Le retentissement du film sur le public repose surtout sur la crédibilité des comédiens et l’interprétation de leurs personnages. Incroyable directeur d’acteurs, le réalisateur n’a pas son pareil pour humaniser ses antihéros sans en faire des victimes. Il a indéniablement beaucoup de tendresse pour eux. Ces losers magnifiques sont devenus emblématiques d’une époque et d’une génération. Ils ont de l’humour et un sens de l’introspection. Le fait que les comédiens aient changé physiquement, qu’ils aient accepté d’être comparés à ce qu’ils étaient en 1996 et qu’ils aient tous répondu présent, a rendu l’aventure possible. La comparaison inévitable entre leurs physiques lorsqu’ils étaient jeunes et aujourd’hui est évidemment l’un des enjeux les plus forts de T2 Trainspotting.
Qu’ont fait les personnages durant ces vingt dernières années et que sont-ils devenus ? Le film nous apprend ce qui est arrivé à ces junkies et nous montre comment ces derniers évoluent tout en continuant à se cogner contre le monde. Leurs situations sont très différentes du premier film. Comme on pouvait s’y attendre, Begbie est en prison et Spud mendie dans la rue. Renton tente toujours d’échapper à la vengeance de Begbie. Sick Boy est devenu maitre chanteur et ambitionne de devenir proxénète. Toujours en colère contre Renton, Sick Boy va faire en sorte que Begbie puisse prendre sa revanche sur lui à sa place. Même s’ils ont « évolués », on constate que ces derniers n’ont pas changés, qu’ils sont restés fidèles à eux-mêmes et sont toujours esclaves de leurs démons. En dépit du temps, ils demeurent les mêmes.
« L’intrigue et le développement des personnages vont de pair. Prenons l’exemple de Begbie : a-t-il des enfants ? Fille ou garçon ? Et lorsqu’il sort de prison, quelle relation entretient-il avec son fils ? Celui-ci est-il comme lui ? Non, il est différent parce qu’il a été élevé par sa mère précisément pour ne pas ressembler à Frank. Chacune de ces questions a des conséquences qui affectent l’intrigue. Parallèlement, Spud s’est mis à écrire des histoires. Ces deux intrigues finissent par se rejoindre et permettent à Begbie d’apprendre à mieux savoir qui il est. » John Hodge.
L’impact émotionnel des retrouvailles entre le spectateur et les personnages est exceptionnel. Dès qu’on voit leur visage, on prend conscience du temps qui s’est écoulé, aussi bien pour eux que pour nous. D’une certaine manière, le film condense le temps car le passé semble à portée de main, mais lorsqu’on y regarde d’un peu plus près, on se rend compte qu’il s’est volatilisé, qu’on ne l’a pas vu passer. Mais le Temps existe-t-il vraiment ? Hanté par la mort avec ses fantômes du passé (la mère de Renton, le père de Begbie, Tommy, l’enfant de Sick Boy,…) T2 Trainspotting traite de la cruauté du temps qui passe inéluctablement sans effacer pour autant les absences douloureuses.
Révélé et devenu l’acteur fétiche de Danny Boyle en 1994 avec Petits Meurtres entre amis qui était leur premier film à tous les deux, l’Ecossais Ewan McGregor incarne donc à nouveau dans le film le personnage de Marc Renton dont le retour à Edimbourg marque dans le même temps celui de l’acteur chez le cinéaste. Renton est l’observateur du film, il étudie ce que font les autres pour en tirer des leçons de vie. Il s’interroge sur tout : tant sur la société de consommation que sur l’amitié, l’amour ou la mort. C’est un narrateur, un analyste, ce qui est un rôle plutôt passif comparé à ceux qui l’entourent. Le comédien confère du charisme et de l’intelligence au personnage, ce qui permet à ce dernier de se mettre les gens dans la poche. Il essaie de donner le change alors qu’il est aussi perdu que les amis qu’il a trahis.
