Geneviève Huchet la présidente de l’Association pour la défense de l’environnement et de la nature (ADEN) rappelle que : « le Festival de Cannes est un énorme gâchis du point de vue de l’environnement, en particulier du point de vue des transports : des avions et des hélicoptères étant incessants pendant les quinze jours du festival. Sans oublier les énormes yachts (moins cette année) de la baie qui sont obligés de faire fonctionner leurs moteurs toute la journée pour avoir de l’électricité…«
Nous n’avons pas vu les films de la Semaine de la critique par manque de temps. Nous ne voulions pas voir les films de la Quinzaine des réalisateurs pour la même raison mais aussi à cause de la manière dont ils traitaient les accrédités préférant laisser de la place à ceux qui payaient. Bien que ce soit normal, il n’était pas correct de nous enfermer dans une file pendant plus de deux heures sans pouvoir sortir de cette file et sans assister à la projection.
Les films d’Un Certain Regard : Un grand cru mais pas de coup de cœur, disaient certaines presses. Il n’y avait pas non plus de grande surprise tout comme la sélection officielle. Toutefois, deux films se sont imposé et nous ont touché profondément : La vie invisible d’Euridice Gusmão et Adam. Le premier a obtenu le Prix d’Un Certain Regard, très bien mérité et le deuxième n’a rien eu…
La vie invisible d’Euridice Gusmão de Karim Ainouz (Prix Un certain Regard)
Deux sœurs inséparables dans les années 50, à Rio de Janeiro sont obligées de vivre séparément à cause de la culture machiste de la société brésilienne dans ce mélodrame de Karim Ainouz.
Eurídice (Carol Duarte), adolescente, et sa sœur aînée, Guida (Julia Stockler) se perdent de vue dans la forêt tropicale convergeant vers le littoral rocheux aux abords de Rio de Janeiro, alors qu’elles rentrent chez elles, avant une tempête. Cette première scène du film ressemble à un cauchemar surnaturel, qui anticipe l’avenir des deux sœurs, 20 ans après et va être dans l’esprit des deux femmes une fois que le destin les a séparées en 1951 par la misogynie de leur père Manuel (Antonio Fonseca). Les deux sœurs ont des projets de vie bien loin de leur maison de famille à Rio, qui échouent.
Les images du film sont tournées par la française Hélène Louvart et accompagnées de la musique du compositeur Benedikt Schiefer. Les couleurs saturées et les sons luxuriants du film renforcent l’intimité du magnifique mélodrame de Karim Ainouz. Il traite un sujet sur des femmes dont l’indépendance d’esprit reste intacte, alors même que leurs rêves sont brisés par une société étouffante et patriarcale. C’est une adaptation du premier roman publié en 2015 de Martha Batalha, journaliste qui vit aux USA actuellement. Dans ses longs métrages de Madame Sata (2002) à Futuro Beach (2014), le cinéaste brésilien, Karim Ainouz a toujours été un grand narrateur visuel et social, avec un œil attentif pour éclairer les détails de ses personnages. Il a également réalisé Amour à vendre et Je voyage parce que je dois et je reviens parce que je t’aime (co-réalisé avec Marcelo Gomes). Les deux films ont été sélectionnés au Festival de Venise, dans la section Orizzonti, en 2006 et 2009. En 2011, The Silver Cliff (La falaise d’argent) a été présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateur.
Au début du film, Euridice couvre à contrecœur les sorties nocturnes clandestines de Guida dans les discothèques avec le beau marin grec Yorgos (Nikolas Antunes). Bien qu’elle s’inquiète pour sa sœur, elle savoure l’excitation des découvertes sexuelles de son aînée. Guida, à son tour, encourage l’espoir d’Euridice, une pianiste douée, d’étudier au conservatoire de musique de Vienne.
