Joanna (Hope Lange) et Paul (Charles Bronson) Kersey sont en vacances à Hawaï. Paysage idyllique. Le temps des vacances écoulé, ils se retrouvent en « zone de guerre », c’est-à-dire New York City. Ils retrouvent un quotidien d’embouteillages, de saleté, de délinquance. Keyser reprend son travail d’architecte. Un jour comme tant d’autres, Joanna et sa fille Carol (Kathleen Tolan) font leur courses dans une supérette. Elles sont repérées par un trio de voyous, le plus futé mémorise l’adresse de la livraison des courses des deux femmes. Se faisant passer pour les livreurs, ils se présentent à la porte et finissent par entrer de force. Déçues par les quelques dollars trouvés, les trois crapules violent la fille et battent à mort la mère…
Charles Bronson était entré dans la légende avec Il était une fois dans l’Ouest (1968). Son visage buriné, l’éclat de ses yeux, ses silences font merveille. Bronson n’est pas un inconnu, il avait déjà derrière lui un bon nombre de seconds rôles dans des films à succès: Les Sept mercenaires (The Magnificent Seven, 1960), La Grande évasion (The Great Escape, 1963), La bataille des Ardennes (Battle of the Bulge, 1965), Les Douze salopards (The Dirty Dozen, 1967) et dans des séries TV aux Etats-Unis, mais c’est le public européen qui en fait une star internationale. Tout s’est joué en fait sur un coup de chance, comme il existe beaucoup dans le cinéma. Le producteur Serge Silberman débarque à Los Angeles pour convaincre Richard Widmark de partager l’affiche avec Alain Delon dans Adieu l’ami. Widmark n’aime pas le scénario et refuse la proposition. Bien embêté, Silberman demande à l’agence de Widmark s’ils n’ont pas une idée d’acteur pour incarner un légionnaire. Très vite surgit dans les échanges le nom de Charles Bronson. Coup de bol, l’acteur est en Espagne. Adieu l’ami marque le début d’une carrière de premier plan sur le vieux continent. Il enchaîne les bons rôles et les succès: Le passager de la pluie de René Clément (produit aussi par Silberman), De la part des copains, Soleil rouge et Cosa Nostra de Terence Young et avec Michael Winner, un très bon western Les collines de la terreur (Chato’s Land, 1972) et aux Etats-Unis de formidables polars, toujours sous sa direction : Le Flingueur (The Mechanic, 1972), et Le Cercle noir (The Stone Killer, 1973), mais aussi le cartonnesque Mr. Majestyk (1974) réalisé par Richard Fleischer. Bronson est un acteur à la très grande popularité, mais il lui manque un succès qui l’installerait définitivement aux Etats-Unis. Ce succès, ce sera Un Justicier dans la ville qui fera de Bronson une star aux Etats-Unis tout en l’enfermant définitivement dans un rôle de justicier hyper violent.
Un justicier dans la ville est prêt et Michael Winner attend le feu vert de United Artists, mais le studio hésite à le mettre en production, le sujet est plus que sensible. Winner sait qu’il tient un succès et le propose à Dino De Laurentiis. Le grand producteur italien, on lui doit La Strada de Fellini, Guerre et Paix de King Vidor, etc. tente alors de s’implanter aux Etats-Unis. Il a vite compris que pour se faire une place, rien de mieux qu’un sujet à polémique pour exister sur un marché ultra compétitif. De Laurentiis vient d’en faire l’expérience avec Serpico de Sidney Lumet avec Al Pacino. Il signe Un Justicier dans la ville. Bronson est un gage de succès sur le marché international. Dino De Laurentiis le connaît bien pour avoir produit Cosa Nostra et participé aux Collines de la terreur. Le ticket Bronson – Winner est valable. Il rachète les droits à United Artists et lance la production en partenariat avec la Paramount.
Pour la première fois dans un film grand public, ce n’est pas un policier style Harry Callahan qui est confronté à la violence urbaine, mais un simple citoyen. Cette approche n’est pas nouvelle, il suffit de se référer aux westerns, mais inédite dans un cadre contemporain. Paul Kersey, le « héros » incarné par Bronson, est un homme meurtri qui voit vaciller ses convictions progressistes après le meurtre de sa femme et le viol de sa fille. Il n’abandonne pas ses convictions, mais porte un regard différent sur une réalité violente qu’il ne connaissait que par les médias. Si Kersey est présentée comme un libéral-démocrate, son pendant politique est son collègue de travail, un Républicain au discours sur l’insécurité d’une bêtise crasse : « Les gens défavorisés s’acharnent sur nous. Il faut les foutre en camp de concentration » balance-t-il fièrement à Kersey.