T2 Trainspotting marque les retrouvailles du comédien avec le cinéaste qui fut le premier à le diriger au cinéma et leur quatrième collaboration. Il était aux côtés de Cameron Diaz en tête d’affiche d’Une Vie Moins Ordinaire, le troisième film et le premier tourné aux Etats-Unis du réalisateur. C’est Trainspotting qui a été le déclencheur de leurs carrières internationales à tous les deux.
« Il a en quelque sorte été mon premier amour cinématographique : je ne l’ai jamais oublié et j’ai toujours pensé qu’il avait réussi à faire ressortir le meilleur en moi. Je sais que je suis entre de bonnes mains avec lui, et ce depuis le départ. Lorsqu’il évoque Petits meurtres entre amis, il dit souvent qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il faisait, mais je n’y crois pas une seconde : il l’a toujours su, il fait simplement preuve d’humilité. » Ewan McGregor.
Depuis, la carrière du comédien est devenue internationale et ses choix très éclectiques. Il a été dirigé entre autre par des cinéastes comme Baz Luhrmann, David Koepp, Steven Soderbergh, Lasse Hallström, Roman Polanski, Peter Greenaway, Ridley Scott, Tim Burton, Michael Bay, Woody Allen, Ron Howard ou encore George Lucas.
Fils du comédien de théâtre Alan Miller et petit-fils de Bernard Lee qui incarna M dans de nombreux James Bond, Jonny Lee Miller s’est surtout fait connaître du public avec le personnage de Simon – Sick Boy, le punk héroïnomane fan de Sean Connery et dénué de tout sens moral dans Trainspotting. On l’a également aperçu chez Woody Allen, Tim Burton ou Neil Jordan. Il a également été dirigé par Danny Boyle au théâtre dans Frankenstein, une pièce originale adaptée du roman de Mary Shelley présentée au National Theatre de Londres.
« Trainspotting était un « film de guérilla », nous pouvions aller n’importe où et tourner ce que nous voulions avec notre petite caméra, tout le monde s’en fichait. Nous voulions reproduire cette atmosphère avec ce film, mais partout où nous allions il y avait une foule de gens. Danny nous a dit : « Trainspotting, c’est un peu le Star Wars écossais ! » L’intérêt généré par le film est incroyable, les gens sont très encourageants, ça fait vraiment chaud au cœur. » Jonny Lee Miller.
Originaire de Glasgow, Robert Carlyle est connu pour ses interprétations dans The Full Monty (1997) de Peter Cattaneo, Le Monde ne suffit pas (The World Is not Enough, 1999) de Michael Apted, 28 Semaines Plus Tard (28 Weeks Later, 2007) de Juan Carlos Fresnadillo et bien évidemment pour celle de son personnage de Begbie dans Trainspotting. Le retrouver vingt ans plus tard interprétant avec toujours autant de folie ce personnage violent et enragé est jouissif. Dans cette suite le personnage de Begbie a évolué, la fureur qui le dévore est nuancée par le doute qui l’habite. Sans la moindre hésitation, Robert Carlyle a donc à nouveau accepté d’endosser le rôle de Begbie le psychopathe et celui-ci a su apporté des nuances importantes à son personnage.
« Danny est un génie, la manière dont il réfléchit est tout à fait singulière. Lorsqu’on le rencontre, on réalise ce qu’est vraiment un réalisateur et quel est son rôle. À l’instar des plus grands cinéastes, il sait manipuler ses acteurs avec doigté. » Robert Carlyle.
Né à Edimbourg, Ewen Bremner, dont Danny Boyle qualifie la prestation dans le rôle de Spud « d’alliance du subtil et de l’extraordinaire », crève une fois de plus l’écran. Il réendosse avec un plaisir non dissimulé le rôle de ce loser toxicomane qu’il rend une nouvelle fois sympathique et touchant. Devenu adulte, le personnage de Spud a gagné en gravité et en profondeur et le comédien lui confère une humanité poignante.
