Près de Rotterdam, Reen, Eef et Hans, trois amis unis par leur passion commune pour le motocross, voient leurs vies basculer lorsque Fientje, plantureuse vendeuse de frites vivant dans sa roulotte avec son frère, s’installe dans leur petite ville.
Avant-dernier film de la période néerlandaise de Paul Verhoeven, Spetters (« beaux gosses », mais aussi « éclats de boue » en néerlandais) a été tourné en réaction à son film précédent, Le Choix du destin (Soldaat van Orange, 1977), qui se déroulait dans le milieu de l’université de Leyde et dans lequel on voyait des personnages qui avaient tous de l’argent. « C’étaient des riches, des aristos, de jeunes intellectuels néerlandais de l’époque du film. » Avec le scénariste Gerard Soeteman, il a voulu faire autre chose, montrer un autre aspect de la société néerlandaise, montrer les ouvriers. Fortement impressionné par une pièce de théâtre, Whose life is it anyway ? (C’est ma vie, après tout ! adaptée à l’écran en 1981 par John Badham avec Richard Dreyfuss et John Cassavetes), qu’il vit à l’époque à Londres, et qui racontait l’histoire d’un jeune homme tétraplégique qui se suicide, Gerard Soeteman s’en inspira pour l’écriture de Spetters. Après avoir passé près d’un an à l’écriture du scénario, la commission jugeant leur vision du pays trop décadente et trop perverse, ils auront beaucoup de mal à obtenir une subvention de l’Etat pour le tournage. De risque de nuire à la société, il ne devait donc pas faire ce film. Pour ce faire, Verhoeven a donc réécrit une version édulcorée de son scénario pour eux, mais, l’aide financière une fois obtenue, il tournera la version originelle de son scénario. « Je me suis fait des ennemis ! » déclare-t-il en riant aujourd’hui. A sa sortie, le film crée un véritable scandale. Un comité national anti-Spetters voit le jour et organise des manifestations devant les cinémas programmant le film, l’accusant de misogynie, d’homophobie ou encore d’encourager les invalides à se suicider…
Pourtant, aucune provocation dans ce film n’est gratuite. « Tous les actes qui y sont montrés, même les plus ignobles, ont leur raison d’être. Je ne cherche ni à dramatiser, ni à édulcorer. ». Avec une forme très crue constitutive de la singularité du réalisateur, Spetters dissèque et dénonce dans le même temps, la violence et la vulgarité refoulées d’une société autoproclamée exemplaire et libérale. Une chronique sociale qui ne va pas sans rappeler le cinéma d’autres auteurs tels que Rainer Werner Fassbinder, Thomas Vinterberg ou encore Ulrich Seidl.
A partir de ce film, Verhoeven va aborder son cinéma de manière différente. Dans ce film audacieux, immoral et cynique le réalisateur nous montre les errances d’une jeunesse hollandaise contemporaine qui tente de survivre avec ses problèmes familiaux et existentiels tout en développant en parallèle une réflexion sur la croyance, la religion, l’homosexualité, le patriotisme, le puritanisme mais aussi l’opportunisme. Notons également que, dès Spetters, le portrait du personnage féminin principal que dépeint Verhoeven annonce ceux de Sharon Stone dans Basic Instinct ou encore d’Elizabeth Berkley dans Showgirls : à savoir, des prédatrices cherchant à avoir le pouvoir et le contrôle des choses par la séduction, la manipulation et le sexe. Le sexe devient alors comme une arme, comme l’instrument redoutablement efficace de la conquête du pouvoir.
Steve Le Nedelec
Spetters a été restauré par EYE Filmmuseum au laboratoire Haghefilm d’Amsterdam à partir du négatif original conservé aux stocks Deluxe à Londres. Deux minutes censurées à l’époque ont été ajoutées. Les travaux ont été supervisés par le producteur Joop van den Ende et par Paul Verhoeven.
Spetters un film de Paul Verhoeven avec Hans Van Tongeren, Renée Soutendijk, Toon Agterberg, Maarten Spanjer, Rutger Hauer, Jeroen Krabbe, Marianne Boyer, Saskia van Basten-Batenburg, Margot Keune, Ben Aerden, Hans Veerman. Scénario : Gerard Soeteman. Directeur de la photographie : Jost Vacano. Décors : Benedict schillemans. Montage : Ine Schenkkan. Musique : Ton Scherpenzeel. Producteur : Joop van den Ende. Production : Endemol Entertainment – VSE Film. Pays-bas. 1980. 120 mn. Couleurs (Eastmancolor). Format image : 1.66 :1. Interdit aux moins de 12 ans.