Toute la Mémoire du Monde 2016 – Compte-rendu et réflexion

4ème édition du Festival International du film restauré,

Toute la mémoire du monde

Cinémathèque Française et « Hors les murs »

Compte-rendu et réflexion

Première Partie : Toute la mémoire du monde, le passé est un présent pour demain.

Moment privilégié de réflexion, d’échange et de partage qui met l’accent sur les grandes questions techniques et éthiques qui préoccupent cinémathèques et archives mais aussi, bien évidemment (on l’espère encore !), laboratoires techniques, éditeurs, distributeurs, exploitants et cinéphiles, le festival « Toute la mémoire du monde », né dans le contexte de basculement du cinéma dans l’ère du numérique, a une fois de plus, cette année encore, proposé une programmation exceptionnelle en donnant à voir aux spectateurs les chefs d’œuvre comme les œuvres moins connues (curiosités, raretés et autres incunables) du patrimoine du cinéma. Avec un élargissement dans Paris et en régions, pour sa quatrième édition, le Festival International du film restauré « Toute la mémoire du monde » s’affirme comme étant LE grand rendez-vous dédié à la célébration et à la découverte du patrimoine cinématographique mondial.

Créé par La Cinémathèque française en partenariat avec le Fonds Culturel Franco-Américain et Kodak, et avec le soutien de ses partenaires institutionnels et les ayants droit essentiels aux questions de patrimoine, ce festival est incontournable pour les cinéphiles passionnés, les amoureux du patrimoine cinématographique, les archivistes, les historiens, les chercheurs et tant d’autres. En proposant un panorama des plus belles restaurations réalisées à travers le monde, il salue non seulement le travail quotidien des équipes des différentes institutions, mais nous fait aussi prendre toute la mesure de la richesse incommensurable de cet Art qui n’a de cesse de témoigner tout en se réinventant tout le temps.

Paul Verhoeven Robocop

C’est donc le « sulfureux » Paul Verhoeven, invité d’honneur, parrain du Festival cette année, qui a succédé à Francis Ford Coppola et à William Friedkin. Cette édition lui a rendu hommage en présentant non seulement certains de ses films, dont l’incomparable Robocop (1987) remasterisé par MGM Studios en avant-première de sa ressortie en salles le 9 mars prochain, mais aussi, en lui consacrant une nuit exceptionnelle permettant de (re)découvrir trois films emblématiques de sa carrière aux Etats-Unis, Total Recall (1989), Showgirls (1995) et Starship Troopers (1997), en lui offrant une carte blanche, ou encore, en proposant une rencontre avec le réalisateur, une Master Class à l’issue de la projection de son film Spetters (1980).

Tenebres Dario Argento

Mais cette quatrième édition était cette année d’autant plus prestigieuse qu’elle honorait également, en sa présence, un autre très grand cinéaste, pour ne pas dire un Maître, en proposant aux spectateurs de (re)voir sur grand écran pas moins de six de ses films restaurés, L’Oiseau au plumage de cristal (1969), Le Chat à neuf queues (1970), Les Frissons de l’angoisse (1974), Suspiria (1976), Ténèbres (1982) et Phénoména (1984) ) : J’ai nommé, l’immense Dario Argento. Nous reviendrons plus en détail par la suite sur ces deux grands cinéastes qui, chacun dans son genre, ont significativement transformé le cinéma dans les années 1970, ainsi que sur les hommages qui leur ont été consacrés lors du festival.

Lors d’une journée de rencontres internationales, pour tout savoir de l’actualité des questions brûlantes que posent la restauration, la conservation, la collecte et la diffusion des œuvres, l’excellente programmation proposait entre autres cette année, des débats, des rencontres, des conférences, des séances ciné-concerts et des tables rondes sur des sujets aussi divers et variés que : « Problèmes éthiques et méthodologiques dans la restauration numérique. », « Restaurer d’anciens procédés sonores. Etudes de cas. », « Recherches pour la datation des éléments filmiques dans les archives. », « Sortir un film de patrimoine en salle. », « Un nouveau paysage des salles de patrimoine ? », « Restaurer l’œuvre de Raoul Ruiz », « Image numérique et image argentique, quelles différences perceptives ? », « Du grain au pixel. Numériser Le Vent de la nuit à partir de trois pellicules négatives des années 1990 », « Argentique et numérique. Quelle continuité ? », « Introduction à l’œuvre suédoise de Victor Sjöström et Mauritz Stiller », « Technicolor et les débuts de la couleur », « Introduction à l’œuvre de Louis Delluc ». Autant de thématiques et de questions posées qui sont au cœur des préoccupations professionnelles : Entre faire renaître, restaurer, et préserver, plus qu’un travail, un défi, une gageure d’équilibriste. Comment parvenir à un juste équilibre entre préservation et restauration ? Comment parvenir à un juste équilibre entre l’Art et la Technique ? Comment la Technique peut-elle venir en aide à l’Art sans le dénaturer ?

