1957. Une pleine lune éclaire la nuit douce de l’été qui enveloppe la ferme des Trant. Maureen (Emily Warfield) enfile sa robe de nuit sur la véranda aménagée en chambre. Sa sœur, Dani (Reese Witherspoon), allongée sur son lit, rêve en écoutant Loving You d’Elvis Presley, son chanteur préféré. Dani envie Maureen, qui est déjà considérée comme une femme, tandis qu’elle-même est encore perçue comme une enfant. Elle aimerait ressembler à sa sœur, la meilleure élève de l’école, celle qui fait tourner les têtes des garçons sur son passage. Dani, en comparaison, se sent maladroite et gauche. Mais Maureen, contrairement à ce que pense Dani, a aussi ses propres doutes et peurs. Elle rêve de quitter la maison familiale, une aspiration que Dani ne comprend pas encore…
Un été en Louisiane est le dernier film de Robert Mulligan. L’œuvre de ce réalisateur compte parmi les plus intéressantes du cinéma américain, et pourtant, elle demeure l’une des plus méconnues. Sa filmographie recèle quelques chefs-d’œuvre et pépites qui réapparaissent de temps à autre, avant de retomber dans une relative obscurité. Peut-être que le cinéma de Robert Mulligan a toujours été en léger décalage avec son époque. On distingue dans ses films une prédilection pour le monde rural, et une saison en particulier : l’été. Période où la lumière inonde les paysages, où l’air est doux, une sorte de douceur de vivre qui dissimule des drames intimes, des moments de cruauté. Trois de ses chefs-d’œuvre illustrent parfaitement cette ambiance : Un été 42 (Summer of ’42, 1971), L’Autre (The Other, 1972), et Un été en Louisiane (The Man in the Moon, 1991) à cette trilogie nous pouvons ajouter un titre mineur, Le secret de Clara (Clara’s Heart, 1988).
Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird, 1962), adaptation du roman de Harper Lee Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, est devenu un grand classique du cinéma américain, à l’image du roman. Le film remporte trois Oscars : pour l’adaptation, les décors, et le meilleur acteur pour Gregory Peck. Les thématiques chères à Robert Mulligan sont déjà présentes dans ce film : l’enfance, l’adolescence, et la brutalité du monde. Du silence et des ombres demeure un des films préférés du public américain.
Robert Mulligan était étudiant en théologie lorsque les États-Unis entrèrent dans la Seconde Guerre mondiale. À son retour, après avoir servi dans la marine américaine en tant qu’opérateur radio, il est embauché au New York Times. Toutefois, c’est la télévision qui l’attire véritablement. Il débute comme coursier à la chaîne CBS, où il gravit tous les échelons. En 1948, il réalise ses premières émissions dramatiques et se fait rapidement remarquer pour la qualité et l’excellence de ses téléfilms.
En 1957, un jeune producteur, Alan J. Pakula, envoie à Robert Mulligan un roman intitulé Prisonnier de la peur (Fear Strikes Out), qui deviendra le premier film de Mulligan pour le grand écran. Il y dirige deux vedettes : Anthony Perkins et Karl Malden. Ce film marque le début d’une longue amitié entre Mulligan et Pakula, qui deviendra son producteur attitré durant les années 60. Malgré ce premier succès au cinéma, Mulligan continue de travailler pour la télévision, notamment avec The Moon and Sixpence (1959), adaptation de L’Envoûté de Somerset Maugham, dans lequel Laurence Olivier fait sa première apparition à la télévision. Le téléfilm rencontre un immense succès et remporte plusieurs Emmy Awards.
