Fin XIXe siècle, deux colons portugais, João de Mattos (Nuno Lopes) et Sant’Anna (Ivo Alexandre) débarquent dans un avant-poste commercial perdu le long du fleuve Congo. Ils arrivent des projets plein la tête: civiliser les Autochtones et s’enrichir en faisant commerce d’ivoire. Les mois passent, les beaux projets sombrent dans l’alcool, et les deux colons plongent dans un tel désœuvrement qu’une méfiance réciproque les éloigne l’un de l’autre.
La grande réussite d’Un avant-poste du progrès réside dans sa description de deux logiques, celle des colons et celle des colonisés, de plus, des rapports ambigus qui les lient. Vieira da Silva se livre à la mise à nu de la mythologie coloniale par le biais de ces deux colons. La présence portugaise en Afrique ne pouvait que donner naissance à toutes sortes de contes et légendes et s’en imprégner. Les deux colons, coincés entre le fleuve et la jungle, sont aussi des hommes de leur temps. Ils s’imaginent en bienfaiteurs. Ils mettent en place une organisation du temps de travail qui ne prend rien d’autre en compte qu’un mode de fonctionnement capitaliste occidental. L’intelligence du film est de montrer que des années de présence blanche en Afrique ont fini par corrompre jusqu’aux populations noires. Les chefs de tribus se comportent ni plus ni moins comme les colons. Ainsi, le commerce des esclaves n’est rien de moins que celui-ci exercé par les blancs. Ce que refuse de comprendre João de Mattas, tout entier convaincu de sa mission « civilisatrice ». Il se refuse à prendre des cornes d’ivoire parce que les trafiquants les ont échangées contre des esclaves. De son côté, Sant’Anna a bien compris ce nouveau monde, avec deux choix possibles : la soumission ou l’autodestruction.
De la « belle » mythologie coloniale il ne restera plus rien à la fin. L’absurdité gagne le film qui se transforme en une parodie de film muet des premiers temps. La forêt vierge aura englouti tous les rêves de grandeur des colons blancs.
Le scénario s’appuie sur une nouvelle de Joseph Conrad dont Vieira da Silva suit, autant qu’il n’en souvienne, assez fidèlement la trame. Un avant-poste du progrès est d’une certaine manière la petite sœur d’Au cœur des ténèbres. Les deux textes de Conrad sont issus d’une même expérience au Congo. Vieira da Silva la transpose simplement dans un contexte colonial portugais. Il n’est donc pas étonnant qu’au texte de Conrad s’ajoute un sentiment purement lusitanien, celui de la perte d’un monde mythique, d’un passé glorieux. Les deux colons sont les héritiers d’une histoire vieille de 400 ans de présence portugaise en Afrique. Confrontés à une réalité qui ne se plie pas à leurs désirs, ils se perdent dans l’alcool. Comme si l’état d’ébriété leur donnait à voir un monde conforme à leurs espérances. Ainsi, les jours s’écoulent comme le courant du fleuve qui emporte branchage, certitude et idéologie civilisationniste.
Hugo Vieira da Silva réussit parfaitement à saisir cette atmosphère de longueur et de déchéance. Ses comédiens, Nuno Lopes, Ivo Alexandre et David Caracol, sont remarquables. Une mention pour Ivo Alexandre qui dans un personnage débonnaire est extraordinaire.
Un Avant-poste du progrès au goût d’antichambre du chaos.
Fernand Garcia
Un Avant-poste du progrès (Posto Avançado do Progresso) un film de Hugo Vieira da Silva avec Nuno Lopes, Ivo Alexandre, David Caracol, Inês Helena, Antonio Mpinda, José Manuel Mendes… Scénario : Hugo Vieira da Silva d’après la nouvelle de Joseph Conrad. Directeur de la photographie : Fernando Lockett. Décors : Isabel Branco. Son : Pierre Tucat. Montage : Paulo Mil Homens. Montage son et mixage : Antonio Lopes. Producteur : Paolo Branco. Production : Leopardo Filmes – Republica Filmes avec la soutien de la RTP et de l’ICA. Distribution (France) : Alfama Films (Sortie le 10 mai 2017). Portugal. 121 minutes. Format image : 1,85 :1. Format son : 5.1. Couleur. DCP. Tous Publics. Berlinale 2016, sélection officielle Forum.