Tom Spellacy (Robert Duvall) roule dans le désert californien, à des kilomètres de Los Angeles. En ce début des années 60, Spellacy est un inspecteur de police, d’origine irlandaise, à la retraite. Il s’arrête à une église perdue dans ce désert. Il rejoint son frère cadet Desmond (Robert De Niro). Mgr Spellacy, curé de la pauvre paroisse, n’a plus que quelques mois à vivre. Tom se souvient d’un crime des années 40…
Sanglantes confessions est l’adaptation d’un polar de John Gregory Dunne qu’il coadapte avec sa femme Joan Didion. L’histoire s’inspire du meurtre non résolu d’une jeune actrice, connue sous le nom du Dahlia Noir. Le 15 janvier 1947, Elisabeth Short, 22 ans, est retrouvée coupée en deux, sur un terrain vague de Los Angeles. La jeune femme est surnommée par la presse le Dahlia Noir (Black Dahlia) en référence à son abondante chevelure noire et de la fleur de Dalhia qu’elle portait. Le crime est monstrueux, Elizabeth était vidée de son sang avec des traces de mutilations et la bouche entaillée depuis la commissure jusqu’aux oreilles. De profondes traces aux poignets indiquent qu’elle a été attachée et torturée certainement pendant de longues heures. Ce crime hallucinant va faire la Une pendant des années et donne naissance à toutes sortes d’hypothèses sur la mort d’Elisabeth Short.
Aussi curieux que cela puisse paraître Sanglantes confessions est le premier film à s’inspirer directement de ce fait divers. John Gregory Dunne et Joan Didion, tous deux romanciers, sont les auteurs de plusieurs scénarios pour le cinéma dont Panique à Needle Park (The Panic in Needle Park, 1971), d’après le roman de James Mills, réalisé par Jerry Schatzberg et Une étoile est née (A Star is Born), la version de 1976 avec Barbra Streisand.
Ulu Grosbard est l’un des metteurs en scène les plus respectés de Broadway. Sa mise en scène de Vu du pont (A View from the Bridge) d’Arthur Miller en 1965 reste dans les annales du théâtre américain. Grosbard y dirige de jeunes acteurs destinés à faire carrière : Robert Duvall et Dustin Hoffman. Une longue amitié le lie à Dustin Hoffman qu’il dirige au cinéma dans Qui est Harry Kellerman ? (Who Is Harry Kellerman and Why Is He Saying Those Terrible Things About Me ?, 1971), sa seconde réalisation après Trois étrangers (The Subject Was Roses) en 1968. En 1977, Dustin Hoffman, après cinq jours de tournage, abandonne la réalisation du Récidiviste (Straight Time, 1978) et demande à Ulu Grosbard d’en assurer la charge. Cette adaptation d’un roman d’Edward Bunker met à mal leur amitié.
Après Sanglantes confessions, Ulu Grosbard retrouve Robert De Niro pour (in) Falling in Love (1984), comédie sentimentale avec Meryl Streep. Les sujets qui motivent Ulu Grosbard tournent le plus souvent autour de relations familiales compliquées, ainsi, il s’intéresse à deux sœurs dans Georgie incarner par Jennifer Jason Leigh et Mare Winningham (remarquable) puis aux conséquences d’un enlèvement d’enfant dans Aussi profond que l’océan (The Deep End of the Ocean, 1999) avec Michelle Pfeiffer. Ulu Grosbard rencontre Robert Duvall alors tous deux jeunes acteurs au milieu des années 50. Outre la pièce d’Arthur Miller, ils se retrouvent sur scène pour la création d’American Buffalo de David Mamet en 1977.
Robert De Niro est dès le départ associé à cette nouvelle production de Robert Chartoff et Irwin Winkler. Ils viennent de terminer Raging Bull. Pour incarner le frère policier, Ulu Grosbard pense tout d’abord à Gene Hackman, mais celui-ci refuse. Il a alors une formidable idée, confier le rôle à Robert Duvall. Sanglantes Confessions est la première rencontre à l’écran de Robert De Niro et de Robert Duvall. Ils avaient partagé l’affiche dans Le Parrain II, chef-d’œuvre de Francis Ford Coppola, mais ils n’avaient pas de scènes en commun et pour cause, De Niro incarné Vito Corleone jeune, dans une complexe construction se déployant sur deux époques. Sanglantes confessions scelle la rencontre de deux monstres sacrés.
Evidemment, Robert Duvall est avant tout Tom Hogan, l’avocat des Corleone du Le parrain I &II (The Godfather I & II, 1972 – 1974) et de manière plus spectaculaire le Lt Colonel Bill Kilgore, celui du napalm au petit matin d’Apocalypse Now (1979), personnages à jamais dans l’imaginaire de tous les amateurs de cinéma. Robert Duvall débute au début des années 60 au cinéma. De petits rôles en petits, il est vite remarqué par la variété de ses compositions. Duvall, c’est une présence puissante qui joue autant sur la retenue que sur l’explosion de sentiments contradictoires. C’est par l’analyse de leurs fragilités qu’il donne une consistance à ses personnages. Homme faible et lâche dans La poursuite impitoyable (The Chase, 1966) d’Arthur Penn ou religieux et chirurgien dans M*A*S*H* de Robert Altman, quel que soit le film, Robert Duvall est toujours juste et crédible. Un virtuose qui crédibilise chaque scène.