Kersey ne devient pas un fou furieux de la gâchette du jour au lendemain, Winner (et son scénariste) nous décrit processus qui va le conduire au passage à l’acte. L’impuissance face à l’adversité. Kersey est dans la position de n’importe quel quidam face à l’administration. Aucune écoute, livré à lui-même, il se retrouve au niveau d’un accidenté qui saigne à l’accueil de l’hôpital et dont personne ne s’occupe – faute de temps, de personnel. Le peu de considération qu’il reçoit, Kersey le doit à sa position sociale. Au commissariat, alors qu’une victime, pauvre et noir, doit se battre pour que l’on prenne sa déposition suite à une agression, Kersey est conduit directement auprès de l’inspecteur car il n’est pas pauvre et tranche sur le tout-venant. Kersey n’est le moins du monde surpris quand l’inspecteur lui annonce que les chances de mettre la main sur les agresseurs sont quasi nulles. « En ville, c’est comme ça » comme si Kersey vivait sur une autre planète.
Kersey plonge dans la solitude, affalé devant sa télévision et ses messages publicitaires. La nuit de sa fenêtre, il observe la rue, il n’a pas à attendre longtemps pour qu’un vol à la tire se produise en bas de chez lui. Il s’aventure alors en ville, dans les quartiers de misère, un désir de vengeance aveugle l’anime. A sa première sortie, il frappe un paumé avec une chaussette rempli de rouleaux de pièces. Symboliquement, l’acte n’est pas anodin, c’est l’argent qui frappe un pauvre (type), c’est aussi lourd à porter pour Kersey, son action le rend malade. Il abandonne. Les germes d’une rébellion contre l’ordre des choses sont là. A Tucson dans l’Amérique des pionniers, il entre dans le territoire de la dernière chance, l’ultime possibilité de revenir à un monde de justice. Dans ce paysage, il rencontre Ames Jainchill, un entrepreneur dans l’immobilier, pas le genre à transpirer l’honnêteté.
Dans un ancien site dédié aux tournages de westerns reconvertis en mini parc d’attractions pour les touristes, Kersey redécouvre les lois simples de l’Ouest, la justice expéditive, œil pour œil, dent pour dent, d’un côté les bons, de l’autre les méchants. L’urbanisme à outrance avec son lot d’immeubles déshumanisés, éloignant la nature, mène à la mise en place de taudis, le projet immobilier de Kersey est retoqué par Jainchill. Kersey est entraîné dans un club de tir. Il reste un homme de gauche, un objecteur de conscience comme lors de la guerre de Corée. Le discours de droite de Jainchill sur les armes ne convainc pas Kersey, l’arme n’est peut-être qu’un prolongement du pénis. Le « combat » de Kersey n’a pas de dimension collective, ni politique, c’est uniquement personnel.
Kersey ne trouvera jamais les agresseurs de sa femme et de sa fille. Il tue au hasard: voleurs, dealers, quelle que soit l’origine ethnique. La frontière entre le bien (Kersey) et le mal (les autres) se brouillent totalement. Un justicier dans la ville doit énormément à la qualité du scénario de Wendell Mayes, pas vraiment un homme de droite au vu de sa carrière. Billy Wilder donne sa chance à cet ex-acteur en signant ensemble le script de L’Odyssée de Charles Lindbergh (The Spirit of St. Louis, 1957). Une gageure: le film raconte la traversée de l’Atlantique par Charles Lindbergh dans son monoplan. Mayer va surtout s’illustrer par sa collaboration avec Otto Preminger, Autopsie d’un meurtre (Anatomy of a Murder, 1959), Tempête à Washington (Advise & Consent, 1962), deux chefs-d’œuvre, et Première victoire (In Harm’s Way, 1965). On lui doit le premier film catastrophe moderne, L’aventure du Poséidon (The Poseidon Adventure, 1972), et plusieurs scénarios de films de guerre, dont L’Express du colonel von Ryan (Van Ryan’s Express, 1965) de Mark Robson et le passionnant Le Merdier (Go Tell the Spartans, 1978) de Ted Post, un des meilleurs films sur la guerre du Viêtnam. Mayes arrive sur Un justicier dans la ville par l’intermédiaire d’Arthur Krim, patron d’United Artists qui le recommande à Hal Landers, le producteur. A la lecture du roman de Brian Garfield, Mayes y décèle tous les éléments d’un blockbuster, le sujet est dans l’air du temps. « Je pouvais le voir (le film) dans mon esprit avant de mettre un mot sur le papier ». Mayes retravaille complètement l’intrigue du roman et invente énormément. Totalement investi, il livre un scénario puissant et polémique. Brian Garfield se sentira trahi par l’adaptation, il donnera une suite, littéraire, en exposant son point de vue sur le vigilante avec A déguster froid (Death Sentence). Ce roman fera à son tour l’objet d’une adaptation en 2007 par James Wan avec Kevin Bacon.
