Première Partie : Toute la mémoire du monde, les enjeux pour demain
Moment privilégié qui met l’accent sur les grandes questions techniques qui préoccupent cinémathèques et archives mais aussi, bien évidemment, laboratoires techniques, éditeurs, distributeurs, exploitants et cinéphiles, le festival Toute la mémoire du monde a une fois de plus, cette année encore, proposé une programmation exceptionnelle en donnant à voir aux spectateurs les chefs-d’oeuvre comme les œuvres moins connues (curiosités, raretés et autres incunables) du patrimoine du cinéma. En seulement trois éditions, Toute la mémoire du monde s’est déjà imposé comme étant LE grand rendez-vous dédié à la célébration et à la découverte du patrimoine cinématographique mondial.
Créé par La Cinémathèque française en partenariat avec le Fonds Culturel Franco-Américain et avec le soutien de ses partenaires institutionnels et les ayants droit essentiels aux questions de patrimoine, ce festival est incontournable pour les cinéphiles passionnés, les amoureux du patrimoine cinématographique, les archivistes, les historiens, les chercheurs et tant d’autres. En proposant un panorama des plus belles restaurations réalisées à travers le monde, il salue non seulement le travail quotidien des équipes des différentes institutions, mais nous fait aussi prendre toute la mesure de la richesse incommensurable de cet Art qui n’a de cesse de témoigner tout en se réinventant tout le temps.
Francis Ford Coppola, invité de prestige du Festival, était en quelque sorte, « Le Parrain » de cette édition qui lui a rendu hommage en présentant non seulement certains de ses films dont l’incomparable trilogie du Parrain à l’occasion d’une nuit exceptionnelle, mais également en proposant plusieurs rencontres avec le Maître : Une Master Class sur ses années 80; une conférence autour du projet de restauration de Napoléon d’Abel Gance dont il est l’ayant droit monde; ainsi qu’une conversation avec Costa-Gavras.
Nous reviendrons plus en détail sur cet hommage à Francis Ford Coppola dans la deuxième partie de l’article.
Lors d’une journée de rencontres internationales, pour tout savoir de l’actualité des questions brûlantes que posent la restauration, la conservation, la collecte et la diffusion des œuvres, l’excellente programmation proposait entre autres cette année, des débats, des rencontres, des conférences, des séances ciné-concerts et des tables rondes sur des sujets aussi divers et variés que : Pour une histoire de la restauration des films: des premières reconstructions aux interventions en numérique, État des lieux de la numérisation et de la restauration des films en France, Reproduit-on l’oeuvre originale dans une restauration ?, La restauration des films anciens face à l’arrivée des nouvelles technologies de diffusion, Que projetterons-nous demain en salle : quel futur pour la projection pellicule, quelles questions la projection numérique soulève-t-elle ?, De la Collection Rohauer à la Cohen Film Collection, Le projet Lumière à l’occasion de la future exposition Lumière ! au Grand Palais et de la restauration des principales vues Lumière, État des lieux de la diffusion du patrimoine en France, Francis Ford Coppola dans les années 80, l’homme et son rêve, Restaurer le Napoléon d’Abel Gance : nécessité, ambition et méthode d’un vaste chantier, Naissance du Technicolor,… Autant de thématiques et de questions posées qui sont au cœur des préoccupations professionnelles : Entre faire renaître, restaurer, et préserver, plus qu’un travail, un défi, une gageure d’équilibriste. Comment parvenir à un juste équilibre entre préservation et restauration ? Comment parvenir à un juste équilibre entre l’Art et la Technique ? Comment la Technique peut-elle venir en aide à l’Art sans le dénaturer ?
