Mademoiselle Hunt, baby-sitter de son état, attend patiemment dans un café. Fort aimablement, un Loup vient s’asseoir en face d’elle. Sur la table, un livre de contes attire l’attention du Loup. Il est sceptique au sujet de ces récits et entreprend à raconter à Mademoiselle Hunt la véridique histoire du Petit Chaperon Rouge, de Blanche-Neige, des Trois Petits Cochon, de Cendrillon et de Jack et le Haricot magique… en essayant de faire comprendre qu’il y est personnellement impliqué et il y a eu des victimes dans sa famille. Pendant qu’il raconte, le Loup a en tête un projet diabolique de vengeance…
Quel plaisir ! Un Conte peut en cacher un autre reprend des classiques pour les passer à la moulinette d’un humour des plus réjouissants. Ce détournement d’histoires archi-connues, entraîne les spectateurs de tout âge dans un suspense enivrant. Relecture plus cruelle que les contes originaux (quoique), teinté parfois d’humour assez noir (si on peut employer ce terme quand il s’agit d’un dessin animé pour enfants). Ainsi, Le Petit Chaperon Rouge est une véritable tueuse de loups et de cochon, Blanche-Neige, une blonde, qui par un méfait, permet aux sept nains, ex-jockeys ruinés par les courses hippiques, de se refaire une santé financière, le beau prince de Cendrillon n’est pas si charmant et la mère de Jack finit dévorée par l’Ogre… et il ne s’agit-là que de quelques petites entorses.
C’est parfaitement agencé, le film mélange avec une grande habileté scénaristique plusieurs histoires sans que jamais nous ne soyons perdus à l’intérieur du récit. Dans la première partie, les histoires de Blanche-Neige, du Petit Chaperon Rouge et des Trois Petits Cochons se confondent. Dans la seconde, c’est Cendrillon et Jack et le Haricot magique qui évoluent en parallèle avant de se rejoindre. Ce satané Loup se joue du spectateur mais c’est revigorant et les péripéties sont savoureuses. Il y a aussi quelques petites touches qui renvoient à l’actualité comme avec le cochon banquier, menteur et plein aux as. Eh oui, les apparences sont trompeuses.
Un Conte peut en cacher un autre est l’adaptation d’un petit livre illustré pour enfant de Roald Dahl (1916-1990). Auteur anglais a la fantaisie débordante, surtout connu pour ses œuvres dans la littérature pour enfants. Son roman le plus célèbre est Charlie et la Chocolaterie (1964) dont Tim Burton tira un formidable film avec Johnny Depp. Alfred Hitchcock, qui appréciait son humour noir, adapte plusieurs de ses nouvelles pour Alfred Hitchcock présente… Dahl a aussi œuvré directement pour le cinéma. Il a scénarisé On ne vit que deux fois (You Only Live Twice, 1967), le cinquième James Bond de la série réalisé par Lewis Gilbert, un modèle d’humour débridé et de scènes d’action. Ce n’est pas un hasard, Dahl connaissait bien le créateur de 007, Ian Fleming, ils avaient travaillé ensemble pour les services secrets de sa Majesté durant la Seconde Guerre mondiale. Cette proximité avec Fleming lui permit d’être totalement infidèle au roman. Dahl a influencé bien des cinéastes dont Joe Dante pour des affreuses bestioles : Les Gremlins. Récemment, Steven Spielberg a porté à l’écran Le Bon Gros Géant (2016). Ces romans et nouvelles enchantent encore l’univers des enfants, tout en s’adressant aussi aux adultes. Il se vend un exemplaire de ses livres toutes les cinq secondes.
Un Conte peut en cacher un autre est réalisé avec un grand soin par Jakob Schuh et Jan Lachauer. Ils reprirent l’idée des dialogues écrits en vers (très bonne version française), beaucoup plus nombreux dans le film que dans le livre. L’esthétisme du film s’inspire des illustrations de Quentin Blake pour le livre. Les personnages n’ont certes plus ce côté illustration pour la presse mais on les reconnaît aisément. Petite subtilité graphique, les personnages existent dans les deux mondes du film, le monde de la narration et des contes avec une stylisation légèrement différente. On sent que les deux réalisateurs aiment l’ambiance noire et pluvieuse du film noir. Le Loup avec son trench-coat, coiffé d’un feutre, ne dépareillerait pas dans un film noir des années 40/50.
Le Loup impressionne dès son apparition à l’écran. Ses yeux jaunes, sa voix faussement doucereuse, on se méfie instantanément de lui, on connaît bien son côté manipulateur et fourbe… et pourtant Un Conte peut en cacher un autre donne aux enfants la possibilité de réfléchir sur la nature du Loup (de l’homme) et que les êtres ne sont par forcément ce que l’on croit au premier abord. Une histoire peut avoir différents angles d’approche et que tous les loups ne sont pas tous du même acabit. Je parie mon billet que pour les enfants, à la sortie de la salle, le grand méchant loup aura changé de statut.
C’est fait sans prétention mais avec un immense respect pour l’œuvre d’origine et donc par voie de conséquence pour les spectateurs. Une petite merveille qui tourne le dos aux produits conçus comme support pour la vente de produits dérivés. C’est drôle, inquiétant, plein d’humour et intelligent. Un Conte peut en cacher un autre ne peut que donner l’amour du cinéma (et de la littérature) aux enfants…
Fernand Garcia
Un Conte peut en cacher un autre un film de Jakob Schuh et Jan Lachauer co-réalisation Bin-Han To. Avec les voix en version originale de Dominic West, Davis Walliams, Tasmin Greig, Rob Brydon, Rose Leslie… et en version française : Philippe Resimont, Sophie Frison, Nancy Philippot, Thibaut Delmotte, Noah Lecot, Claire Tefnin… d’après le livre Un Conte peut en cacher un autre (Revolting Rhymes) de Roald Dahl illustré par Quentin Blake. Adaptation : Jakob Schuh et Jan Lachauer. Montage : Benjamin Quabeck et Jan Lachauer. Musique : Ben Locket. Producteurs : Martin Pope et Michael Rose. Production : Magic Light Pictures. Distribution : Les Films du Préau (Sortie le 11 octobre 2017). Grande-Bretagne. 2016. 61 minutes. Ratio image : 1.85 :1. Couleur. Tous Publics.