La genèse de Trauma (Burnt Offerings) fait désormais partie de la légende du cinéma. Il n’est pas inutile de la rappeler. Sergio Leone s’était passionné pour un petit roman policier semi-autobiographique : The Hoods d’Harry Grey. Il y trouve la matière nécessaire à développer un film de gangsters. Problème : les droits sont la propriété d’un autre cinéaste : Dan Curtis qui espère en faire un film pour la télévision. Le projet est toutefois dans les limbes suite aux refus des networks de le financer. Alberto Grimaldi, le producteur de Sergio Leone, entre en relation avec Dan Curtis. Les négociations s’enlisent. Grimaldi a alors une idée de génie : proposer à Dan Curtis de produire son prochain film pour le cinéma en échange des droits du roman d’Harry Grey. Curtis accepte. Burnt Offerings voit le jour, et Sergio Leone entame sa longue marche pour la concrétisation de son ultime et fabuleux rêve imprimé sur pellicule : Il était une fois en Amérique.
Trauma (titre français sûrement surgi de la tête d’un éditeur VHS) est plus qu’une simple compensation financière, certainement un des meilleurs films fantastiques des années 70. Malgré ses récompenses en pagaille dans les festivals du genre, Trauma n’aura qu’une exploitation confidentielle en France, une sortie VHS (charcutée de 7 minutes), mais sa renommée ira grandissante, ici comme ailleurs. Longévité qu’il doit à ses qualités et… à Shining.
Trauma raconte l’éclatement de la cellule familiale, le temps d’un été, dans une maison hantée. Le film est tiré d’un roman de Robert Marasco. A la fin des années 60, Marasco, professeur de latin, propose son script à différents producteurs. Lawrence Turman, intéressé, en acquiert les droits. Il propose la réalisation à Bob Fosse qui sort de l’échec commercial de Sweet Charity (1969). Le scénario est novateur et intrigue Bob Fosse ; il accepte la proposition. En cours de route, Fosse se désengage du projet pour se lancer dans Cabaret (1972), plus dans ses cordes qu’un film d’horreur. Le projet tombe à l’eau et scénario de Marosco disparaît des radars. Qu’importe, patiemment, Marosco transforme son scénario en roman. Et bingo, c’est un best-seller de l’année 1973. Le fantastique, ce moment-là, a le vent en poupe. La 20th Century Fox acquière les droits, et, après quelques refus de plusieurs cinéastes, le propose à Dan Curtis.
C’est un bon choix, Dan Curtis est une signature dans le film de genre, il doit sa renommée à la série Dark Shadows, l’un des soaps horrifiques plus célèbres de la télévision américaine. S’il réussit à la télévision, Curtis a du mal à passer au cinéma, ses deux premiers films : La Fiancée du vampire (House of Dark Shadows, 1970), Night of Dark Shadows (1971) n’ont pas rencontré le succès escompté. Trauma est l’opportunité de revenir au grand écran avec l’appuie d’un Studio, après une multitude de films pour la télévision. Comble de malchance pour Dan Curtis, la Fox produit au même moment La Maison des damnés (The Legend of Hell House, 1973), un autre film de maison hantée, tiré celui-ci d’un roman de Richard Matheson, un virtuose du genre, et réalisé par John Hough. Résultat : Trauma est purement et simplement annulé. Si l’adaptation cinématographique est au point mort, le roman poursuit sa vie.
Un lecteur va être grandement impressionné : Stephen King. Le jeune romancier y puise matière à nourrir l’un de ses plus célèbres titres : Shining. La famille, la création, l’invisible intéressent Stanley Kubrick, qui sur épreuve, avant la publication du livre, en achète les droits. Il revisite totalement le livre de Stephen King pour faire de son Shining une œuvre viscérale, métaphysique, débarrassée des clichés, conventions et hommages à Edgar Allan Poe. Kubrick débute le tournage de Shining, le 1er mai 1978. Il subsiste quelque chose de Marosco dans le film de Kubrick, tout comme pour le roman de King. Et peut-être même que le film de Dan Curtis a stimulé à son tour l’imaginaire de Kubrick. Poussant plus loin certaines intentions de Curtis. Ainsi, les photos du temps passé chez Curtis, ont-elles donné à Kubrick l’idée de la photo finale de Shining (fin différente du roman de King) ? Dan Curtis est un bon cinéaste qui n’a pas le génie de Kubrick, c’est indéniable, mais sa mise en scène n’en demeure pas moins remarquable et novatrice.