Plus largement, ce sont les travaux de recherche, de collecte, de restauration et de sauvegarde qui sont mis en lumière ici et dont les questions sont au cœur même des enjeux de la « mémoire ». « Mémoire » qui, inévitablement, pose la question de la transmission du patrimoine cinématographique au public. Le cinéma possède et permet d’offrir à l’Homme une « mémoire » du monde, une « mémoire » de son histoire. Comment la préserver et la diffuser ?… Le Cinéma est un témoin de l’Histoire. Le patrimoine est précieux. Ces « actions » sont donc essentielles. Elles permettent non seulement aux spectateurs de découvrir quelques-uns des secrets des évolutions de la fabrication des films dans le temps ou encore de celles des techniques de restauration, mais surtout de favoriser le lien entre les œuvres qui fondent notre « mémoire » et les cinéphiles. Permettre au public de découvrir ou de redécouvrir sur grand écran de nombreux films restaurés. La technologie au service de la mémoire cinématographique permet au spectateur d’assister à des projections sublimes d’œuvres exceptionnelles et rares. A l’instar de dispositifs tels que « Collège au Cinéma » destinés au jeune public, le rôle d’une telle manifestation relève du travail de l’éducation à l’image. Chacun doit pouvoir avoir accès à une culture cinématographique, essentielle à la culture mondiale au sens le plus large du terme. Il faut connaître notre passé car notre patrimoine nous aide à comprendre notre présent. Rien ne se crée aujourd’hui et rien ne se créera demain sans l’héritage d’hier. Bien plus qu’une « simple » question de mémoire, la connaissance du cinéma et de son histoire protège l’avenir de notre civilisation. Comme pour l’Histoire, le « passé » du cinéma doit être présent dans nos mémoires car il féconde son propre avenir et le nôtre. Le Cinéma et son histoire sont l’affaire de tous. Il en va de notre responsabilité que cette mémoire collective accompagne les générations futures d’une éducation à l’image et au cinéma afin qu’elles apprennent à lire, comprendre et apprécier toute la richesse et l’intelligence que propose cet Art, primordial à la connaissance du monde. C’est par la connaissance que l’on développe, affine et aiguise sa culture, son esprit critique et son jugement.
C’est donc par sa protection, sa restauration et sa diffusion au plus grand nombre que passe la sauvegarde du cinéma, que passe la sauvegarde de son histoire, de sa mémoire et de son avenir.
En association avec l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE) et l’Agence pour le Développement Régional du Cinéma (ADRC), initié l’an dernier, le Festival a offert aux spectateurs la possibilité d’assister, cette année encore, à des projections « Hors les murs » de la Cinémathèque, dans une vingtaine de salles de cinéma Art et Essai de France, à Paris (au Grand Action, au Champo, au Louxor, à la Filmothèque du Quartier Latin ainsi qu’à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé), en Île-de-France ou encore en province comme au cinéma Lux à Caen. Des salles qui œuvrent et participent activement à la défense de la culture cinématographique au quotidien.
Cinq jours durant, le festival a proposé une quarantaine de séances de films rares ou restaurés répartis en différentes sections.
Dans la section « Restaurations et Incunables« , on a par exemple pu voir Tabou (Tabu: A Story of the South Sea, 1931) de Friedrich Wilhelm Murnau, Goupi Mains Rouges (1942) de Jacques Becker, séances présentées par Jean Becker et Noël Véry. Les Contes d’Hoffmann (The Tales of Hoffmann, 1951) de Michael Powell et Emeric Pressburger, dont la restauration, en partenariat avec le FCFA (Fonds Culturel Franco-Américain), a été financée et réalisée par The Film Foundation de Martin Scorsese et que Les Acacias ressort en salles le 1er avril 2015. Sherlock Holmes (1916) de Arthur Berthelet, Contes cruels de la jeunesse (Seishun Zankoku Monogatari, 1960) de Nagisa Oshima, dont la restauration en 4K a été supervisée par la Shôchiku et que Carlotta Films ressort en