Rare sont les titres de Roman porno disponibles dans l’édition française. De manière sporadique quelques-uns étaient apparus entre autres sous la bannière de Zootrope Films – Luminor, il y a quelques années. Le coffret de dix titres que propose Eléphant Films est un événement que nous espérons n’être que l’amorçage de futures éditions. Mais qu’est-ce que le Roman porno ?
En 1971, la Nikkatsu, la plus ancienne des Majors japonaise dont la création remonte à 1912, est au bord du dépôt de bilan. Ses meilleurs réalisateurs, dont l’immense Shohei Imamura, sont partis, sans parler de Seijun Suzuki qui les poursuit en justice depuis 1968. La direction de la Nikkatsu est en effervescence. Comment faire pour ne pas finir comme la Daiei, une des plus prestigieuses sociétés de cinéma du pays, qui l’année précédente a dû mettre la clé sous la porte. Une idée fuse, celle de la dernière chance, une série de films érotiques, intitulée Roman porno contraction de Romantique-pornographique.
Le public visé par les têtes pensantes de la Nikkatsu est essentiellement masculin, solitaire, adepte ou non de Love-Hotels, lecteur de mangas érotiques ou tout simplement amateur-voyeur d’expériences sexuelles interdites. L’accent de la série va être mis sur les fantasmes et leur lot d’agressions sexuelles, viol, sadomasochisme, voyeurisme, masturbation (féminine de préférence), bondage, etc. Un cahier des charges auquel les réalisateurs vont devoir se soumettre, mais qui paradoxalement va leur donner beaucoup de liberté. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est un genre qui plaide ouvertement pour la cause des femmes et témoigne d’une réalité sociale. Les lieux ont aussi leur importance et c’est dans la rue, au plus près de la population, que certains cinéastes placent leurs caméras. A voir aujourd’hui, c’est la découverte de rues, de quartiers, du fourmillement de la vie de l’époque. Autre contrepartie à cette liberté, les réalisateurs devaient suivre les recommandations de la censure (l’Eirin) qui interdit catégoriquement de montrer les sexes ou la pilosité. Ce qui contraint les réalisateurs et leurs opérateurs à de véritables acrobaties à l’image : cadre dans le cadre, éléments de décor astucieusement placés, angles de prise de vues audacieux. Ce qui a pour effet, parfois, de décupler l’impact érotique des scènes, mais les flous sur les sexes rappellent qu’il s’agit bien de censure et d’une entrave à la création.
Le succès est foudroyant. La Nikkatsu accélère le rythme de production afin de distribuer deux films par semaine en salle. En dix-sept ans, ce sont plus de 1 000 films qui vont ainsi être produits et distribués. Le studio permet à une nouvelle génération d’auteurs d’éclore. Noburo Tanaka, Masaru Konuma, Tatsumi Kumashiro, Toshiraru Ikeda et Chsei Sone, sont aujourd’hui reconnus comme les grands-maîtres du genre. Le Roman porno est avant tout un art qui n’existe qu’à partir des personnages féminins, des personnages qui se détachent de la tradition pour s’affirmer et dévoiler la réalité du japon contemporain. Appropriation du corps comme élément de désir et de pouvoir. Dans cet environnement certaines actrices vont atteindre un stade iconique : Junko Miyashita, Mari Tanaka, Rie Nakagawa, Naomi Tani…
Si la plupart des Romans pornos passent la censure, certains auront maille à partir avec la police. Ainsi en 1973 au plus fort de la production, Le chasseur sexuel et L’Odeur de la chatte sauvage sont saisis par la police pour obscénité.
Le Roman porno n’est pas qu’une simple bande pornographique comme on l’imagine en Occident. Il n’y a pas de gros plan de pénétration, les scénarios sont solides et structurés même s’ils sont encadrés par des schémas commerciaux bien établis. Une scène érotique toute les dix minutes et des incontournables (pêle-mêle : l’initiation forcée de la voisine, caresses impudiques, voyeurisme, etc.) et l’importance de l’élément liquide auquel les titres font fréquemment référence (Les amants mouillés, A l’ombre des jeunes filles humides) et curieusement le sperme qui n’entre pas dans les interdits à l’image. Dans ce cadre strict, de véritables talents vont se révéler, Noboru Tanaka, Masaru Konuma, Tatsumi Kumashiro, et Chusei Sone, entre autres, tant le genre reste encore un territoire à défricher.
Pour les 45 ans du label, la Nikkatsu demande à cinq réalisateurs de revisiter des classiques du genre sous le titre de Roman Porno Reboot. Éléphant films rassemble dix titres dans un coffret : cinq classiques et les cinq du projet Roman Porno Reboot. Lady Karuizawa de Masaru Konuma auquel son assistant de l’époque Hideo Nakata rend hommage avec White Lily. Tatsumi Kumashiro et ses Amants mouillés revisités par Akihiko Shiota avec A l’ombre des jeunes filles humides et L’Extase de la rose noire source des Chaudes Gymnopédies de Isao Yukisada. Retour dans les quartiers chauds de Nuit félines à Shinjuku de Noboru Tanaka par Kazuya Shiraishi avec L’Aube des félines. Quant à Toshiharu Ikeda, signe avec Red Porno un nouvel épisode de la série Angel Guts. Enfin, l’iconoclaste Sono Sion, livre avec Antiporno une vertigineuse plongée dans la psyché du genre.
Éléphant films, afin de permettre aux spectateurs de « pénétrer » dans ce genre si codifié, à fait appel à trois spécialistes du Roman porno : Stephen Sarrazin, Stéphane Du Mesnildot et Julien Sévéon, interventions qui éclairent et situent le genre dans l’histoire du cinéma japonais. A ces entretiens passionnants et instructifs, un autre complément de choix, un livre : Nikkatsu Roman porno, une autre histoire du corps au Japon par Stephen Sarrazin. Un coffret idéal pour lever le voile sur un genre, transgressif, populaire, progressiste et vertigineusement érotique.
Fernand Garcia
Coffret Roman porno, une histoire érotique du Japon, 10 blu-ray, 10 films dans de magnifiques reports HD : Nuits félines à Shinjuku de Noboru Tanaka, Angel Guts : Red Porno de Toshiharu Ikeda, L’Aube des Félines de Kazuya Shiraishi, L’Extase de la rose noire de Tatsumi Kumashiro, Les Amants mouillés de Tatsumi Kumashiro, A l’ombre des jeunes filles humides d’Akihiko Shiota, Lady Karuizawa de Masuru Konuma, Chaudes Gymnopédies de Isao Yukisada, White Lily de Hideo Nakata et Antiporno de Sono Sion. Plus de 10 heures de bonus accompagnent cette formidable et indispensable édition.