Leur lien vital est rompu lorsque Guida décolle avec son compagnon sur un navire pour Athènes, laissant une lettre indiquant qu’elle reviendra quand elle sera mariée. Mais Yorgos se révèle être un dragueur, alors Guida revient seule et enceinte. Manuel, son père lui dit qu’elle n’est plus la bienvenue à la maison et qu’Euridice est partie étudier à Vienne, un mensonge qui semble encore plus cruel compte tenu que ce rêve échappe à sa sœur pianiste.
Lorsque tous les liens physiques entre les deux sœurs ont cessés à cause du père, le film baigne dans un sentiment d’amour, de solidarité et de respect profond pour les femmes, amies, qui deviennent des substituts à la famille de Guida. Et malgré la séparation avec sa sœur, la vie de Guida après n’est pas uniquement une misère puisque les choses ne sont jamais manichéennes. Elle se construit une nouvelle vie dans les bidonvilles du Brésil, avec Filomena (Bárbara Santos), prostituée astucieuse et gentille qui agissait comme son nouvel ange gardien. Elle peut faire face à des coups plus durs que sa sœur, mais trouve son propre bonheur. Guida écrit dans une de ses nombreuses lettres adressées au cours des années 50 à sa sœur Euridice (qui n’a jamais eu connaissance de ses lettres, puisque la mère dominée par le père ne les a jamais transmis): « Filomena est ma mère, mon père et aussi ma sœur. » La richesse des images et de la sonore de ce film sont une merveille, tandis que la production épurée de Rodrigo Martirena et les costumes des années 50 de Marina Franco sont dans l’esprit du film.
Une belle apparition vers la fin de la grande Fernanda Montenegro, 90 ans, nominé aux Oscars il y a 20 ans pour Central do Brasil de Walter Salles. Son visage retrace l’humanité, l’expérience émotionnelle rassemblant tous les sentiments et la souffrance des deux sœurs.
Adam de Maryam Touzani
Les actrices Lubna Azabal et Nisrin Erradi transforment ce scénario bien ficelé en un film poignant qui raconte l’histoire d’une jeune fille marocaine enceinte arrivant à Casablanca pour échapper à l’oppression de son village. Elle frappe aux portes de la grande ville à la recherche d’un travail et d’un endroit où dormir. Les familles la rejette car elle est enceinte de plusieurs mois et n’a pas de père en vue.
Les deux femmes se métamorphosent mutuellement. Avec beaucoup de délicatesse, la réalisatrice montre comment la société marocaine maudit une femme qui tombe enceinte hors mariage – un thème pas très original- (traité à plusieurs reprises), mais ici, il est très touchant grâce à la réalisation et aux superbes interprétations de Lubna Azabal et de Nisrin Erradi dans les rôles principaux.
Il sera inévitablement comparé à un autre film marocain bien réalisé de la cinéaste Meryem Ben m’Barek, Sofia primée en 2018, dans laquelle Azabal a également joué mais ainsi que La Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania (2017), un film effacé et niais présentés aussi à Cannes. Alors que Sofia a décrit le privilège d’une fille de la classe moyenne irresponsable en proie à une grossesse non planifiée, Adam se situe dans un quartier pauvre de Casablanca ou une femme locale déprimée et très réservée après la mort de son mari, abrite une fille de la campagne enceinte. Avec son premier long métrage, Maryam Touzani permet à son audience de souffler en regardant un petit bijou bien plus maîtrisé que Sofia. La vie de deux femmes, est figée dans une stase existentielle. En les réunissant de manière prévisible mais satisfaisante, la réalisatrice-scénariste assure cet échange scrupuleux de chagrin et de honte. Bien que ce soit une histoire de femmes très classique dans le monde arabo-musulman, ce film a de l’attrait émotionnel qui pourrait toucher le public des cinémas d’art et d’essaie, s’il sera distribué, car ce récit selon les normes hollywoodiennes et autres peut être est très local et pas assez universel.
