Un western avec un humour noir délectable, réalisé par les frères Miller dont l’approche originale du cinéma et l’univers singulier n’ont d’égal que la folie et l’excentricité de leurs personnages mais aussi celles des comédiens qui les interprètent.
Prostituée repentie, Sarah (January Jones) vit très simplement, dans une ferme isolée, avec son mari Miguel (Eduardo Noriega). Mais un soir, Miguel ne revient pas… Sarah se met à soupçonner le « prophète Josiah » (Jason Isaacs), à la tête d’une secte de fondamentalistes voisine de leur propriété, à qui Miguel avait eu le tort de tenir tête. Par un autre chemin, le shérif Jackson (Ed Harris), redresseur de torts excentrique aux méthodes aussi peu orthodoxes que sa dégaine, à la recherche de deux frères disparus, en vient également à surveiller de près Josiah… Les chemins de ces trois personnages hauts en couleurs ne vont pas tarder à se croiser, et la rencontre ne se fera pas sans heurts.
Genre américain par excellence, sacré, avec des règles bien définies, le western, annoncé régulièrement comme mort et enterré depuis quelques décennies, est toujours un genre bien présent dans l’industrie du cinéma américain. Pour exemple, rien que cette année, on a pu voir les très réussis Django Unchained de Quentin Tarantino et Lone Ranger de Gore Verbinski, qui, comme Shérif Jackson, sous couvert de divertissement, traitent d’événements difficiles de l’histoire des Etats-Unis.
Avec ce deuxième film, audacieux et décalé, à l’humour noir dévastateur, les frères Miller empruntent les codes classiques du « Revenge Movie » afin de mieux les détourner. On pense en effet ici tout aussi bien aux classiques du genre, de Ford à Eastwood en passant par Peckinpah qu’au cinéma de Tarantino ou encore des frères Coen.
Qui dit western dit paysages et grands espaces. Au début du film l’ouest est magnifié et idéalisé par des plans sublimes. Le travail effectué sur la lumière et la photo offre des images grandioses à la limite du lyrisme. Mais très vite l’histoire et les personnages, tous aussi fous et dangereux les uns que les autres, nous entraînent dans un chaos inattendu. Les personnages se révèlent différents de ce à quoi nous nous attendions et leurs interprétations jouissives par des acteurs très en forme leurs confèrent d’ores et déjà le statut de cultes.
Ici, le Shérif danse. Il incarne un esprit libre qui agit en fonction de ses propres règles. Il fait son travail, mais à sa manière. Intransigeant et sans pitié. En roue libre, Ed Harris (L’Etoffe des Héros (83) de Philip Kaufman, Alamo Bay (85) de Louis Malle, Le Complot (88) de Agnieszka Holland, Abyss (89) de James Cameron, Les Anges de la nuit (90) de Phil Joanou, Les Pleins pouvoirs (97) de Clint Eastwood, The Truman Show (98) de Peter Weir…), déjà à l’affiche de Touching Home (2008 – inédit en France), premier film des frères Miller, campe ici un personnage truculent et complètement dingue sans être hystérique. Il est opposé au personnage de prophète sanguinaire qu’interprète avec délectation Jason Isaacs (Lucius Malfoy dans la saga « Harry Potter »). Ce dernier excelle en religieux fanatique déjanté. Il est cruel, jaloux, vicieux… Son charme et son regard bleu perçant contraste avec ses instincts psychopathes, ses délires prophétiques et autres exécutions divines. Polygame et probablement schizophrène, il est persuadé de faire le travail de Dieu sur Terre. Fou de pouvoir, il cherche à posséder biens et personnes quitte à détruire qui osera défier son ego. Mais le shérif Jackson ne sera pas le seul adversaire du gourou mormon libidineux. Trahie par la religion et dans ses idéaux, Sarah, l’ex-prostituée décide de se faire justice elle-même et se lance dans une croisade vengeresse. Avec un passé douloureux et habitée par une douleur muette, la veuve cache un caractère fort. C’est tout en élégance, de sa tenue à sa gestuelle, qu’elle va méthodiquement et froidement traquer ceux qui ont brisé sa vie. Magnifiquement interprété par la radieuse January Jones (Full Frontal (02) de Steven Soderbergh, Self Control (03) de Peter Segal, Trois enterrements (05) de Tommy Lee Jones…), le personnage quasi mutique de Sarah a quelque chose de Calamity Jane ou encore de la mariée « Black Mamba » qu’interprète Uma Thurman dans Kill Bill (03) de Quentin Tarantino.
Les destins de ces trois personnages vont donc se croiser dans cette bourgade aux allures de cirques avec ses monstres de foire, ses « freaks » aux passions exacerbés et aux pulsions incontrôlables. Bourgade qui symbolise notre société malade et corrompue par l’argent, le pouvoir, la religion, la possession, l’avoir.
Avec un cynisme implacable ce western nihiliste fait immanquablement penser à l’oeuvre des frères Coen et offre une parabole d’actualité non seulement sur les peurs irrationnelles que suscite l’immigration mais aussi sur la menace que représentent les fortunes des sectes d’illuminés racistes.
Même si Shérif Jackson est un western crépusculaire et violent, il n’en est pas moins pour autant un film rafraîchissant par sa dérision et son outrance. Avec ce film, les frères Miller, qui ne manquent ni d’idées ni de talent, dépassent les conventions du western. Ici, il n’y a ni gagnant, ni héros. Tout le monde se fait avoir dans cette histoire sombre et sordide. Ils signent un film certes original mais restent rigoureux dans l’exercice. C’est cette application dans leur travail qui fait que Shérif Jackson trouve sa place sans se soucier du genre auquel il peut (ou doit) appartenir. Actuellement, les deux frères développent un nouveau projet, un thriller moderne et violent qui se déroulera de nouveau dans les paysages désolés du Nouveau-Mexique.
Avec ce traitement de la thématique « Justice Vs Vengeance », on peut dire de Shérif Jackson que c’est un film sans foi ni loi.
Steve Le Nedelec
Shérif Jackson (Sweetwater) un film de Logan Miller et Noah Miller avec Ed Harris, January Jones, Jason Isaacs, Eduardo Noriega, Jason Aldean, Stephen Root, Vic Browder et Luce Rains. Scénario Logan Miller et Noah Miller d’après une histoire d’Andrew McKenzie. Directeur de la photo : Brad Shield. Décors : Waldemar Kalinowski. Montage : Robert Dalva. Musique : Martin Davitch. Producteurs exécutifs : Ed Harris, Tucker Moore, Stephen K. Bannon, Rick Benattar, Andrew J. Curtis, Jonathan English, Philipp Menz, Stefan Menz, Glenn Kendrick Ackermann. Producteurs : Jason Netter, Logan et Noah Trevor Drinkwater. Production : Raindance Entertainment, L.P. – Mythic International Entertainment – Atlas International Film – Arc Entertainment – Kickstart Productions. USA. 2013. Couleurs. 95 mn. Interdit aux moins de 12 ans. Distribution Potemkine / Seven 7