Plus largement, ce sont les travaux de recherche, de collecte, de restauration et de sauvegarde qui sont mis en lumière ici et dont les questions sont au cœur même des enjeux de la « mémoire ». « Mémoire » qui, inévitablement, pose la question de la transmission du patrimoine cinématographique au public. Le cinéma possède et permet d’offrir à l’Homme une « mémoire » du monde, une « mémoire » de son histoire. Comment la préserver et la diffuser ? Le Cinéma est un témoin de l’Histoire. Le patrimoine est précieux. Nous nous devons de le préserver afin de préparer l’avenir. Ces « actions » sont donc essentielles. Elles permettent non seulement aux spectateurs de découvrir quelques-uns des secrets des évolutions de la fabrication des films dans le temps ou encore de celles des techniques de restauration. Mais ces actions permettent surtout de favoriser le lien entre les œuvres qui fondent notre « mémoire » et les cinéphiles. Permettre au public de découvrir ou de redécouvrir sur grand écran de nombreux films restaurés, des trésors historiques. La technologie au service de la mémoire cinématographique permet au spectateur d’assister à des projections sublimes d’œuvres exceptionnelles et rares. A l’instar de dispositifs tels que « Collège au Cinéma » destinés au jeune public, le rôle d’une telle manifestation relève du travail de l’éducation à l’image. Chacun doit pouvoir avoir accès à une culture cinématographique, essentielle à la culture mondiale au sens le plus large du terme. Il faut connaître notre passé car notre patrimoine nous aide à comprendre notre présent. Rien ne se crée aujourd’hui et rien ne se créera demain sans l’héritage d’hier. Bien plus qu’une « simple » question de mémoire, la connaissance du cinéma et de son histoire protège l’avenir de notre civilisation. Comme pour l’Histoire, le « passé » du cinéma doit être présent dans nos mémoires car il féconde son propre avenir et donc le nôtre. Le Cinéma et son histoire sont l’affaire de tous. Il en va de notre responsabilité que cette mémoire collective accompagne les générations futures d’une éducation à l’image et au cinéma afin qu’elles apprennent à lire, comprendre et apprécier toute la richesse et l’intelligence que propose cet Art, primordial à la connaissance du monde. C’est par la connaissance que l’on développe, affine et aiguise sa culture, son esprit critique et son jugement. L’Art en général et le cinéma en particulier nous « élève »; dans tous les sens du terme. Il nous instruit et il nous éduque. Il nous emmène au-delà de notre propre condition.

C’est donc par sa protection, sa restauration et sa diffusion au plus grand nombre que passe la sauvegarde du cinéma, que passe la sauvegarde de son histoire, de sa mémoire et de son avenir.

Cinq jours durant, le festival a donc proposé cette année près d’une centaine de séances de films rares ou restaurés répartis en différentes sections.

Dans la section « Restaurations et Incunables« , qui comprenait près de trente séances dont des hommages à deux cinéastes récemment disparus (Chantal Akerman et Manoel de Oliveira). On a par exemple pu voir Un Reportage tragique (The Grim Game, 1919) de Irvin Willat, L’Admirable vision (La Mirabile visione, 1921) de Caramba / Luigi Sapelli, Les Deux timides (1928) de René Clair, restauré en 4K par La Cinémathèque française et le San Francisco Silent Film Festival, avec l’aide du CNC pour la numérisation du patrimoine cinématographique, à partir du négatif original acquis par La Cinémathèque française en 1958 et sauvegardé par Henri Langlois.

Morocco

Cœurs Brûlés (Morocco, 1930) de Josef von Sternberg, La Belle Equipe (1936) de Julien Duvivier, Les Egarés (Gli Sbandati, 1954) de Francesco Maselli, séance présentée par Jean-Pierre Mocky ; Les Espions (1957) de Henri-Georges Clouzot, restauré en 2K par TF1 DA, La Cité des Morts (The City of the Dead, 1959) de John Llewllyn Moxey, restauré en 2K par la Cohen Film Collection, Une aussi longue absence (1960) de Henri Colpi, Le Jour où la Terre prit feu (The Day the Earth Caught Fire, 1961) de Val Guest, numérisé en 4K par BFI National Archive ; Léon Morin, prêtre (1961) de Jean-Pierre Melville, restauré par Studio Canal avec le soutien du CNC, séance présentée par Jean-Paul Belmondo, Le Lapin, c’est moi (Das kaninchen bin ich, 1965) de Kurt Maetzig, Les poings dans les poches (I pugni in tasca, 1965) de Marco Bellocchio, restauré et numérisé par la Cineteca di Bologna ; Le Boucher (1969) de Claude Chabrol, numérisé par Artédis, séance présentée par Stéphane Audran, Belladonna des Tristesses (Kanashimi no Belladonna, 1973) de Eiichi Yamamoto, restauré en 4K par Cinelecious et que Eurozoom ressort en salle prochainement.