Curieusement, son retour au grand écran s’accompagne de deux charmantes comédies avec pour interprète principal Tony Curtis : Les Pièges de Broadway (The Rat Race) et Le Roi des imposteurs (The Great Impostor), tout deux de 1960. Il gagne en ambition avec L’Homme de Bornéo (The Spiral Road, 1962), une aventure située en Indonésie où la lèpre fait rage, interprétée par Rock Hudson, Burl Ives et Gena Rowlands. Le succès de Du silence et des ombres… solidifie la collaboration entre Robert Mulligan et Alan J. Pakula. Mulligan enchaîne les films admirés, notamment Une certaine rencontre (Love with the Proper Stranger, 1963) avec Steve McQueen et Natalie Wood, qui décroche cinq nominations aux Oscars. Daisy Clover (Inside Daisy Clover, 1965), avec Natalie Wood, Christopher Plummer et Robert Redford, en obtient trois autres. Mulligan clôt les années 60 avec un western, L’Homme sauvage (The Stalking Moon, 1968), où Gregory Peck et Eva Marie Saint se partagent l’affiche. Ce film marque la fin de la fructueuse collaboration entre Mulligan et Pakula, après sept films ensemble.
Alan J. Pakula, désormais réalisateur, débute sa carrière avec Pookie en 1969. Il connaît rapidement le succès avec Klute (1971), puis À cause d’un assassinat (The Parallax View, 1974). Enfin, en 1976, il réalise ce qui est peut-être son chef-d’œuvre, Les Hommes du président (All the President’s Men). Son style, plus moderne, finit par éclipser celui, plus classique, de Mulligan. Pakula, malgré ses succès, regrettera de ne pas avoir commencé sa carrière de réalisateur un peu plus tôt, tout en reconnaissant sa dette envers Robert Mulligan. Ils resteront les meilleurs amis du monde.
La critique, qui avait une grande considération pour les films de Robert Mulligan durant les années 60, va totalement ignorer ceux des décennies suivantes. Même le succès public d’Un été 42 (Summer of ’42, 1971) ne changera rien à cet état de fait. Ils passeront également à côté de L’Autre (The Other, 1972), une prodigieuse mise en scène d’un cas de schizophrénie. Ce film exercera pourtant une grande influence sur le cinéma fantastique, notamment sur Sixième Sens (The Sixth Sense, 1999) de M. Night Shyamalan ou Les Autres (The Others, 2001), dont le titre même constitue un hommage à celui de Mulligan, réalisé par Alejandro Amenábar.
Bien que les films de Mulligan passent relativement inaperçus durant cette période, deux d’entre eux attirent tout de même à nouveau l’attention sur lui. Il s’agit tout d’abord du drame Les Chaînes du sang (Bloodbrothers, 1978), qui marque le premier grand rôle de Richard Gere, ainsi que de la comédie sentimentale Même heure, l’année prochaine (Same Time, Next Year, 1978). Ce dernier film, porté par Ellen Burstyn et Alan Alda, est un succès à la fois public et critique, obtenant quatre nominations aux Oscars.
Fait notable, Robert Mulligan est le premier réalisateur à qui la production propose le scénario de Taxi Driver, écrit par Paul Schrader. Cependant, le scénariste refuse catégoriquement que Mulligan en soit le réalisateur. Ce sera finalement Martin Scorsese qui en fera un film d’anthologie.
Le projet d’Un été en Louisiane est proposé à Robert Mulligan par Alan Ladd Jr., alors responsable de la production du studio, et Mark Rydell, réalisateur et producteur, entre autres, de The Rose (1979). Par amitié pour Ladd et Rydell, Mulligan accepte de lire le scénario, bien qu’il se soit promis de ne plus réaliser de films sur l’enfance ou l’adolescence. Toutefois, ce premier scénario de Jenny Wingfield le touche profondément par sa description authentique du Sud et son approche sincère. Il finit par accepter.
Avec Jenny Wingfield, Mulligan corrige les imperfections de ce premier script, le simplifie et le restructure. Pour ce qui sera sa dernière réalisation, Mulligan revient non seulement à l’adolescence, mais aussi à une époque qu’il connaît parfaitement : les années 50. Il ne les aborde pas comme un sujet historique, mais plutôt comme un présent vivant. La splendide photographie de Freddie Francis contribue à cette atmosphère si familière, au point qu’elle donne l’impression au spectateur d’être en vacances à la campagne. C’est de cette manière, en apparence simple, que Mulligan, à partir des premiers émois d’une adolescente, tisse le drame qui la frappera ainsi que cette famille.