Bull d’Annie Silverstein
Si son court métrage Skunk était un bon film de 15 minutes qui a remporté le prix du court métrage au Festival du film de Cannes en 2014 et qui a automatiquement valu à Silverstein une place dans la sélection officielle cette année, Bull le long métrage réalisé 5 ans plus tard est une déception. Son nouveau film ressemble trop à son prédécesseur qui est mieux réalisé. Tous deux sont des portraits d’adolescents du sud du Texas qui n’ont pas beaucoup d’options et qui pourraient, à tout moment, prendre une décision qui prive par inadvertance leur avenir. Des scènes qui se répètent : « Riding the bull (Monter le taureau) », une mère en prison dont on ignore pourquoi ? Une grand-mère déprimée, un noir désabusé… Le film n’avance guère et nous plonge dans l’ennuie malgré une amitié qui se tisse -mais très tardivement- entre le noir et la jeune fille.
Jeanne de Bruno Dumont (Mention Spéciale du jury)
Quant au film Jeanne de Bruno Dumont ayant obtenu mention Spéciale par le jury présidé par Nadine Labaki, cinéaste et actrice libanaise : « beaucoup sentiront brûlés en voyant le film de 137 minutes » dit le Hollywood Reporter ou « matraqué » selon Variety. L’ennuie a poussé beaucoup de spectateurs à sortir de la salle. Il n’y a que certaines presses françaises qui l’ont apprécié, et surtout que le réalisateur argentin Lisandro Alonso, membre du jury, grand fan de Bruno Dumont… n’a pas pu le cacher à la remise des prix.
Liberté d’Albert Serra (Prix spéciale du jury)
Liberté : Film claustrophobe avec très peu de drame. Adapté d’une œuvre théâtrale présentée à Berlin en 2018. Helmut Berger acteur autrichien qui a joué dans les films de Luchino Visconti dans Les damnés (La caduta degli dei, 1969), Ludwig (1973), Violence et Passion (Gruppo di famiglia in un interno, 1974) mais aussi dans Le jardin du Finzi-Contini (Il giardino dei Finzi Contini, 1970) de Vittorio De Sica ou dans Une Anglaise romantique (The Romantic Englishwoman, 1975) de Joseph Losey, reprend ici son rôle de noble vieillard.
Règne monarque au monstre raréfié, le réalisateur catalan Albert Serra retourne dans l’espace « sécurisé » du festival avec Liberté, un autre tableau en costume du XVIIIe siècle, mais cette fois au lieu de mourir au lit, comme le roi éponyme dans, La mort de Louis XIV, les personnages se bousculent dans une forêt.
Albert Serra a déçu beaucoup de personnes avec ces libertins du XVIIIe siècle qui fuient la France pour laisser libre cours à leurs désirs sexuels dans la campagne française. Serra établit une progression, allant de masturbations et de jeux sexuels à des pénétrations et des coups de fouet, comme pour matérialiser des structures de pouvoir entre le groupe des hommes et des femmes et entre les nobles et les gens de la classe populaire.
Certains diront que le monde de Liberté correspond aux événements du film La mort de Louis XIV, car il décrit des personnages corrompus par le pouvoir qui parviennent à traîner leurs serviteurs et les jeunes filles dans leur mode de vie. En cela il veut dénoncer les gens du pouvoir et défendre le peuple. Peut être ? Mais a-t-il le droit de nous ennuyer avec une pratique décadente pour le plus grand plaisir des voyeuristes et des exhibitionnistes ? Tourné avec un éclairage flou et juste le son des grillons en arrière-plan tout le long du film. La seule chose qui le diffère des films pornographiques ce sont ces aristocrates qui parlent avec des prétentions intellectuelles incompréhensibles. Le film a suscité son triste lot de départ de la salle lors de sa première à Cannes. Cela n’a pas empêché certains journaux de l’apprécier. On peut saluer ceux qui sont sortis de la projection poussé par le dégoût et le sentiment d’étouffer d’ennuie, et ceux qui sont restés pour leur courage. Un prix spécial du jury ? Plus qu’étonnant !
La Fameuse Invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti
Le premier long métrage de l’illustrateur Lorenzo Mattotti est un film d’animation très classique. C’est une adaptation d’un livre original pour enfants écrit et illustré en 1945 par le talentueux Dino Buzzati, dont le roman Le désert des Tartares (Il deserto dei Tartari) a été adapté aussi par Valerio Zurlini en 1976.