Jeanne Dielman

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) de Chantal Akerman, restauré par la Cinémathèque Royale de Belgique à partir du négatif original caméra couleur 35 mm ; Insiang (1976) de Lino Brocka, restauré en 4K par The Film Foundation’s World Cinema Projet et The Film Development Council of the Philippines, restauration menée par la Cineteca di Bologna et que Carlotta ressort en salle l’été prochain, séance présentée par Jacques Fieschi ; L’Hypothèse du tableau volé (1978) de Raoul Ruiz, restauré en 2K par l’INA, Losing Ground (1982) de Kathleen Collins, restauré par Nina Lorez Collins en 2012 à partir d’une copie 16 mm conservée par l’Indiana University’s Black Film Archive ; Tricheurs (1983) de Barbet Schroeder, restauré en 2K par Les Films du Losange avec le soutien du CNC, à partir du négatif original numérisé en 4K, sous la supervision de Barbet Schroeder et qu’il est lui-même venu présenter au Festival accompagné de Bulle Ogier ; Ran (1985) de Akira Kurosawa, restauré en 4K à partir du négatif original par le laboratoire Éclair, sous la supervision de StudioCanal ; Noce Blanche (1989) de Jean-Claude Brisseau, restauré en 2K par Les Films du Losange avec le soutien du CNC, à partir du négatif original numérisé en 4K, sous la supervision de Jean-Claude Brisseau et qu’il est lui-même venu présenter au Festival ; Conte d’été (1995) de Eric Rohmer, restauré en 2K par Les Films du Losange avec le soutien du CNC, à partir du négatif original et que sont venu présenter Amanda Langlet et Melvil Poupaud au Festival ; ou encore Visite ou mémoires et confessions (Visita ou memorias e confissões, 1982) de Manoel De Oliveira, qui, à l’issue de sa réalisation, avait déposé le négatif et une copie du film à la Cinémathèque portugaise qui, à sa demande, les a conservés et sauvegardés et que Epicentre ressort en salle en avril prochain, séance présentée par des proches du cinéaste.

La section « L’école Suédoise, lyrisme de la nature » proposait films, ciné-concerts, rencontres et conférences. En collaboration avec le Svenska Filminstitutet, un hommage au Svenska Biografteatern, studio suédois mythique où, dès le début des années 1910, Charles Magnusson, le producteur qui le dirige, décide de le rapprocher de Stockholm et d’y faire construire de nouveaux studios. Pour mettre en scène ses films de fiction inspirés de célèbres œuvres littéraires et d’évènements historiques, il engage trois comédiens et metteurs en scènes de théâtre de renom : Mauritz Stiller, Victor Sjöström et Georg af Klercker.

La charette fantome

Cette nouvelle génération de cinéastes venus du théâtre va affirmer un style révolutionnaire qui s’oppose aux productions de leur époque qu’ils jugent médiocres. Apprenant rapidement les ficelles du métier et enchaînant les films, réalisant parfois chacun jusqu’à sept films par an, les trois hommes deviennent bientôt trois figures de proue du cinéma suédois. Le Festival a permis aux spectateurs de (re)découvrir sur grand écran des œuvres majeures restaurés par le Svenska Filminstitutet tels que Ingeborg Holm (1913) de Victor Sjöström, Terje Vigen (1917) de Victor Sjöström, Les Proscrits (Berg-ejvind och hans hustru, 1918) de Victor Sjöström, Le Trésor d’Arne (Herr Arnes pengar, 1919) de Mauritz Stiller, Le Monastère de Sendomir (Klostet i Sendomir, 1920) de Victor Sjöström, Vers le bonheur (Erotikon, 1920) de Mauritz Stiller, Le Vieux Manoir (Gunnar hedes saga, 1923) de Mauritz Stiller ou encore La Charrette Fantôme (Körkarlen, 1921) de Victor Sjöström qui a fait l’objet de la séance ciné-concert de clôture du Festival.

