn. Couleurs. Distribution : Solaris distribution. En salle depuis le 1er juin 2016 en version restaurée. Tous Publics.