Stoker – Park Chan-Wook

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India (Mia Wasikowska), jeune fille introvertie vivant sous la coupe de sa mère Evelyn (Nicole Kidman), vient de perdre son père dans un étrange accident de voiture. Lors des funérailles, India fait la connaissance de son oncle Charles (Matthew Goode) dont ni elle, ni sa mère ne soupçonnaient l’existence. Ce dernier s’installe dans la maison familiale sous prétexte de soutenir la veuve et sa fille dans cette épreuve. Mais rapidement India se méfie et soupçonne l’homme d’avoir d’autres motivations que celle de les aider. La méfiance s’installe, mais l’attirance aussi…

A l’instar de ses compatriotes Kim Jee-woon avec Le Dernier Rempart sorti en janvier dernier et en attendant Le Transperceneige de Bong Joon-ho annoncé en août prochain, c’est ici à Park Chan-Wook de faire une incursion dans le cinéma hollywoodien avec Stoker. Même si l’auteur Coréen de la trilogie de la vengeance (Sympathy for Mr. Vengeance, (2003), Old Boy (2004) et Lady Vengeance (2005)) mais aussi Thirst (Prix du Jury à Cannes en 2009) dit avoir coupé vingt minutes du film à la demande de Fox Searchlight (studio qui le produit et « branche film d’auteur » de la 20th Century Fox), on peut se réjouir du fait que ce dernier à quand même pu conserver sa liberté, son identité artistique.

Nicole Kidman

Avec Stoker, Park Chan-Wook nous plonge dans un univers glaçant et onirique tant il semble parfois flirter avec le fantastique. Il dépeint avec une élégance de chaque instant, l’univers faste mais pourtant étriqué d’une bourgeoisie désœuvrée, taiseuse et pleine de lourds secrets . Les personnages contiennent en eux l’éventail des troubles et déviances du comportement (psychose, névrose, perversion). Hommage à L’Ombre d’un doute (1943) d’Alfred Hitchcock, maître anglais du suspens, Stoker nous offre une relecture moderne et personnelle de ce polar. Fidèle à son goût pour l’esthétique en général et celle de la violence en particulier, Park Chan-Wook sublime ici par son style flamboyant le scénario de Wentworth Miller (héros de la série Prison Break). Élégant et sulfureux à la fois, ce poème funeste à l’inspiration Hitchcockienne est d’une maîtrise technique implacable. Accompagné dans cette aventure américaine par son chef opérateur habituel (Chung-hoon Chung) qui, une fois de plus, signe ici une photographie splendide, le réalisateur, inspiré par une mise en scène fluide et sensuelle, un sens du cadre manifeste et un montage particulièrement intelligent, parvient non seulement à être efficace et original mais aussi sulfureux et manipulateur. Il exploite comme rarement toute la grammaire cinématographique et la technique qui contribuent ici à la manipulation du spectateur. Il oriente le regard du spectateur, le contrôle. Le travail effectué sur le son et la musique (l’héroïne souffre d’hyperacousie) participe fortement, lui aussi, à la construction de cet univers troublant, élégant et violent. La précision de ses mouvements de caméra souligne magistralement les rapports ambiguës entre les personnages et rend palpable la tension psychologique. Les espaces, l’intérieur de la maison mais aussi le vaste jardin de cette grande propriété propice aux égarements de l’imagination, sont constamment redéfinis par la mise en scène qui suit l’évolution de l’histoire et des personnages. Le montage en parallèle de scènes qui ne se déroulent ni au même moment ni au même endroit perd le spectateur dans l’espace et dans le temps. Park Chan-Wook inverse les conventions et brise les éléments spatiaux temporels du récit. Il n’y a plus de cloison. L’espace et le temps sont eux aussi manipulés pour le plus grand plaisir du spectateur envoûté qui n’a de cesse de s’interroger sur ce qu’il s’est passé, ce qu’il se passe et ce qu’il va arriver… Qui est la proie ? Qui est le prédateur ?