« Le premier jour du tournage a été très fort. C’était très émouvant et presque surréaliste pour tout le monde, nous étions tous émus. Nous avons reçu un formidable cadeau il y a de cela 20 ans lorsque nous avons été choisis pour incarner ces personnages. Et ce cadeau semble encore plus précieux aujourd’hui. Nous avons l’opportunité incroyable de retravailler ensemble, de retrouver ces personnages et de passer à nouveau du temps tous ensemble. » Ewen Bremner.
Surtout, n’oublions pas non plus que la relation très forte qu’entretient le public avec Trainspotting repose en grande partie sur la musique. Les spectateurs ont été marqués par l’univers musical du film qui était rythmé par l’album d’Underworld intitulé Dubnobasswithmyheadman et la version « needle drop » (vinyle convertie en numérique) de Born Slippy. On se souvient de certaines scènes simplement en écoutant un titre et lorsque la musique nous touche, elle amplifie les émotions. Entre titres originaux (The Clash, Blondie, Frankie Goes to Hollywood,…) et « needle drops », la formidable bande originale de T2 Trainspotting composée par Rick Smith s’inscrit dans la droite ligne de l’original et utilise également des variations des morceaux les plus emblématiques du premier opus comme Perfect Day de Lou Reed ou encore Lust for Life d’Iggy Pop. Très importante dans la trame narrative, le retentissement de la bande-originale sur le style du film et sur son époque est indéniable.
« La musique est un formidable générateur d’émotions et de souvenirs en général, il y a donc quelque chose de très particulier qui se produit dans ce film lorsque nous faisons allusion à la musique de l’original. » Danny Boyle.
T2 Trainspotting ne décevra que les pseudos cinéphiles qui n’ont qu’une médiocre culture cinématographique de ces quinze dernières années et qui sont formatés aux « suites-remakes ». Effectivement, désolé pour eux mais heureusement pour le cinéma, T2 Trainspotting n’est pas un copier-coller de Trainspotting. C’est un autre film.
Curieux et intuitif, Danny Boyle est un cinéaste créatif et passionné au style résolument moderne. Bien évidemment conscient des attentes du public pour ce film et de sa signification dans la culture populaire, pour notre plus grand plaisir, ce dernier parvient comme il y a vingt ans à nous surprendre et à déjouer nos attentes. Avec T2 Trainspotting Danny Boyle signe un film à la mise en scène libre et nerveuse qui rend hommage au passé autant qu’il célèbre le présent. Son énergie débordante qui n’a d’égale que sa vision audacieuse et passionnante fait de lui un cinéaste unique. Il n’y avait que lui pour mener à bien cette « suite », ces retrouvailles, et en faire une œuvre singulière à la fois pertinente et impertinente sur la génération héritière, ou plutôt victime, du Thatchérisme. Hilarant et dans le même temps bouleversant, T2 Trainspotting est une véritable réussite.
Steve Le Nedelec
A lire : T2 Trainspotting (I)
T2 Trainspotting un film de Danny Boyle avec Ewan McGregor, Ewen Bremner, Jonny Lee Miller, Robert Carlyle, Shirley Henderson, Anjela Nedyalkova, Kelly Macdonald… Scénario : John Hodge d’après Irvine Welsh. Images : Anthony Dod Mantle. Décors : Patrick Rolfe, Mark Tildesley. Costumes : Rachael Fleming, Steven Noble. Montage : Jon Harris. Producteurs : Bernard Bellew, Danny Boyle, Christian Colson, Andrew Macdonald. Production : DNA Films – Decibel Films – Cloud Eight Films – TriStar Pictures – Film4 – Creative Scotland. Distribution (France) : Sony Pictures Releasing (Sortie : le 1er mars). Grande-Bretagne. 2016-2017. 117 mn. Couleur. Format image : 1.85 :1. Dolby Digital. Tous Publics avec avertissement. Berlinale 2017, Hors-compétition.