Adam Cramer (William Shatner) est bien dans le Sud des Etats-Unis. Par la vitre du car, il aperçoit les noirs qui travaillent dans les champs. Cabanes miséreuses, paysage désolé, pas de doute, cette terre est pour lui. En ville, il se présente comme un agent du département des œuvres sociales venu en ville pour la mise en œuvre des réformes permettant l’accès à l’université des noirs, mais ce n’est qu’une couverture, Cramer poursuit d’autres objectifs…
Cramer à tout du héros classique américain, c’est un WASP, avenant, jeune et dynamique. Les gens qui le croisent l’apprécient immédiatement car Cramer n’hésite pas à engager la discussion et être attentif à son interlocuteur. A force de petite attention, il gagne la confiance des gens, c’est un séducteur qui cultive l’image du gendre idéal.
Sans effets, dans un style proche du documentaire, Roger Corman suit Cramer, pas à pas, dans cette petite ville du Sud, et très vite, le vernis se fissure. Le véritable but de Cramer apparaît comme une ombre noire se déployant au-dessus de la ville. C’est un raciste qui combat les droits civiques, et, dans ce but destructeur, toutes les bassesses sont permises. Manipulateur, il monte les blancs contre les noirs, trouve les points faibles et appuie dessus, rien de plus simple auprès d’une population en partie réceptive. Et c’est la réactivation de la haine, simplement par le discours et la monté en épingle d’un faux fait-divers… Scène glaçante : la traversée de la ville par le Ku Klux Klan. Plus de cinquante ans après sa réalisation, on se dit que rien n’a vraiment changé, que la tension est toujours là, bien présente. La situation actuelle dans certains états a même empiré depuis The Intruder.
The Intruder est l’œuvre d’un auteur – réalisateur – producteur authentiquement de gauche : Roger Corman. En 1961, il tourne à chaud ce film sur l’intégration raciale dans le Sud des Etats-Unis. Le sujet lui tient particulièrement à cœur, Corman investit dans le film tous les bénéfices accumulés de ses deux précédentes adaptations d’Edgar Allan Poe : La Chute de la maison Usher (House of Usher, 1960) et La Chambre des tortures (The Pit and the Pendulum, 1961). Il fallait une incroyable dose de courage pour entreprendre le tournage d’un film aussi fort politiquement en décors naturels dans des villes aussi opposées aux droits civiques. Très vite, les habitants se rendent compte de la vraie nature de The Intruder, et l’équipe, sous la menace d’action de représailles, est obligée de changer de ville à plusieurs reprises. Problèmes le suivent dans les différentes villes où Corman pose sa caméra. Cette itinérance n’ira pas sans poser de gros problèmes de raccord à Corman. Cinéaste habile, rompu au petit budget, Corman s’en sort admirablement bien. Il délaisse son style sophistiqué des Poe avec ses mouvements d’appareils pour des prises de vue plus simples, plus directes, qui donnent à The Intruder un aspect documentaire, qui démultiplient son impact sur le spectateur.
On réduit souvent William Shatner au Commandant Kirk de la série Star Trek, c’est oublié qu’il s’agit d’un excellent acteur. Sa création d’un personnage aussi détestable que Cramer en est la plus éclatante confirmation. Dommage que Shatner se soit enfermé dans la routine des voyages de l’Entreprise, et que d’autres réalisateurs n’aient pas vu son potentiel.
La fin de The Intruder est d’une grande lucidité: faussement optimiste, Cramer défait par la mise à jour de ses mensonges reste seul contre la balançoire d’une aire de jeu pour enfants. La population s’est détournée de lui, mais comme dans tout mouvement de balancier, il y a un retour. Rien n’est terminé, et la moindre étincelle peut ranimer le feu raciste. Ce grand film était resté scandaleusement inédit dans les salles françaises, cette sortie sous la bannière de Carlotta films permet de réparer cette injustice. The Intruder fut un échec commercial aux Etats-Unis, beaucoup de salles refusèrent de le projeter, mais c’est artistiquement (et politiquement) une œuvre importante, un film digne et courageux qui honore l’impressionnante filmographie de Roger Corman.
Fernand Garcia
The Intruder un film de Roger Corman avec William Shatner, Frank Maxwell, Beverly Lunsford, Robert Emhardt, Leo Gordon, Charles Barnes, Charles Beaumont, Katherine Smith, Jeanne Cooper… Scénario : Charles Beaumont. Directeur de la photographie : Taylor Byars. Monteur : Ronald Sinclair. Musique : Herman Stein. Producteurs : Gene & Roger Corman. Production : Atlas Productions, Inc. Distribution : Carlotta Films (sortie France le 16 août 2018). Etats-Unis. 1961. 84 minutes. Noir et blanc. Format image : 1,85 :1. DCP. Tous Publics.