Une conférence intitulée « Introduction à l’œuvre suédoise de Victor Sjöström et Mauritz Stiller » et présentée par Jon Wengström (directeur des collections films du Svenska Filminstitutet depuis 2003) était également au programme afin de mieux comprendre, connaître et situer ces cinéastes et leurs œuvres dans l’histoire du cinéma et celle de la Suède.

La section « Une Histoire de la couleur au cinéma – Technicolor, années 1940 et 1950″ donnait quant à elle la possibilité de voir et de découvrir sur grand écran les œuvres colorisées par la Technicolor Corporation créée fin 1915 par des diplômés du M.I.T. qui, en cherchant à trouver une solution au problème de la couleur dans l’industrie cinématographique a apporté une nouvelle esthétique au cinéma hollywoodien. Un procédé technique vers lequel se tournent tous les grands studios américains suite au succès d’Autant en emporte le vent en 1939, ouvrant alors la période dite du « Glorious Technicolor » durant laquelle la couleur devient le véhicule principal du rêve et de l’irréel. Les projections des films présentés dans cette section ont été proposées dans des conditions exceptionnelles.

The African Queen

Les spectateurs se sont en effet vu présenter des copies technicolor 35 mm d’une extrême rareté, tirées par imbibition, procédé comparable à la lithographie consistant à « coucher » les encres colorées sur des matrices en relief. Films, rencontres, conférence mais aussi Cartoons étaient au programme : African Queen (The African Queen, 1951) de John Huston, dans une copie 35 mm Technicolor originale (tirage par imbibition) en provenance de l’Academy Film Archive, Les Dix Commandements (The Ten Commandments, 1954) de Cecil B. DeMille, dans une copie 35 mm Technicolor originale (tirage par imbibition) issue des collections du ConstellationCenter à l’Academy Film Archive ; Le Narcisse Noir (Black Narcissus, 1947) de Michael Powell et Emeric Pressburger, restauré par ITV Studios Global Entertainment et distribué en salles par Carlotta, L’Or et l’Amour (Great Day in the Morning, 1955) de Jacques Tourneur, dans une copie 35 mm Technicolor originale (tirage par imbibition) du BFI National Archive ; Rivière sans retour (River of no return, 1953) de Otto Preminger, copie numérisé en 2K par Théâtre du Temple ; Le Secret magnifique (Magnificent Obsession, 1953) de Douglas Sirk, dans une copie 35 mm Technicolor originale (tirage par imbibition) issue des collections de la ConstellationCenter à l’Academy Film Archive.

The Band Wagon

Tous en scène ! (The Band Wagon, 1953) de Vincente Minnelli, dans une copie 35 mm Technicolor originale (tirage par imbibition) issue des collections de Lowell Peterson, ASC à l’Academy Film Archive ; Sueurs Froides (Vertigo, 1957) de Alfred Hitchcock, dans une copie 35 mm Technicolor originale (tirage par imbibition) déposée en 1968 par Alfred Hitchcock à la Cinémathèque française, séance présentée par Paul Verhoeven dans le cadre de sa carte blanche ; Le Voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad, 1940) de Michael Powell, Tim Whelan et Ludwig Berger, restauré en 2K par ITV Studios Global Entertainment et distribué en salles par Carlotta ou encore, en hommage à la Warner, une sélection de Cartoons en Technicolor, dans des copies 35 mm Technicolor originales (tirage par imbibition) issues des collections de Paul Rayton, de l’Academy Film Archive ou encore des collections de la ConstellationCenter.

Dans le cadre du Conservatoire des techniques cinématographiques, était également ouverte au public, une conférence intitulée « Technicolor et les débuts de la couleur », avec des interventions sur le Kinemacolor et le Technicolor mais aussi des projections de films et une présentation sur scène du projecteur Kinemacolor et de la caméra trichrome Technicolor de 1932, deux appareils rarissimes issus des collections de la Cinémathèque française.

La section « 120 ans de la Gaumont » a rendu hommage à la société fondée en 1895 par Léon Gaumont dont l’histoire se confond avec celle du cinéma. Les restaurations des films produits par la société dans la sélection présentée vont de ses pionniers au renouveau apporté par Daniel Toscan du Plantier par ses choix audacieux dans les années 1970-80.