Beaucoup de critiques français ont snobé Le Désert des tartares à l’époque. Mais, comme l’a dit Jean Cocteau : « les critiques jugent les œuvres d’art et ne se savent pas qu’ils sont jugés par elles ! »
Valerio Zurlini a porter à l’écran l’un des chefs-d’œuvre de la littérature italienne les plus abstraits et métaphoriques du siècle dernier. L’acteur principal attend et attend, quelque chose qui ne vient jamais à savoir : l’attaque des tartares. Une belle allégorie du temps qui passe et de la vacuité de l’existence. Il ne se passe que peu d’action en trente ans de vie au fort, l’histoire étant basée sur le lent mouvement du temps qui passe. L’attaque des tartares symbolise tout ce qu’on désire, et quand il semble que cela va arriver, il est trop tard. Une fois fier, courageux et plein d’attentes, le héros devient humble sous le fardeau des années. Cette attente est une métaphore de son emprisonnement. L’immense étendue du désert environnant est un rappel année après année, de ses illusions et l’illusion tout court de la vie.
Nous parlons ici du Désert des Tartares pour rappeler au public et à la presse que le livre et le film étaient des chefs-d’œuvre.
Pour revenir au film de Lorenzo Mattotti : il est magnifiquement dessiné avec des couleurs vives et des formes attrayantes. En principe, le style du film est conçu pour charmer les enfants et les adultes, créant une opposition entre les « communistes ou socialistes » (les ours) et les « capitalistes » (les humains)? Les ours et les humains s’affrontent, se rachètent puis s’aperçoivent qu’ils sont trop différents pour vivre ensemble. Mais le rythme de la narration rend le film plus adapté aux enfants qu’aux adultes qui laisseront tomber cette métaphore, incapables de la comprendre et préférant en tant qu’enfants s’amuser avec un cinéaste qui dessine des combats sans effusion de sang, un film doux et non conflictuel avec une violence perpétrée par des fantômes, des ogres, un chat géant et une mer gigantesque.
Comme d’habitude avec des histoires pour enfants mais qui vise des adultes, tel que Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, le cinéaste voulait peut être dire que l’humanité était devenue si corrompue?
Malgré la beauté des dessins on ne peut s’empêcher de demander pourquoi cette coproduction franco-italienne est arrivée à Un Certain Regard.
L’été de Changsha de Zu Feng
On est cette année à Cannes face à une Asie-noire et lourde. L’acteur chinois Zu Feng fait ses débuts professionnels en réalisant L’été de Changsha. Il paraît pour des raisons mystérieuses qu’il y a eu d’une part, un bras de fer entre les cinéastes et les producteurs et les censeurs chinois d’autre part. Déjà, One Second de Zhang Yimou, qui se déroule pendant la révolution culturelle, et les Better Days de Derek Kwok-cheung Tsang, un drame sur les jeunes mécontents, ont été retirés de la Berlinale. Summer of Changsha (Liu Yu Tian), après un grand buzz médiatique a été projeté dans Un Certain Regard, mais sans la présence du casting ni de l’équipe et sans le cachet officiel censuré. C’est un film pris au piège par son intrigue boueuse. Des personnages blessés et culpabilisés nouent des liens tandis qu’une vague de chaleur saisonnière rend tout le monde irritable. Personne ne semble avoir du plaisir ni les spectateurs d’ailleurs.
Une enquête sur un meurtre comme tant d’autres films noirs chinois qui est en ce moment très à la mode. Elle gravite autour d’une quasi-romance (pas très claire) entre deux personnes déprimées et déchirées par la culpabilité. Bon nombre de films tels que Black Coal, Thin Ice, ont exploré des thèmes sociaux en Chine: aliénation, relations entre hommes et femmes, adultère, abus… Malheureusement ou heureusement, les films acclamés souvent par la critique charment peu une audience plus large.
