Sunday in the Country est un formidable polar, bien dans l’esprit revêche des années 70. L’action se déroule en une journée, un dimanche pas comme les autres. Adam Smith (Ernest Borgnine) est fermier, il possède une petite exploitation à quelques kilomètres de la ville. L’été, il accueille sa petite-fille, Lucy (Hollis McLaren). Dans son dur labeur quotidien, il est aidé par un simplet, Luke (Vladimir Valenta). Smith puisse sa force dans la Bible. Catholique pratiquant, il ne rate sous aucun prétexte la messe dominicale, l’unique moment où il entre en relation avec la « civilisation » exception faite de la radio. Il croit aux valeurs ancestrales des pionniers, de l’église, est réfractaire à l’évolution des mœurs. De petites choses l’épouvantent : la jupe trop courte de Lucy, son flirt avec Eddie, ou le simple fait qu’une femme conduise. Ce jour-là, un événement va lui permettre de mettre sa foi en action et le monde en bon ordre.
Trois gangsters sont en cavale dans les parages. La veille, ils ont attaqué une banque et l’affaire a mal tourné : des morts et les flics aux trousses. Dinelli (Louis Zorich) et Ackerman (Cec Linder) sont des gangsters old fashion. Leroy (Michael J. Pollard) est un chien fou, rien ne l’arrête, le mal l’attire comme l’aimant la limaille. Les rapports entre les trois hommes sont exécrables. Sans raison, si ce n’est par pur plaisir sadique, Leroy abat froidement un homme et tente de violer sa compagne, simplement pour voler leur voiture. Leur voyage en voiture est de courte durée. Sur l’artère principale, la police a monté des barrages et les chemins à travers la campagne sont des culs-de-sac. Ils doivent poursuivre leur chemin à pied, ne se doutant pas du destin lugubre qui les attend à la ferme d’Adam. A l’église, la nouvelle des hommes en fuite alimente les conversations. Pour les paroissiens, ils méritent la mort.
Sunday in the Country entre dans la catégorie des Rednecks movies, le titre emblématique du genre est Délivrance chef-d’œuvre de John Boorman. Le genre confronte des Citadins à des Ruraux. Opposition instantanée, ressentiment, incompréhension, mépris de part et d’autre. Tant d’antagonisme ne peut aboutir qu’à un déchainement de violence. Loin des yeux du monde, dans une campagne hostile, la violence a une dimension quasi mystique où les forces de la nature jouent un rôle considérable. John Trent réussit là un suspense implacable. Il surdimensionne la partie religieuse, faisant de la confrontation entre Adam et Leroy un affrontement entre le bien et le mal. Le bras armé de Dieu contre la folie diabolique. La grande habileté du scénario est de brouiller toutes les pistes morales, de nous mettre dans une situation de sidération où il est impossible de choisir un camp plutôt que l’autre. Quand le sentiment d’être dans son bon droit, de détenir la vérité, s’empare des gens, plus rien de rationnel ne les arrête. Adam et Leroy s’alimentant l’un l’autre, l’un la main de Dieu, l’autre la puanteur sadique du diable.
Le déchainement de violence, de torture physique et psychologique, est révélateur de deux conceptions du monde qui s’additionnent dans la volonté de soumettre l’autre par la force. L’ordre et la morale (religieuse), que représentent Adam et l’anarchie de Leroy, ne sont que deux faces d’une même pièce, deux Amériques face à face. Lucy, spectatrice de cet affrontement, est totalement impuissante. Sa « posture » de médiatrice humaniste est vouée à l’échec tant les antagonismes sont forts.