salle prochainement. Mouchette (1966) de Robert Bresson, séance présentée par Mylène Bresson, Le Temps retrouvé (1998) de Raoul Ruiz, restauré en 2K, L’Audience (L’Udienza, 1971) de Marco Ferreri, restauré par le Museo Nazionale del Cinema de Turin et la Cineteca de Bologne, séance présentée par Claudia Cardinale. Macbeth (The Tragedy of Macbeth, 1971) de Roman Polanski, restauré en 4K par Sony Pictures et Criterion sous la supervision de Polanski et qu’il est lui-même venu présenter au Festival. Boris Godounov (1989) de Andrzej Zulawski, restauré en 2K par Gaumont sous la supervision de Zulawski et qu’il est, lui aussi, lui-même venu présenter au Festival…
La section « Trésors de la collection Cohen » a rendu hommage à la mythique collection créée par Raymond Rohauer et que l’on estime à plus de sept cents titres couvrants les soixante-quinze années les plus riches de l’histoire du cinéma. Constituée notamment grâce à des dons exceptionnels de Buster Keaton, Douglas Fairbanks ou encore Harry Langdon, cette collection a pour objectif de sauver les trésors d’hier pour le public de demain. Le Festival a permis aux spectateurs de redécouvrir sur grand écran des chefs-d’oeuvre restaurés tels que Jezebel (Another Man’s Poison, 1951) de Irving Rapper avec Bette Davis, Gary Merrill et Emlyn Williams, restauré en 2K par la Cohen Film Collection, Le Masque Arraché (Sudden Fear, 1952) de David Miller avec Joan Crawford et Jack Palance, restauré en 2K par la Cohen Film Collection ou encore, Le Mécano de la Général (The Général, 1926) de Buster Keaton et Clyde Bruckman avec Buster Keaton et Marion Mack, restauré en 4K par la Cohen Film Collection et qui a fait l’objet de la séance ciné-concert de clôture du Festival.
La section « Une Histoire de la couleur au cinéma – Naissance du Technicolor : 1915-1939« , en partenariat avec TCM Cinéma, la chaîne du meilleur du cinéma américain, donnait quant à elle la possibilité de voir et de découvrir sur grand écran les œuvres colorisées par la Technicolor Corporation créée fin 1915 par des diplômés du M.I.T. qui, en cherchant à trouver une solution au problème de la couleur dans l’industrie cinématographique a apporté une nouvelle esthétique au cinéma hollywoodien. Cette section a proposé entre autres des séances de films tels que : Le Pirate Noir (The Black Pirate, 1926) de Albert Parker avec Douglas Fairbanks et Billie Dove, préservé par le British Film Institute et le laboratoire Technicolor, Le Réprouvé (Redskin, 1929) de Victor Schertzinger avec Richard Dix et Julie Carter, restauré par la Library of Congress, Mammy (1930) de Michael Curtiz avec Al Jolson et Loïs Moran, restauré par UCLA Film & Television Archive, Masques de Cire (Mystery of the Wax Museum, 1933) de Michael Curtiz avec Lionel Atwill et Fay Wray, préservé par la Library of Congress, Les Aventures de Robin des Bois (The Adventures of Robin Hood, 1937) de Michael Curtiz avec Errol Flynn et Olivia De Havilland, restauré par le MoMA, La Baie du destin (Wings of the Morning, 1936) de Harold D. Schuster avec Annabella et Henry Fonda, restauré en 2K par la Cohen Film Collection en collaboration avec le British Film Institute, Une Étoile est née (A Star is Born, 1937) de William Wellman avec Janet Gaynor et Fredric March, restauré par UCLA Film & Television Archive, Autant en emporte le vent (Gone with the Wind, 1939) de Victor Fleming avec Clark Gable et Vivian Leigh, restauré en 4K par Warner ou encore, Sur la piste des Mohawks (Drums Along the Mohawk, 1939) de John Ford avec Claudette Colbert et Henry Fonda, dont la copie en Technicolor original, issue de la collection de la Cinémathèque Française, a été projetée aux chanceux et privilégiés festivaliers pour leur plus grand plaisir.
Steve Le Nedelec
Toute la mémoire du monde – 3ème édition – Festival International – Du 28 janvier au 01 février 2015 à la Cinémathèque Française et « Hors les murs ».
Une réflexion au sujet de « Toute la mémoire du monde 2015 – Bilan 1e partie »
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