Frank et Brenda vivent à quelques doigts l’un de l’autre. Ils sont amoureux l’un de l’autre. Lui est une saucisse enfermée avec ses collègues dans un emballage. Elle est un pain à hot-dog serré dans son sachet contre ses copines. Comme tous les aliments du supermarché, Frank et Brenda rêvent de partir vers l’au-delà merveilleux emportés par les dieux-consommateurs qui dès le matin sillonnent les rayonnages…
Sausage Party est une caricature drôle et cynique de notre monde. Comme toute caricature intelligente, elle éclaire crûment les tares de nos sociétés. Le film utilise les codes et les figures du cinéma d’animation de masse, des produits formatés et abrutissants à destination des familles qui n’ont plus d’autres horizons que la consommation frénétique. Sausage Party est dans le cadre du cinéma d’animations commerciales actuelles; une œuvre subversive, revigorante et définitivement saine. Les personnages de cette histoire ne donneront pas naissance à des produits dérivés et ne s’empileront pas le long des linéaires à l’occasion des fêtes de Noël.
Sausage Party est le voyage initiatique de Frank. Tout débute avec le retour d’un pot de Moutarde au Miel, une erreur d’achat. Celui-ci revient de l’au-delà, de ce monde merveilleux. Il a vu l’horreur. Les dieux ne sont pas bienveillants, mais des folles sanguinaires animées par de sombres desseins et la satisfaction de leurs désirs. Le pot de Moutarde au Miel préfère le suicide à retourner de l’au-delà. Frank et Brenda tentent de le secourir et finissent par rester dans le supermarché, perdus loin de leur rayon. Ses camarades saucisses partent heureux vers l’au-delà. Mais la déconvenue va être majeure. Les promesses d’une vie de bonheur ne sont que des promesses à destination de ceux qui croient aveuglément.
Le film de Conrad Vernon et Greg Tiernan s’attaque avec vigueur à l’obscurantisme. Dans le supermarché, les aliments vivent dans la croyance. Jamais ils n’ont remis en cause ce qu’on leur a inculqué depuis leur apparition en rayonnage. Avant l’ouverture du supermarché, ils chantent leur foi. Ils vivent comme dans une comédie musicale. Leur seule hantise est que la date de péremption soit dépassée – le néant les attend alors au fond d’une poubelle. Frank va découvrir l’épouvantable vérité de la condition des aliments. Leur foi a érigé des codes de conduite et des interdits auxquels ils se soumettent. Comme dans toute société basée sur la frustration et le refoulement, tous les personnages sont taraudés par le sexe, les sous-entendus sexuels abondent, puisque la seule chose qui leur est « permise » est la parole. Frank et Brenda sont pétris de désirs mais ils ne doivent rien faire avant de sortir de ce lieu. Et avec de la chance, ils se retrouveront au même endroit où enfin ils pourront vivre totalement leur amour, Frank pourra enfin se glisser en elle. Ses interdits sont acceptés par toute la communauté comme allant de soi, personne n’a jamais eu le moindre doute sur leur bien-fondé. Dans l’au-delà, petits, grands, beaux, moches, difformes – tous sans exception seront accueillis comme ils sont et pourront enfin vivre librement. Dans les rayonnages des produits du monde, les produits halal et cacher se toisent en permanence. Kareem Abdul Pita rêve des 77 bouteilles d’huile d’olive extra-vierge qui l’attendent de l’autre côté tandis que son pire ennemi Sammy Bagel Jr. pacifiste rationalise. Tout n’est donc pas joyeux dans le temple de la consommation, derrière la bonhomie se cache des luttes de pouvoir. Un parti politique nazi fait régner la terreur dans certaines zones. Qu’importe, la société du spectacle domine, et la nuit c’est la fête quand on oublie tout.
Le scénario de Sausage Party sous des dehors potaches est particulièrement habile. Il renvoie sans cesse à notre société, le supermarché est un microcosme de notre monde. Il emprunte autant à la mythologie, à la contre-culture des années 70 qu’à la culture populaire. Les aliments sont à notre image. Et pour les humains-dieux, la seule manière de percevoir cette dimension des aliments qui parlent est de passer par des substances hallucinogènes. Thème classique de la science-fiction qui nous rapproche de Philip K. Dick. Quant à Frank, il n’est pas éloigné de Zed de Zardoz (1974), autre personnage qui va percer la pseudo-réalité des dieux et découvrir l’inconcevable: tout n’est que manipulation.
Sausage Party promet la liberté de conscience, le final ne dit rien d’autre. Libéré du poids de la religion, les aliments peuvent enfin s’éclater, vivre pleinement l’instant présent sans peur du lendemain et sans haine du prochain, vivre sa vie enfin… cela est-il possible dans ce monde? … à en croire la fin, pas vraiment…
Fernand Garcia
Sausage Party un film de Conrad Vernon & Greg Tiernan avec les voix de Seth Rogen, Kristen Wiig, Michael Cera, James Franco, Bill Hader, Salma Hayek, Jonah Hill, Anders Holm, Nick Kroll, David Krumholtz, Danny McBride, Edward Norton, Craig Robinson, Paull Rudd… Scénario : Kyle Hunter, Ariel Shaffir, Seth Rogen et Evan Goldberg. Histoire : Seth Rogen, Evan Goldberg et Jonah Hill. Supervision des effets visuels : Bert van Brande. Montage : Kevin Pavlovic. Musique : Alan Menken et Christopher Lennertz. Producteurs : Megan Ellison, Seth Rogen, Evan Goldberg et Conrad Vernon. Production : Columbia Pictures – Annapurna Pictures – Point Grey. Distribution (France) : Sony Pictures Releasing France (sortie le 30 novembre 2016). Etats-Unis. 88 mn. Couleur. Format image : 1.85 :1. DCP. Son : Dolby Digital 7.1. Interdit aux moins de 12 ans.