Ernest Borgnigne est vraiment un acteur formidable, on le dit rarement. Ceux qui ne le connaissent que par le biais des séries TV des années 90, le rangent parmi les has-been, oubliant au passage qu’il a donné corps à une multitude de personnage, du timide introverti au pervers odieux, dans une tripotée de grands films voire de chefs-d’œuvre. Fidèle de Robert Aldrich : Vera Cruz, Le vol du Phoenix, Les Douze salopards, Le démon des femmes, L’Empereur du nord, La Cité des dangers. De Richard Fleischer : Les inconnus dans la ville, Les Vikings, Barabbas, Le prince et le pauvre. De Sam Peckinpah, La Horde sauvage, Le Convoi. Sa filmographie est déjà grandiose sans compter les André de Toth, Nicholas Ray, John Sturges, Delmer Daves. N’en jetons plus. Borgnigne, c’est une gueule qu’on n’oublie pas, du sergent sadique du Tant qu’il y aura des hommes de Fred Zimmerman à l’Oscar pour son interprétation à fleur de peau de Marty (Palme d’or 1955). Acteur tout terrains, on pouvait le retrouver en patriarche prêtre dans La Ferme de la terreur (Deadly Blessing, 1981) de Wes Craven ou en incarnation du malin dans La pluie du Diable (The Devil’s Rain, 1975) de Robert Fuest tout comme dans une série B italo-allemande : Nom de code : oies sauvages (Geheimcode Wildgänse d’Antonio Margheriti, 1984) dans New York 1997 (Escape from New York, 1981) de John Carpenter ou Bienvenue à Gattaca (Gattaca, 1997) d’Andrew Niccol. Il n’aura jamais cessé d’exercer son art, alignant en fin de carrière plus de 200 films.
A ses côtés, Michael J. Pollard incarne le psychopathe. Acteur de la contre-culture, son attitude et sa dégaine excentrique rapprochent Pollard du hippie. Il est découvert par le grand public en 1967 avec Bonnie and Clyde d’Arthur Penn. Pollard n’était toutefois pas totalement inconnu aux Etats-Unis avec des dizaines de téléfilms à son actif. Acteur atypique, il tape dans l’œil des réalisateurs. Il apporte sa singularité à des personnages en marge de la société : biker, shérif, cow-boy, cave. On le retrouve des deux côtés de l’Atlantique. Ainsi il fait vaillamment face à deux sex-symbols : Brigitte Bardot et Claudia Cardinale dans le western parodique Les Pétroleuses (1971) sous la houlette du vétéran Christian-Jaque ou chez Lucio Fulci pour un autre western : Les quatre de l’Apocalypse (I quattro dell’Apocalisse, 1975)… Le choix de Michael J. Pollard pour Sunday in the Country est plus que payant. Il donne vie à un psychopathe né de la société de consommation des plus réaliste, l’une de ses compositions les plus marquantes.
Sunday in the Country possède toutes les qualités des productions des seventies. Un scénario solide, une interprétation impeccable, une photographie en Panavision superbe (lumière surexposée) et une mise en scène carrée. Sunday in the Country est une véritable découverte dans un genre encore largement méconnu.
Fernand Garcia
Sunday in the Country, troisième film, après Les Marais de la haine et sa suite La Vengeance de la femme au serpent, édité par Artus Films dans sa collection Rednecks. Le report HD est impeccable (Master 2K restauré – version intégrale non censure) en supplément : une présentation du film par le sympathique Maxime Lachaud, grand spécialiste du genre (12 minutes) et un diaporama d’affiches et de photos. Cette belle édition (combo DVD + Blu-ray) s’accompagne d’un excellent livret : Ces braves gens de la campagne de Maxime Lachaud. Dans ce livret découpé en six chapitres, l’auteur revient sur les origines du genre, de la Hicksploitation à la Canuxploitation, et sur la création de Sunday in the Country (64 pages).
Sunday in the Country un film de John Trent avec Ernest Borgnine, Michael J. Pollard, Hollis McLaren, Cec Linder, Louis Zorich, Vladimir Valenta, Al Waxman… Scénario : Robert Maxwell et John Trent d’après une histoire de David Main. Directeur de la photographie : Marc Champion. Décors : Milton Parcher. Costumes : Patti Unger. Montage : Tony Lower. Musique : William McCauley et Paul Hoffert. Producteur : David M. Perlmutter. Production : Quadrant Film. Canada. 1974. 92 minutes. Eastmancolor. Panavision. Format image : 2,35 :1. Son : Version originale avec sous-titres français et Version française. Interdit aux moins de 12 ans.