Un été en Louisiane est le portrait croisé de deux jeunes femmes. D’un côté, il y a Dani (Reese Witherspoon), une adolescente encore marquée par l’inexpérience de son âge, qui se persuade d’être amoureuse de son voisin, rencontré le temps d’un été. De l’autre, sa sœur aînée Maureen (Emily Warfield), déjà plus mûre et ayant acquis une certaine expérience dans ses relations amoureuses.
Dani découvre les tourments d’un amour non partagé, rêvant avec intensité et vivant dans l’attente fébrile du lendemain, espérant que chaque nouvelle rencontre avec l’élu de son cœur pourrait conduire à des sentiments réciproques. Robert Mulligan, avec une sincérité désarmante, laisse s’exprimer librement les émotions de Dani, sans jamais imposer de jugement moral sur ses illusions.
Maureen, plus adulte, aborde quant à elle la question de l’amour avec plus de retenue et de peur, notamment face à l’idée du passage à l’acte sexuel. Toutefois, elle aspire à trouver une âme sœur, suivant ainsi le modèle de ses parents, qui lui offre une stabilité face à un monde qu’elle perçoit comme imprévisible. Sans l’avoir anticipé, Maureen finit par tomber amoureuse de Court (Jason London), celui qui est également l’objet des désirs de Dani. Progressivement, Court se détourne de Dani et se rapproche de Maureen, évitant les rencontres avec la plus jeune sœur.
La mort secoue violemment cette petite communauté. Dani est incapable de trouver les mots pour exprimer la douleur écrasante qui la submerge. Maureen, elle aussi meurtrie, parvient, grâce à sa maturité, à afficher une façade de circonstance. Dani, à fleur de peau, se réfugie dans un silence profond. C’est justement dans ce silence que réside la grande beauté du film, car il finit par rapprocher les deux sœurs. Malgré les épreuves qu’elles ont traversées, elles puisent la force de se soutenir mutuellement. La douceur de l’été dissimule la cruauté de la vie, comme c’est souvent le cas dans les films de Robert Mulligan. Il illustre un moment délicat, celui de la transition vers l’âge adulte, tout en évitant le didactisme pour laisser s’exprimer pleinement la complexité des émotions.
Robert Mulligan y parvient grâce à une direction d’acteurs d’une grande finesse. Il obtient de Reese Witherspoon, Jason London et Emily Warfield — qui font ici leurs débuts au cinéma — une intimité et une proximité qui irradient à l’écran. Sa mise en scène, empreinte d’élégance, sublime cette sensibilité. Un été en Louisiane est un chef-d’œuvre.
Fernand Garcia
Un été en Louisiane, une édition combo (DVD + pour la première fois en Blu-ray) de Rimini Editions avec en complément : Un été en Louisiane, une présentation par Nicolas Cébile, enseignant de cinéma à Rennes. Il retrace le parcours de Richard Milligan et évoque son travail sur Un été en Louisiane (31 minutes) et la Bande-annonce originale du film (3 minutes).
Un été en Louisiane (The Man in the Moon), un film de Robert Mulligan avec Sam Waterston, Tess Harper, Reese Witherspoon, Gail Strickland, Jason London, Emily Warfield, Bentley Mitchum… Scénario : Jenny Wingfield. Directeur de la photographie : Freddie Francis. Décors : Gene Callahan. Costumes : Dawni Saldutti et Peter V. Saldutti. Montage : Trudy Ship. Musique : James Newton Howard. Producteurs exécutifs : Williams S. Gilmore et Shari Rhodes. Producteur : Mark Rydell. Production : Metro-Goldwyn-Mayer. États-Unis. 1991. 99 minutes. Couleur. Panavison. Format image : 1,85:1 16/9e Son : Version originale sous-titrées en français stéréo et Version française en mono. DTS-HD (Blu-ray). Dolby Audio (DVD). Tous Publics.