Shirley Blaire (Elaine Taylor), valise en main, descend d’un taxi en plein milieu d’un chantier de nouveaux lotissements pavillonnaires. Le maître d’œuvre est la société Taggart Developpement. Ça tombe bien, Shirley vient voir Tom Taggart (Christian Roberts). Au bureau d’études, elle rencontre son frère Terry (Jack Hedley). Surpris de voir la jeune femme, il se précipite annoncer à son frère Henry (James Cossins) que Tom a une nouvelle copine. Henry est de mauvaise humeur empêtré dans les finitions d’un parquet; comble de malheur, tout le chantier est en retard. Le soir même les trois frères doivent tous être présents à l’anniversaire de mariage de leur mère, la tyrannique Mrs. Taggart (Bette Davis)…
Bette Davis est une immense actrice, une des plus grandes du cinéma hollywoodien, et le moins que l’on puisse écrire, pas du genre «accommodante ». Bette Davis traînait une sale réputation. En un mot, elle avait un caractère de chien. Elle en jouait autant à l’écran qu’en-dehors. Bette Davis pouvait faire vivre l’enfer sur un tournage autant à ses partenaires qu’au réalisateur, et ne parlons pas de l’équipe technique qui devait suivre sans la ramener. Après le succès de Confession à un cadavre (The Nanny, 1965), la Hammer cherchait à renouveler l’expérience avec l’actrice. The Anniversary, pièce de théâtre de Bill MacIlwraith, remplit toutes les cases qui permettent de mettre en valeur l’actrice dans un personnage monstrueux tel que le public aime à retrouver Bette Davis depuis le triomphe Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (What Ever Happened to Baby Jane ? 1962) de Robert Aldrich. L’adaptation et la production est confiée à Jimmy Sangster, un des piliers de la Hammer.
Après quelques séances de réécriture, Bette Davis accepte d’incarner Mrs. Taggart, mère possessive borgne. Bette Davis a 60 ans quand elle entame le tournage de The Anniversary. La réalisation est assurée par le Canadien Alvin Rakoff. Il a une solide carrière derrière lui. Il connaît sur le bout du doigt les films avec Bette Davis et a un immense respect pour elle. Le tournage débute sous de bons auspices. Mais très vite tout part en vrille. Une broutille, une exigence de Bette Davis au sujet des oreilles d’Elaine Taylor (l’accentuation du point faible du personnage) met le feu aux poudres. Jimmy Sangster ne peut soutenir Alvin Rakoff face à sa star. Rakoff est remercié au bout de quatre jours de tournage. Sangster en bon producteur avait anticipé le coup. Il contacte Roy Ward Baker qui termine le montage d’un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir. Ward Baker hésite, la situation est un peu délicate, reprendre le travail d’un confrère, mais la production est dans la panade, de plus, la Hammer a produit son précédent film pour le cinéma Les Monstres de l’espace (Quatermass and the Pitt, 1967). Ward Baker accepte de reprendre le film, visionne les rushes tournés, peu de métrage en réalité et téléphone à Bette Davis. Ils se connaissent. Magnanime, elle est ravie de reprendre le tournage sous sa direction. Le lundi suivant, trois jours après le départ de Rakoff, Ward Baker est sur le plateau.
Tout le film tourne autour d’une épouvantable femme, Mrs. Taggart. Elle n’a rien pour elle: vieille, borgne, méchante, cynique, désagréable, antipathique, Bette Davis s’en donne à cœur joie. A croire que la tension et le ressentiment envers elle, qu’elle a provoqués sur le plateau l’aide à composer son personnage et stimule ses partenaires pour les leurs, c’est-à-dire à la détester. Le résultat à l’écran est pour le moins explosif. La crainte et la haine transpercent à chaque plan. Roy Ward Baker a su parfaitement utiliser l’atmosphère éclectique sur le plateau au bénéfice du film.
Les dialogues sont un véritable florilège de répliques cinglantes, ironiques, sarcastiques et humiliantes. Mrs. Taggart, veuve, tient ses fils par la bourse. L’anniversaire de mariage n’est qu’un théâtre où elle peut humilier ses fils, les mettre plus bas que terre au nom de l’amour. Mrs. Taggart déteste tout ce qui peut se mettre entre elle et ses enfants. Elle n’a que mépris pour Karen (Sheila Hancock), la femme de Terry, et mère de cinq enfants. Elle abhorre Shirley, la nouvelle petite amie de Tom. En vraie sorcière, elle utilise le point faible de chacun pour mieux les dominer et les soumettre à sa tyrannie. Pour Mrs. Taggart, chaque femme représente un danger. Sa belle-fille Karen a la dent dure, mais elle est économiquement dépendante. Son mari Terry, pris entre le marteau et l’enclume, ose à peine l’ouvrir, c’est un faible miné par la culpabilité. Enceinte, Shirley doit se marier avec Tom; plus volontaire, plus jeune, elle pense naïvement pouvoir tenir tête à la Mrs. Taggart.
Evidemment, tout va partir à vau-l’eau, soirée de cauchemar, où le chantage aux sentiments va connaître des sommets. Coup bas, manipulation, mensonge, révélation, rien n’arrête Mrs. Taggart toutes griffes dehors. Son emprise est telle que Shirley et Karen finissent par avoir des traits communs, même cynisme, même ascendant sur leur partenaire. Les frères finissent par s’aplatir comme des pancakes. Henry, le seul à ne pas être en couple, engoncé dans un asservissement traumatique, n’a qu’un plaisir dans la vie – porter des sous-vêtements féminins.
The Anniversary enchaîne les situations paroxysmiques pour une mise à nu des rapports masochistes au cœur même de la famille. Arcade perverse où tout passe par un contrat, moral ou physique, auquel tous les membres doivent se soumettre, le film en propose pléthores, contrat de vente à la reconnaissance de dette que signe Karen. Ici, ce n’est que soumission et humiliation acceptées dans la douleur, seule jouissance encore possible pour Mrs. Taggart en ce bas monde. L’humour anglais, pince-sans-rire se logeant partout, le crédit de Bette Davis apparaît dans un cœur… bleu.
Fernand Garcia
The Anniversary une édition (combo DVD & Blu-ray) de BQHL Editions avec un instructif livret Bette Davis, les vingt dernières années, bourrées d’anecdotes sur l’actrice signée par Marc Tollec.
The Anniversary un film de Roy Ward Baker avec Bette Davis, Sheila Hancock, Jack Hedley, James Cossins, Christian Roberts, Elaine Taylor… Scénario : Jimmy Sangster d’après la pièce de Bill MacIlwraith. Directeur de la photographie : Harry Waxman. Décors : Reece Pemberton. Montage : James Needs et Peter Weatherley. Musique : Philip Martell. Producteur : Jimmy Sangster. Production : Seven Arts – Hammer Film Productions – 20th Century Fox. Grande-Bretagne – Etats-Unis. 1972. 96 minutes. Couleur DeLuxe. Format image : 1.85 :1 16/9e. Son : Dolby. Version originale sous-titré en français.