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Stoker renvoie évidemment à Bram Stoker, l’auteur de Dracula. Les personnages sont ici comme des vampires. Ils sont vénéneux à souhait. On pense donc à Thirst, le précédent film du réalisateur. Même les mouvements de caméra rappellent celui du prédateur à la recherche de sa proie. L’oncle séduisant et insaisissable incarne la tentation et la corruption. L’Ange du Mal. Tel un vampire, il va initier India, sa nièce, jeune vierge, à la perversion. Conte de fée pervers et morbide, Stoker est en fait un conte initiatique. Celui d’une adolescente mutique prisonnière du temps (image du métronome qui donne la mesure ou encore les chaussures identiques adaptées à sa pointure depuis l’enfance) car étouffée par une mère castratrice et qui va briser la monotonie de sa vie, se libérer, en acceptant ses pulsions les plus morbides et sadiques. Une adolescente qui devient femme. Les frustrations, les fantasmes et l’éveil des sens d’une jeune fille. Une chronique de l’adolescence dissimulée en thriller. L’attirance pour le mal symbolise ici la découverte de la libido, et la violence, l’entrée dans le monde des adultes. India s’émancipe en découvrant la cruauté des hommes lors du passage à l’âge adulte et en prenant conscience dans le même temps de son pouvoir sur les hommes (les allusions à la chasse). La Fleur du Mal.

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Très bien interprété dans son ensemble, on retiendra tout de même plus particulièrement le jeu  de la jeune Mia Wasikowska (déjà vue aux côtés de Michael Fassbender dans Jane Eyre (2012) et sous la direction de Tim Burton dans Alice au Pays des Merveilles (2010) ou encore de Gus Van Sant dans Restless » (2011),  qui est ici impressionnante. Loin des poncifs faciles de la jeune fille glamour d’aujourd’hui, sa singularité et la densité de son regard, à l’image de ce triangle amoureux, hypnotisent et fascinent autant qu’ils dérangent. Comme le démontrent de nombreuses scènes (les fleurs éclaboussées de sang, la scène de piano à quatre mains, la douche,…), elle contribue pour beaucoup à la délicatesse et à la sensualité du film, mais aussi à son étrangeté.

Avec Stoker, Park Chan-Wook rend évidemment hommage au cinéma d’Hitchcock, mais aussi à Brian De Palma (les parallèles avec Carrie (1976) sont nombreux et évidents), autre maître de la manipulation du spectateur, lui aussi très « hitchcockien » dans l’âme et dans son oeuvre. On retrouve dans ce film des motifs communs aux trois artistes. Surfant entre la violence et les interdits, Park Chan-Wook n’en demeure pas moins fidèle à ses thèmes de prédilection. On peut distinguer dans cette explosion de la sphère bourgeoise une variation de Old Boy où l’auteur continue de développer ses thèmes de l’enfermement, de la captivité, de la vengeance et de l’inceste. Une lecture éclairée de l’oeuvre du réalisateur prouve donc que son esthétisation de la violence n’est en rien gratuite mais au contraire lourde de sens, travaillée et intelligente.

Steve Le Nedelec

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Stoker, un film de Park Chan-Wook, avec Mia Wasikowska, Nicole Kidman, Matthew Goode, Dermot Mulroney, Jacki Weaver, Judith Godrèche, Harmony Korine. Scénario : Wentworth Miller. Photo : Chung-hoon Chung. Montage : Nicolas de Toth. Musique : Clint Mansell. Procucteurs : Ridley Scott, Tony Scott, Michael Costingan. Production : Scott Free – Indian Paintbrush – Fox Searchlight Pictures. Distribution (salles) : 20th Century Fox. Sortie en France le 01 05 2013. USA – Grande-Bretagne. 2013. Format image : 2,35 :1. Couleur. Dolby Digital. Durée : 99 mn.