Derrière le titre, Roubaix, une lumière se dissimule un autre Oh Mercy, référence à l’album de Bob Dylan sortie en 1989 considérer comme un nouveau départ (un de plus) pour les spécialistes de l’auteur-compositeur nobélisé. Le film d’Arnaud Desplechin pourrait être accompagné par les ballades de Dylan tant la proximité des deux artistes éclate à chaque plan. L’album s’ouvre avec Political World avec le couplet :
« Nous vivons dans un monde politique
L’amour n’a plus de place
On vit une époque
où les gens commettent des crimes
mais les crimes sont anonymes. »
Anonymes pas tant que ça, le commissaire Daoud (Roschdy Zem) est confronté tous les jours à la misère humaine, à des hommes et des femmes de peu. Dans Roubaix, l’hiver est froid, le vent glacial, la nuit insondable, dans une rue larvée d’histoires, les guirlandes de Noël éclairent d’une lumière discrète l’entrée du commissariat. En cette période de fête, ce sont les petits malheurs de la ville qui converge vers cette bâtisse aux murs ternes et décrépis.
Louis Coterelle (Antoine Reinartz) débarque, diplôme en poche, pour sa prise de fonctions. Il appréhende de se confronter à la dureté de la réalité. Le soir, seul, il prie taraudé par le démon du doute. Dans ce kaléidoscope d’entôlage et de truanderie, un épouvantable crime, une vieille dame est assassinée, chez elle, le motif semble des plus flous. Dans cette arrière-cour de désolation, quelques jours auparavant un feu s’était déclaré. Au fur et à mesure de l’avancement de l’enquête, le commissaire Daoud se concentre sur deux voisines, Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier).
Roubaix, une lumière est un formidable film de genre, un polar populaire comme le cinéma français n’en propose plus depuis des lustres. Roschdy Zem est impeccable, jeu épuré jusqu’à l’os, il traîne une résignation romantique de celle que l’on trouve chez l’homme qui connaît et comprend les faiblesses humaines. L’interprétation de Roschdy Zem est digne d’André Bourvil tant la filiation entre le commissaire Daoud le commissaire Mattei du Cercle rouge, est évidente. Sara Forestier et Léa Seydoux, méconnaissables, sont sidérantes de justesse. Un couple fusionnel, heurté, aux plaies béantes, deux accidentées de la vie, touchantes et monstrueuses.
Construit en deux parties, tout aussi passionnante l’une que l’autre. Desplechin réussit à partir de faits brutes (inspiré par un documentaire de Mosco) à faire œuvre romanesque. Le style de la première partie est ample, foisonnant de personnages, de petites affaires, le montage (de Laurence Briaud) est superbe, les coupes sont nettes, brutales comme dans un Don Siegel ou un Robert Aldrich, puis dans la seconde partie, le style change imperceptiblement, les plans allongent, le récit devient plus ample tandis que l’histoire se recentre sur Marie et Claude. Ce qui motive Desplechin, c’est la réalité métaphysique des personnages et non la procédure policière, la reconstitution de l’assassinat de la vieille dame est menée par Daoud et non par un juge d’instruction. Ce qui intéresse Desplechin est le dévoilement de l’être, la vérité douloureuse d’un crime dont le sens échappe à ses auteurs. Dans la chambre du crime, c’est toute une humanité qui crie son mal de vivre, victimes et coupables réunis. C’est fort, car l’empathie envahit le spectateur, à la froideur de l’image (magnifique photo hivernale d’Irina Lubtchansky) répond la chaleur des sentiments humains. Du grand art.
Roubaix, une lumière, quête dostoïevskienne de moral, dans un siècle où les êtres se cherchent, une re-visitation de Crime et châtiment.
« Nous vivons dans un monde politique
Tout appartient à quelqu’un
On peut escalader la charpente
et crier le nom de Dieu, mais on ne sait pas
vraiment, comment il s’appelle. »
Miséricorde, peut-être…
Fernand Garcia
Roubaix, une lumière (Oh Mercy) un film d’Arnaud Desplechin avec Roschdy Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier, Antoine Reinartz, Philippe Duquesne, Sylvie Moreaux, Betty Catroux, Maïssa Taleb, Jérémy Brunet, Anthony Salamone… Scénario : Arnaud Desplechin & Léa Mysius. Image : Irina Lubtchansky. Décors : Toma Baqueni. Costumes : Nathalie Raoul. Montage : Laurence Briaud. Musique : Grégoire Hetzel. Producteurs : Pascal Caucheteux et Grégoire Sorlat. Production : Why Not Productions – ARTE France Cinéma avec la participation de Canal + – Michel Merkt –Pictanovo – Region Hauts-de-France – Wild Bunch. Distribution (France) : Le Pacte (Sortie le 21 août 2019). France. 2019. 119 minutes. Couleur. 4K. Format image : 1.85 :1. DCP. Son : 5.1. Tous Publics. Sélection officielle en compétition Festival de Cannes, 2019.