La cité des femmes

Les films proposés dans cette section : La danseuse orchidée (1928) de Léonce Perret, restauré par Gaumont Pathé Archives et la Cineteca di Bologna, Antoine et Antoinette (1946) de Jacques Becker, restauré en 2K par Gaumont, La Cité des Femmes (La Città delle Donne, 1979) de Federico Fellini, numérisé en 2K par Gaumont, La Fille prodigue (1980) de Jacques Doillon, numérisé en 2K par Gaumont et que sont venus présenter Jacques Doillon, Jane Birkin et Michel Piccoli ; Querelle (1982) de Rainer Werner Fassbinder, dans une version non censurée restaurée en HD par Gaumont. Une séance ciné-concert proposant une sélection de courts métrages intitulée « Films Gaumont des premiers temps » et regroupant des œuvres réalisées par les pionniers du cinéma était également au programme. On y retrouvait des œuvres de Louis Feuillade avec Le violon (1908), Léonce Perret avec Oscar au bain (1913), Alice Guy avec Sur la barricade (1907), Georges-André Lacroix avec Les chalands (1911), Étienne Arnaud avec Christophe Colomb (1910), Jean Durand avec Non ! Tu ne sortiras pas sans moi (1911) ou encore Émile Cohl avec Le peintre néo-impressionniste (1910).

La section « Louis Delluc, un impressionniste » a fait la part belle à cette figure importante de la première avant-garde française des années 1920, désignée comme « École Impressionniste », qui fut à la fois, non seulement un pionnier et un visionnaire de la critique de cinéma, un auteur de romans, de poèmes et de pièces de théâtre, mais également, un producteur et un cinéaste important, moderne et novateur, dont la force principale du talent réside dans une mise en scène épurée où la perfection plastique dirige la narration. C’est d’ailleurs Louis Delluc lui-même qui inventa le terme de « cinéaste ». Il a réalisé sept films dans lesquels l’usage des décors naturels lui a permis de rompre avec les lourdeurs psychologiques du cinéma de l’époque. Avant de disparaître prématurément en 1924 à l’âge de trente-trois ans, son travail a permis de mettre en lumière la question de la nécessité esthétique dans la création cinématographique. Son œuvre prolifique a indubitablement laissé derrière elle une empreinte indélébile dans la critique cinématographique française. Depuis 1937, le Prix Louis Delluc récompense chaque année « le meilleur film français », en tentant de concilier exigences artistiques, originalité, singularité et reconnaissance publique.

Une conférence intitulée « Introduction à l’œuvre de Louis Delluc » ainsi que les films suivants étaient proposés au public : Le Chemin d’Ernoa (1920), La Femme de nulle part (1921), Fièvre (1921) et L’Inondation (1923). Tous restaurés en 2K par Les Documents cinématographiques, dans le cadre du plan de numérisation du CNC, à partir des éléments conservés et sauvegardés par La Cinémathèque française.

Enfin, la section « Kafka va au cinéma », en proposant quelques films évoqués par Kafka dans sa « Correspondance » et son « Journal », a mis en lumière le travail effectué par Hanns Zischler, acteur chez Wim Wenders, Chantal Akerman, Claude Chabrol ou encore Jean-Luc Godard, qui, en 1978, a réalisé Amerika – vor Augen oder Kafka in 43 min. 30 sec., un essai autour de la nouvelle de Kafka, Amerika, et, dans la continuité de ses recherches sur l’auteur, « Kafka va au cinéma » en 2002. Les séances de « Kafka va au cinéma » et des programmes de courts métrages ont été présentées par Hanns Zischler.

Cette année encore, en association avec l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE) et l’Agence pour le Développement Régional du Cinéma (ADRC), le Festival offre aux spectateurs la possibilité d’assister à des projections « Hors les murs » de la Cinémathèque, dans vingt-cinq salles de cinéma Art et Essai de France, et ce, jusqu’au 8 mars. A Paris, le festival s’est ouvert plus largement à l’extérieur. Cinq salles au total (Le Reflet Médicis, Le Christine 21, Les Fauvettes, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et Le Méliès à Montreuil) sont venues s’ajouter aux trois salles de la Cinémathèque. Ce partenariat a permis de proposer aux spectateurs près d’une centaine de séances en cinq jours.

Comme nous l’avions prédit l’an dernier, en poursuivant son extension dans Paris et en régions ainsi qu’en s’ouvrant à une plus grande diversité cinématographique, cette quatrième édition du Festival « Toute la mémoire du monde » a non seulement été un succès, mais elle a encore battu le résultat de l’année précédente qui comptait déjà pas moins de 10 000 entrées, en rassemblant cette année plus de 12 000 spectateurs en cinq jours, soit 20 % d’augmentation. Un succès qui ravit ! Une cinquième édition est déjà annoncée et attendue pour l’année prochaine. Parions une fois de plus que les spectateurs cinéphiles, enchantés par cet évènement répondront encore plus nombreux présent à l’appel de la prochaine manifestation qui, souhaitons-le, sera (peut-être) un peu plus longue…

Steve Le Nedelec

Toute la mémoire du monde large