Revenons à Trauma. Dan Curtis qui n’avait pas abandonné l’idée de porter à l’écran Trauma accepte donc la proposition d’Alberto Grimaldi. Il cumule les postes de réalisateur et de producteur. Le roman de Marosco est adapté par une légende de la science-fiction et de la Dark Fantasy : William F. Nolan, grand ami de Dan Curtis. Nolan est célèbre pour son roman L’Age de cristal (Logan’s Run) coécrit avec George Calyton Johnson qui donnera lieu à un bon film de science-fiction et à une sympathique série TV.
Dan Curtis s’octroie une distribution quatre étoiles. Pour son couple, il engage Karen Black et Oliver Reed. Karen Black, après le succès d’Easy Rider (1969) de Dennis Hopper et de Cinq pièces faciles (Five Easy Pieces, 1970) de Bob Rafelson, est une étoile montant. Elle représente un nouveau type d’actrice issue de la contre-culture. Très vite, les studios, Universal en particulier, la récupèrent pour leurs productions : 747 en péril (Airport 1975), où elle incarne une hôtesse de l’air dans un avion en perdition secouru par Charlton Heston, et pour Complot de famille (Family Plot, 1976), le dernier film d’Alfred Hitchcock.
Oliver Reed est une personnalité forte, acteur fétiche de Ken Russell, il a mauvaise réputation. Ses compositions ne laissent pas indifférent, il passe aussi bien de la bestialité de La Nuit du loup-garou (The Curse of the Werewolf, 1961)à l’aristocratie anglaise de Love (Women in Love, 1969). Bette Davis accepte d’endosser le rôle de la tante Elizabeth, personnage secondaire, mais important. Comme Oliver Reed, Davis n’a pas bonne réputation. En associant les deux, Dan Curtis ne se doutait pas qu’il allait vivre un enfer.
Les deux acteurs vont se détester copieusement, et l’entente entre Davis et Black est des plus électriques. L’ambiance sur le tournage est délétère. Bette Davis ira jusqu’à dire qu’il s’agit là du plus mauvais film de sa carrière ! L’actrice a tort et sa prestation dans Trauma est formidable. Peut-être a-t-elle détesté la scène de sa mort, véritable choc, brutal et réaliste. Curtis est-il allé trop loin à ses yeux ? Toujours est-il que pour un observateur lointain, Trauma reste l’une des meilleures performances de l’actrice dans la dernière période de sa carrière. Le reste de la distribution est vraiment excellent : Burgess Meredith, impeccable, le petit garçon, Lee H. Montgomery, très bon, et Anthony James en chauffeur de l’au-delà a de quoi vous glacer le sang. Le couple sombre petit à petit, s’éloignant l’un de l’autre, basculant dans un autre monde, dark et violent. Ben (Oliver Reed) s’en prend à son fils dans une terrifiante scène de piscine, où il est à deux doigts de le noyer. Le monde occulte demande sa part de sacrifice humain.
Tout est affaire de temps, Trauma patiemment a fini par intégrer la liste des plus grandes œuvres du genre. Un classique à redécouvrir.
Fernand Garcia
Trauma est édité (en combo) pour la première fois en HD (magnifique report) et en version intégrale en France, sous la bannière de Rimini Editions. En complément de programme trois interviews passionnantes : Anthony James évoque sa carrière « de presque 30 ans », avec beaucoup d’humour : « Je suis un bon acteur, mais impossible de faire semblant d’être petit » (17 minutes). Lee Montgomery, ses souvenirs de tournage et de Dan Curtis, « il était un peu comme un père pour moi. Adorable ! » (16 minutes) et de Williams F. Nolan. L’écrivain rencontre Dan Curtis chez Richard Matheson, c’est le début d’une longue et fructueuse collaboration (13 minutes). Enfin la bande-annonce américaine de Trauma (2 minutes. Belle édition que complète un fascicule, Un été d’enfer, bourré d’informations sur le film par Marc Toullec (13 pages). Une édition incontournable pour tous les amateurs du genre.
Trauma (Burnt Offerings) un film Dan Curtis avec Karen Black, Oliver Reed, Bette Davis, Burgess Meredith, Lee H. Montgomery, Eileen Heckart, Bud Taylor, Anthony James… Scénario : William F. Nolan et Dan Curtis d’après le roman de Robert Marasco. Directeur de la photographie : Jacques Marquette. Photographie additionnelle : Stevan Larner. Décors : Eugene Lourie. Costumes : Ann Roth. Effets spéciaux : Clifford Wenger. Montage : Dennis Virkler. Musique : Robert Cobert. Producteurs : Dan Curtis (et Alberto Grimaldi). Production : P.E.A. Films, INC. – Dan Curtis Productions, INC. – United Artists. Etats-Unis. 1976. 116 minutes. Couleur. DeLuxe. Panavision. Format image : 1,85 :1. Grand Prix du Festival du film fantastique de Los Angeles 1979 et de New York 1980.