Il croise d’immenses acteurs et stars de l’écran : Marlon Brando, Frank Sinatra, John Wayne, Paul Newman, Steve McQueen, Burt Lancaster, Clint Eastwood, Charles Bronson, William Holden, Robert Redford, Tom Cruise, etc. Robert Duvall à son premier rôle en vedette dans THX 1138 de George Lucas. Il rencontre le futur réalisateur de La Guerre des étoiles (Star Wars, 1977) sur le tournage des Gens de la pluie (1969) de Francis Ford Coppola. Il est tout aussi formidable dans le méconnu Echec à l’organisation (The Outflit, 1973) de John Flynn et un excellent Watson dans Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express (The Seven-Per-Cent Solution, 1976) d’Herbert Ross, cynique patron de chaîne dans le visionnaire Network (1976) de Sidney Lumet.
Il décroche l’Oscar du meilleur acteur pour Tender Mercies de Bruce Beresford, en 1984. Pour Sanglantes confessions, il s’immergeant au sein de la police de Los Angeles pendant plusieurs semaines, et se documente sur les années 40. Son interprétation du Sergent Tom Spellacy, policier, torturé par un sentiment de culpabilité qui de tente de retrouver une certaine intégrité, est impressionnante.
Robert De Niro est à quelques mois de la fin du tournage de Raging Bull quand il se jette dans Sanglantes confessions. Sa composition est admirable, d’une justesse et d’une précision incroyables, il est, sans l’ombre d’un doute, un ecclésiastique. Tout vient d’un long travail, d’approfondissement de son personnage. De Niro se prépare méticuleusement, il garde quelques kilos du film de Scorsese, afin de donner consistance à son homme d’Eglise. Il apprend la liturgie et le latin. Il délaisse le spectaculaire pour un jeu en tout en retenue, ce qui n’exclut pas de fortes tensions intérieures. Comme à son habitude, sa composition force l’admiration.
Robert De Niro est au sommet de son art. Il vient d’enchaîner Le Parrain II de Francis Ford Coppola, 1900 de Bernardo Bertolucci, Taxi Driver de Martin Scorsese, Le dernier Nabab d’Elia Kazan, New York New York de Martin Scorsese, Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, et embraie après Sanglantes Confessions sur La valse des pantins de Martin Scorsese, et Il était une fois en Amérique de Sergio Leone ! Une série quasi miraculeuse de chef-d’œuvre. Nous vivions sans le savoir, l’âge d’or d’un cinéma américain des années 70 d’une incroyable créativité.
Robert De Niro et Robert Duvall sont époustouflants, ils hissent leurs personnages à des hauteurs d’authenticité qui laisse sans voix, du grand art. Le festival de Venise ne s’y trompe pas en leur décernant un double prix d’interprétation. A ce duo de rêve, s’ajoutent des acteurs de seconds rôles solides, entre autres, Charles Durning, Kenneth McMillian, Burgess Meredith et Rose Gregorio, la femme d’Ulu Grosbard, dans le rôle de mère maquerelle, sont formidables. Il faut louer la mise en scène d’Ulu Grosbard qui donne vie avec une infinie de détails aux années 40. Des vedettes aux plus petits rôles, ils sont tous parfaitement dirigés. Il suffit de voir la figuration en arrière-plan pour se rendre compte de l’excellence de son travail.
Grosbard confie la partition musicale au Français Georges Delerue, auteur du légendaire thème de Camille pour Le Mépris de Jean-Luc Godard. Sanglantes confessions est sa première composition enregistrée aux Etats-Unis. Ulu Grosbard lui demande une musique qui soit à la fois des années 40 et moderne et qui souligne la tragédie qui enserre les deux frères. Le résultat est à la hauteur des ambitions. « L’important c’est la trajectoire des frères qui, au terme d’une histoire sordide, se retrouvent à peu près au même point après avoir suivi des voies différentes » déclarait Ulu Grosbard.
Sanglantes confessions est un néo polar dans le sillage de Chinatown dans le ton de l’époque avec sa fin abrupte et bouleversante. Ulu Grosbard, auteur d’une œuvre rare, 8 pièces et 7 films, mérite une véritable réévaluation.
Fernand Garcia
Sanglantes confessions, une édition L’Atelier d’images disponible en Blu-ray ou en DVD en complément : Confessions intimes par Samuel Blumenfeld : « le film d’Ulu Grosbard est le troisième grand film néo noir de la décennie. (.) Sanglantes confessions est le troisième film méconnus à côté du Privé (Robert Altman) et de Chinatown (Roman Polanski) », éclairage intéressant sur Ulu Grosbard dont« son histoire personnelle explique l’implication d’Ulu Grosbard dans Sanglantes confessions » sur la dynamique entre les deux frères de deux âge différents (37 minutes). Et la bande-annonce originale.
Sanglantes confessions (True Confessions) un film de Ulu Grosbard avec Robert De Niro, Robert Duvall, Charles Durning, Kenneth McMillian, Ed Flanders, Burgess Meredith, Rose Gregorio, Dan Hedaya, Gwen Van Dam… Scénario : John Gregory Dunne et Joan Didion (et non crédité Gary S. Hall) d’après le roman de John Gregory Dunne. Directeur de la photographie : Owen Roizman. Décors : Stephen B. Grimes. Costumes : Joe I. Tompkins. Montage : Lynzee Klingman. Musique : Georges Delerue. Producteurs : Robert Chartoff et Irwin Winkler. Production : Chartoff-Winkler Productions – United Artists. Etats-Unis. 1981. 1h48. Technicolor. Panavision. Format images : 1.85 :1. Son : Version originale sous-titrées en français et en Version française. Stéréo. Interdit aux moins de 12 ans. Prix d’interprétation pour Robert De Niro et Robert Duvall – Festival de Venise, 1981.