Bon mari et père paisible, Curtis LaForche (Michael Shannon) est un ouvrier de chantier modeste dont les nuits (pour commencer) sont hantés par des visions cauchemardesques de catastrophes qu’il pense prémonitoires. Obsédé par l’imminence de la fin du monde, il va chercher à sécuriser son foyer sous le regard impuissant de son entourage qui commence à douter de son état mental.
Socialement intégré et conscient lui aussi des deux perceptions distinctes du réel qui l’habitent, Curtis bascule lentement dans un monde imaginaire. Mais ses visions sont-elles fantasmées ou réelles ? Curtis LaForche est-il fou ou prophète ?
Après Shotgun Stories en 2008, Take Shelter est le deuxième long métrage de Jeff Nichols. Une fois encore, il dépeint une tragédie humaine et familiale par le prisme de la nature et de ses mystères. Tout comme Terrence Malick (toute proportion gardée), dans un style naturaliste qu’il maitrise à la perfection, il parvient à lier l’univers à l’intime. En effet, c’est par son réalisme que le film nous terrasse. Sans être démonstratif, Jeff Nichols impose sa vision saisissante et originale de l’Apocalypse, différente de celles que l’on a pu voir dernièrement sur les écrans (Lars von Trier, « Melancholia« , Roland Emmerich, « 2012« ). Le quotidien et la nature deviennent terrifiants. Les grands espaces des Etats-Unis, les vastes plaines et le ciel bleu, ne sont plus synonymes de liberté mais d’angoisse. Dans cette histoire, la Nature est un véritable personnage à part entière. Inquiétante, elle traduit la véritable tempête à laquelle on assiste et qui a lieu sous un crâne. Comme son personnage principal dont les visions mentales apparaissent comme au spectateur, le film navigue constamment entre mysticisme et trouble du comportement. Au fur et à mesure de ses visions et de ses cauchemars, les certitudes de Curtis s’effritent en même temps que celles du spectateur. Toute l’habileté de ce thriller fantastique réside dans l’exploit de faire douter le spectateur. On assiste au combat de la raison contre l’irrationnel. Avec un rythme lent mais dans une atmosphère tendue, Nichols entretient l’ambiguïté avec brio.
Déjà présent à l’affiche du précédent film du réalisateur, Michael Shannon compose un rôle complexe de façon très subtile. L’ambivalence de son personnage est à l’image du film. Son rôle de névrosé obsessionnel paranoïaque n’est pas sans rappeler son époustouflante interprétation dans Bug (2007) de William Friedkin qui traitait lui aussi de la « folie contagieuse » mais dont l’approche et le traitement étaient radicalement opposés.
En faisant fusionner le cinéma de genre et le cinéma d’auteur, Jeff Nichols nous offre un film poétique et lyrique qui nous hante et nous fait nous questionner. Ceci, jusqu’à la scène finale, le dernier plan, la dernière image qui viennent intelligemment sublimer le message et les questions que développe le film.
Steve Le Nedelec
Take Shelter, un film de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart. Shea Whigham. Scénario : Jeff Nichols. Photo : Adan Stone. Musique : David Wingo. Producteurs : Tyler Davidson & Sophia Lin. Production : Hydraulx Entertainment – REI Capital – Gove Hill Productions – Strange Matter Films. Format image : 2,35 :1. Couleur. Dolby Digital. SDDS. USA. 2010. Durée : 121 mn. Distribution (salles) : Ad Vitam Distribution. Edition DVD-Blu-ray : Ad Vitam. Prix de la Critique Internationale FIPRESCI, Prix de la Semaine de la Critique et Prix de la SACD au Festival de Cannes 2011, Grand Prix du Festival du Cinéma Américain de Deauville…