En Terre de Crimée de Nariman Aliev
Un père et son fils en deuil partagent un long périple à travers l’Ukraine déchirée par la guerre avec le réalisateur Nariman Aliev.
Dans ce road movie d’après l’idée du A.D. Novruz Hikmet, et un scénario écrit par le réalisateur Aliev et Marysia Nikitiuk, la mort d’un jeune homme provoque le massacre, l’exil et la dépossession de tout un peuple. Présenté en première mondiale dans la section Un Certain Regard à Cannes, Nariman Aliev, jeune réalisateur ukrainien 26 ans, un Tatar de Crimée, fait ses débuts dans ce long drame familial fataliste. Cependant, son pouvoir dramatique est amoindri par une narration déprimante et énigmatique pour engager pleinement les spectateurs. Le drame qui lie le père et le fils, se déroule sur la route allant de Kiev à la Crimée. En effet, la situation critique des Tatars de Crimée (à la fois historiquement et actuellement) constitue un élément important du complot.
Les femmes, sont décrites comme des tentatrices qui attirent les fils de Mustafa dans le pétrin. Bien qu’Alim semble d’abord choqué par le traitement réservé par son père à Oleysa (la femme du défunt) et reste en contact téléphonique avec elle, il la rejette ensuite brusquement sans qu’on sache pourquoi ? La cinématographie d’Anton Fursa est intéressante. Il encadre les personnages dans la voiture, mais à l’approche de la Crimée, il filme des beaux clichés austères. Pour mémoire, l’acteur éminent Seitablayev est le réalisateur d’un documentaire sur la déportation de Tatars de Crimée en 1944 intitulé Retour.
Chambre 212 de Christophe Honoré (Prix d’interprétation féminine)
À 90 minutes, ce film semble interminable, « provocateur » et amoureux de lui-même. Les deux acteurs qui jouent les Richard (jeune et plus âgé) ne se ressemblent guère ajoutant à cela les énormes trous dans la logique fantastique du cinéaste. Christophe Honoré jongle avec les romances de Chiara Mastroianni (qui a obtenu le Prix d’interprétation où on la voit souvent presque nue) jusqu’à ce que le spectateur ait envie de baisser les bras et partir.
Le scénariste-réalisateur Christophe Honoré, traite cette fantaisie dans son nouveau film de manière qu’il prétend être « original » mais c’est étrangement familier. Il la transforme en une farce qui se passe dans une chambre surréaliste.
Chambre 212 vous pousse à vous questionner: Et si je n’avais pas gaspillé mon argent dans un film aussi pathétique ? A mi-chemin du festival de Cannes avec des thèmes assez lourds et déprimants, on sentait le besoin d’une comédie romantique. Ce fut le cas du sixième film à Cannes de Christophe Honoré avec une bande-son suave et un casting composé de bourgeois parisiens se trompant ou pas l’un l’autre mais, hélas, il s’égare un peu trop dans ses propres machinations compliquées. Ce film pourrait connaître un succès lors de sa sortie nationale fin octobre et encore ? Mais les aventures fantaisistes d’Honoré pourraient s’avérer trop stéréotypées pour créer beaucoup de buzz à l’international.
Une Grande fille de Kantemir Balagov (Prix de la mise en scène)
Les films russes sélectionnés à Cannes et en général sont souvent sombres (Leto en 2018 ou Faute d’amour en 2016). Une Grande fille du réalisateur russe Kantemir Balagov est une simple misère. Deux jeunes femmes vivant à Leningrad juste après la guerre. Elles se sont rencontrées au combat et travaillent maintenant dans un hôpital. Elles portent toutes les deux les cicatrices physiques et mentales de leur jeune vie troublée. Une Grande fille raconte l’histoire de leur relation houleuse écrasée par la grande histoire de la Russie à l’instar des patients de l’hôpital. Le film n’est ni drôle ni facile à regarder surtout quand l’une étrangle sans intention (à cause de sa maladie paralysante) le fils de l’autre qui lui demande de tomber enceinte à sa place pour pouvoir remplacer son fils décédé (un peu trop tordu pour le spectateur). Des moments de stress où on regarde nos montres sans cesse et où d’autres sont sortis de la salle préférant aller boire un délicieux café au Nespresso du palais. Toutefois, c’est bien filmé et réalisé, avec des performances exceptionnelles des deux actrices.
