Antoine de Tounens fait partie de ses personnages incroyables qui traverse l’histoire ne laissant qu’une microscopique trace dans la mémoire du monde. Avoué au tribunal de Périgueux, il quitte tout, vend ses biens et s’embarque, seul, en 1858 pour le Chili. Il caresse le rêve d’établir un royaume en Araucanie, région indépendante du peuple Mapuche. Il s’enfonce dans cette contrée lointaine à la recherche du chef des Mapuches à qui il a écrit. Dans un village, il apprend que celui-ci est mort. Antoine poursuit son entreprise et en 1860, il signe la déclaration d’indépendance de l’Araucanie et se proclame Roi sous le nom d’Orllie-Antoine 1er. Le gouvernement Chilien, qui a des prétentions sur cet immense territoire, l’emprisonne, le juge, le déclare fou et le condamne à l’exil. Forcé à revenir en France, Roi déchu, il n’aura de cesse à faire reconnaître son royaume à la communauté internationale. Il ne retournera jamais en Patagonie.
Rey est l’histoire de cette épopée insensée mis en image par un cinéaste particulièrement inspiré, Niles Atallah. Comme tous les personnages animés par un but obsessionnel dont la finalité échappe à la majorité des humains, il est fascinant. Antoine de Tounens est de la trempe de ses personnages croisés chez Werner Herzog, à l’instar d’Aguirre ou de Fitzcarraldo. De cette aventure, il reste un livre de la main d’Antoine de Tounens, des archives incomplètes de son procès, des récits contradictoires à son sujet et la transmission orale du peuple Mapuche. A partir de ce matériau, Niles Atallah a recréé un voyage à la démesure de son héros.
« J’ai imaginé un film qui provoquerait une expérience semblable chez le spectateur : un voyage dans le domaine des rêves oubliés, les souvenirs imparfaits et les frasques d’un fantôme. A la manière d’un souvenir qui s’efface, un roi et un royaume qui n’existent plus qu’en rêve. » Niles Atallah
Antoine de Tounens (Rodrigo Lisboa, totalement investi) plonge dans un monde inconnu aux codes indéchiffrables. Rien ne l’arrête, ni les mises en garde, ni les événements extraordinaires qui jalonnent son parcours, ni les trahisons. Sa quête de pouvoir transcende son être. Au bord de la folie, il persévère tant et si bien qu’il finit par s’autoproclamer Roi d’Araucanie de Patagonie. Niles Atallah réussit à relier un ensemble d’éléments disparates, issus tout autant d’une supposée vérité historique que du mythe et de la légende. Le résultat final est fascinant. Esthétiquement, il revient à une sorte de cinéma primitif, expérimental avec une image dégradée, abîmée par le temps qui s’altère devant nos yeux, comme si cette histoire, dans un dernier soubresaut, avant de sombrer dans l’oubli, tentait d’entrer en contact avec le spectateur, de crier la vérité d’un homme: oui cette histoire a bien eu lieu, et moi Antoine de Tounens, je fus Roi. Au point que le rendu photographique et le corps d’Antoine de Tounens ne font plus qu’un. Emprisonné, il raconte son histoire. Son procès à charge est mené par les militaires chiliens dont le visage n’est qu’un masque figeant tout autant leurs traits que leurs discours convenus. La grande force de Rey est que tout cohabite à l’image: la folie, la démesure, l’absurde, les rêves et les souvenirs, et c’est ce qui en fait toute sa beauté et sa poésie.
Fernand Garcia
Rey, l’histoire du Français qui voulait devenir Roi de Patagonie (Rey) un film de Niles Atallah avec Rodrigo Lisboa, Claudio Riveros… Scénario : Niles Atallah. Image : Benjamin Echazarreta. Directeur artistique et costumes : Natalia Geisse. Son : Claudio Vargas, Peter Rosenthal. Mixage : Roberto Espinoza. Montage : Benjamin Mirguet. Musique : Sebastián Jatz Rawicz. Producteur : Lucie Kalmar. Production : Mômerade (France) et Diluvio (Chili). En coproduction avec Circe Films (Hollande), EYE Filmmuseum (Hollande), Unafilm (Allemagne), Kine-Imagenes (Chili), Sonamos (Chili). Distribution : Damned Films (Sortie le 29 novembre 2017). Chili – France – Pays-Bas – Allemagne – Qatar. 2017. 91 minutes. Ratio image : 1.33 :1 et 1,85 :1. Couleur. Prix du Jury, Festival de Rotterdam, Prix découverte de la critique française, Cinelatino Toulouse 2017. Tous Publics.