Winner fait réviser quelques détails du scénario de Mayes par Gerald Wilson, enseignant et critique de cinéma, scénariste de quelques-uns de ses meilleurs films, Les Collines de la terreur (Chato’s Land, 1971), L’homme de la loi (Lawman, 1971), Le Cercle noir (The Stone Killer, 1973), Scorpio (1973), L’arme au poing (Firepower, 1979). On aperçoit d’ailleurs au mur du club de tir l’affiche de L’homme de la loi. Gerald Wilson se consacre depuis plusieurs années à l’écriture de scénarios pour la télévision scandinave.
Michael Winner tire le meilleur parti d’un tournage en extérieur et de conditions climatiques épouvantables. Il fait un formidable usage de la lumière naturelle et des courtes focales, cela donne un ton documentaire froid et particulièrement réaliste au film. La violence urbaine du film est effrayante, les scènes de l’agression et le viol de la femme et de la fille de Kersey, l’assassinat des voyous dans le métro etc. sont superbement découpées. La musique d’Herbie Hancock rajoute un sentiment d’angoisse et relie les scènes avec une grande efficacité.
Un justicier dans la ville est une réussite glaçante qui résonne plus que jamais dans nos sociétés déshumanisées où le conflit entre les êtres est permanent et de plus en plus violent. Le film montre déjà les germes du citoyen-vigilante tel que l’instrumentalisera le politique des années plus tard.
Fernand Garcia
« Avec le recul (le film) est beaucoup plus intelligent qu’il ne paraissait être à l’époque et beaucoup moins au premier degré. » François Guérif, éditeur et historien, évoque longuement différents aspects d’Un justicier dans la ville dans les compléments de cette édition de référence de Sidonis Calysta. « Ce que je vois aujourd’hui dans le film, c’est un portrait-robot de l’Amérique de ce qu’est en train de devenir l’Amérique, de l’Amérique de Trump. » (23 minutes). Un documentaire, Charles Bronson, un héros populaire, de la petite ville minière de Ehrenfeld en Pennsylvanie où s’installèrent ses parents d’origine lituanienne et où naquit Charles Dennis Buchinsky aux villas luxueuses de Beverly Hills, l’histoire d’un des acteurs les plus populaires de la fin du XXe siècle vu par les Américains (40 minutes). Troisième et dernier élément des compléments, la bande-annonce Un Justicier dans la ville (2’22). Le film est disponible pour la 1ère fois en Blu-ray dans une édition collector combo (DVD) – digibook avec un livre Des Justiciers dans la ville sur l’intégralité de la série par Marc Toullec.
Un Justicier dans la ville (Death Wish) un film de Michael Winner avec Charles Bronson, Vincent Gardenia, William Redfield, Steven Keats, Stuart Margolin, Stephen Elliott, Kathleen Tolan, Jack Wallace, Olympia Dukakis, Christopher Guest, Hope Lange, Jeff Goldblum… Scénario : Wendell Mayes d’après le roman de Brian Garfield. Directeur de la photographie : Arthur J. Ornitz. Décors : Robert Gundlach. Montage : Bernard Gribble (et Michael Winner non crédité). Musique : Herbie Hancock. Producteurs : Hal Landers, Bobby Roberts et Michael Winner. Production : Dino De Laurentiis Corporation – Paramount Pictures. Etats-Unis. 1974. 93 minutes. Technicolor. Panavision sphérique. Format image : 1.85 :1. Interdit aux moins de 12 ans.
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