The Climb de Michael Angelo Covino (Prix coup de Cœur du jury)
Michael Angelo Covino (réalisateur et co-scénariste) et Kyle Marvin (co-auteur) sont deux amis de longue date qui voient leur amitié se briser au début lorsque Mike annonce à Kyle qu’il a couché avec sa fiancée alors qu’ils gravitaient les Alpes françaises à vélo sur les routes montantes du col de Vence non loin de Cannes – paraît-il un passe-temps de Thierry Frémaux, le directeur artistique du festival. Il est peu probable que cet atout ait contribué à la présence de The Climb dans la section Un Certain Regard.
Le film commence par l’histoire très amusante d’un homme qui raconte avoir trahi son meilleur ami. C’est l’un des rares moments où nous rions et nous détendions dans une sélection cannoise qui regroupe parfois tous les malheurs de notre planète.
Cependant, certaines séquences fonctionnent mieux que d’autres. Par moment on s’ennuie malgré les plusieurs rebondissements dans leur amitié. Le récit souffre ça et là de trous d’air. On a du mal à s’accrocher ou à être proche du personnage de Mike ou à comprendre comment Kyle après avoir été trahi à plusieurs reprises par son ami reste fidèle à cette amitié ?
C’est un premier long métrage, qui a plu à la presse anglo-saxon qui est sûre que ce film va être facilement distribué aux USA et à l’international. A croire certains journalistes « c’est un bijou caché » car : « il réussit à nous rappeler à quel point nous essayons de changer, d’évoluer ou de devenir quelqu’un d’autre, tout en restant malheureusement les mêmes ». Pas tout à fait vrai : « La personnalité reste-t-elle la même jusqu’à la fin de notre vie ou peut-elle être changée? Une nouvelle étude d’une durée de 50 années de données, suggère qu’il s’agit probablement d’un mélange des deux ». Prétendre être sûre tout le temps nous rappelle ce que Socrate disait « Je ne sais qu’une chose, ce que je ne sais rien ».
La conversation entre les deux amis sur le vélo se déroule en une seule et même impressionnante prise. Ensuite, chaque scène du film se révèle être une simple prise: funérailles, enterrement de vie de garçon, mariage et naissance du bébé de Kyle, deux grandes vacances et un séjour de ski hilarant et désagréable puis séparation de Kyle de sa femme pour rejoindre son ami d’enfance qui habite à deux pas de l’ex femme de Kyle… The Climb a été acquise à Cannes par Sony Pictures Classics.
La femme de mon frère de Monia Chokri (Prix coup de Cœur du jury aussi)
Un premier film sinueux trop long et déroutant surtout au début. Monia Chokri est également actrice, plus connue pour ses collaborations avec Xavier Dolan dans Les Amours imaginaires (2010) et Laurence Anyways (2012).
En dépit de toutes ses idiosyncrasies évidentes, Sophia (Anne Élisabeth Bossé) est au centre de la comédie La femme de mon frère de la jeune Québécoise Monia Chokri. Sophia est peut-être titulaire d’un doctorat en philosophie politique mais elle mène une vie rendue possible par une relation de dépendance avec son frère attrayant, le psychologue Karim (Patrick Hivon), qui les enferme tous les deux dans un état d’adolescence émotionnelle.
Cependant, ces traits distillés dans une femme par le scénario de Chokri et la performance irréprochable de Bossé, en font une héroïne agréablement improbable qui doit assumer ses responsabilités, apprendre quelques vérités dures et présenter ses excuses. Le problème, c’est que nous attendons trop longtemps pour apprendre tout cela. De plus ce récit aboutit à une fin un peu facile et énigmatique et ressemble aux films de Xavier Dolan dans sa structure narrative hystérique et bavardage inutile. Le fait que ce film ait été produit par Nancy Grant, qui produit également les films de Dolan, ne peut que l’aider. Sait-on jamais ?
Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec
L’animation 2D à l’aquarelle de Les hirondelles de Kaboul tant attendue de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, réalisatrices françaises, propose une adaptation du roman de Yasmina Khadra qui est un roman bavard. Beaucoup de mots et de figures de style mais dont rien ne se dégage réellement. Peu d’émotions, des personnages excessifs, des situations bancales, on reste à la surface du roman sans vraiment saisir où l’on veut nous emmener. On ne croit pas à cette histoire comme d’ailleurs dans son roman L’Attentat sur le conflit israélo-palestinien. Il semblerait que Yasmina Khadra ne connaisse ces deux pays que par ce qu’il voit à la télévision ou par ce qu’il entend à la radio.
Le film raconte l’épouvantable quotidien de deux couples d’afghans sous le régime des talibans. Ancien moudjahidine ayant combattu les Russes, Atiq est gardien d’une prison pour femmes. Il est marié à Mussarat en phase terminale d’un cancer. Mohsen et Zunaira forment de leur côté un jeune couple moderne. Lui est un intellectuel fragile, elle, une artiste libre qui peint enfermée chez elle en écoutant de la musique occidentale. Une fois que Zunaira devienne le dogme d’une idée de liberté, on aurait souhaité que les cinéastes aient choisi un meilleur chemin pour l’éloigner de son style de vie sécurisé avec son mari.
A part certains cadres plus expressifs, l’esthétique aquarelle délavée, n’est vraiment pas très beau. On a le sentiment que les deux cinéastes auraient pu être plus expérimentaux avec le format.
Vers la fin du récit, une très belle transition au cours duquel un plan large au-dessus d’un homme marchant avec une arme à feu se dissout progressivement en blanc, l’arrière-plan s’effaçant progressivement pour devenir alors une tache d’encre noire, qui se transforme en une volée d’oiseaux planant à travers l’écran.
Malheureusement, la dynamique des images du film est fondée sur le cinéma narratif conventionnel et beaucoup de scènes sont basées sur le dialogue. En privilégiant les expressions verbales aux expressions visuelles, les cinéastes donnent rarement à leur film un espace pour véritablement respirer. Des explosifs qui se balancent au centre d’un stade de football est plus poignant que toutes les scènes transformées en « Talking heads » comme disait Hitchcock. En ça, le film ressemble au roman bavard sans émotions de Yasmina Khadra bien que certains journaux prétendent que les puritains peuvent reprocher aux deux cinéastes de s’éloigner du roman !!!
Papicha de Mounia Meddour
Le film Papicha, premier long métrage de Mounia Meddour, s’adresse à toute personne désireuse de défendre les droits des femmes dans le monde arabo-musulman. Le film dépeint de jeunes femmes puissantes qui refusent de se plier au fondamentalisme. Elles débordent d’énergie et de figures sympathiques. Cependant, la finition est si insuffisante que, malgré la reconnaissance du sujet par le public et le slogan inévitable « vaguement inspiré par des événements réels« , Papicha nous manipule et nous agace.
Le film se déroule pendant la guerre civile algérienne dans les années 1990. Il raconte l’histoire d’une jeune femme obsédée par la mode et par sa liberté, comme beaucoup des femmes dans cette région dominée par la religion. Ce film échoue aux deuxième et troisième actes : les événements calamiteux décrits ne convainquent ni sur le plan narratif ni sur l’impact psychologique.
Il s’agit de l’un des cinq premiers ou deuxièmes films du Maghreb nord-africain qui était présenté à Cannes cette année. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’autre premier film algérien, Abou Leila, à la Semaine de la critique d’Amin Sidi-Boumediene, se déroule également pendant la décennie noire en Algérie. Cela suggère un besoin pour le pays de digérer ce qui s’est passé il y a 25 ans, étant donné que l’extrémisme et le fondamentalisme refont surface et le passé pourrait se reproduire.
Norma Marcos