Restaurations et Incunables 2/3 – Festival de la Cinémathèque, 2025

La section « Restaurations et Incunables », propose une sélection de raretés incontournables et de restaurations menées récemment en France et dans le monde. Un programme éclectique par nature qui, des classiques aux trésors cachés, comprend des projections de grands films absents des écrans depuis longtemps et des ciné-concerts. Cette section qui réunit aussi bien des classiques hollywoodiens, des films d’auteurs, des films muets, des films expérimentaux ou encore des films documentaires, met principalement en valeur le travail des archives, des ayants droit et des laboratoires.

Section « Restaurations et Incunables » partie 2/3 :

La Nuit (La Notte, 1961) de Michelangelo Antonioni – 122 min – Avec Marcello Mastroianni, Jeanne Moreau, Monica Vitti…

Lydia et Giovanni sont mariés, mais leur amour est à l’agonie. Après une nuit mouvementée, où chacun va aller de rencontres en séductions, ils se retrouveront pour une dernière étreinte…

En filmant le vide, l’ennui, Antonioni met en scène la destruction annoncée d’un couple et file la métaphore d’un urbanisme hostile pour figurer la fragilité des sentiments. Avec Mastroianni, le cinéaste amorce l’érosion de l’idéal mâle italien, et fait de Jeanne Moreau une égérie de la résignation. Après L’Avventura (1960) et avant L’Eclipse (L’Eclisse, 1962), La Nuit est le second volet de la trilogie du cinéaste avec laquelle son langage cinématographique, marqué par le poids des silences et des temps morts, l’impossibilité d’exprimer les choses, la correspondance entre les décors, l’environnement et les états d’âme et sa recherche de l’épure, est à son apogée. Avec La Nuit, le cinéaste poursuit sa critique d’une société qui se modernise trop vite et des individus qui cèdent trop facilement à l’opportunisme. La Nuit a obtenu l’Ours d’or à Berlin en 1961. Restauration en 2024 par CSC-Cineteca Nazionale au CSC Digital Lab.

Pékin Central (1986) de Camille de Casabianca – 95 min – Avec Yves Rénier, Christine Citti, Marco Bisson…

Yves, 35 ans, journaliste coté, marié, père de famille, vient de décrocher un reportage sur la Chine touristique. Il décide d’emmener avec lui sa petite amie Valérie, 25 ans, espiègle mais aussi sentimentale. Au retour, elle espère habiter avec Yves qui devrait se séparer de sa femme. Avec eux, Bruno, 30 ans, photographe, est un témoin discret et pince-sans-rire. Pour les besoins du reportage, Yves, Valérie et Bruno partent en voyage organisé avec un groupe. Leurs relations vont s’en trouver perturbées.

Les déboires d’une jeune femme sentimentale abonnée aux hommes mariés. Sur des images de Raymond Depardon, Camille de Casabianca – coscénariste de Thérèse et Un étrange voyage avec son père, Alain Cavalier – signe un premier long métrage en forme de chronique aigre-douce, qui rivalise de spontanéité et de pudeur. Notons également que la monteuse du film, Denise de Casabianca, n’est autre que la mère de la réalisatrice. Une tribulation cocasse et légère, habilement construite entre reportage et fiction. Séance présentée par Camille de Casabianca.

Pirosmani (1969) de Gueorgui Chenguelaia – 85 min – Avec Avtandil Varazi, Dodo Abashidze, Zurab Kapianidze…

Fin du XIXe siècle. Après avoir distribué ses maigres biens aux miséreux, le peintre naïf géorgien Niko Pirosmanichvili (1862-1918) erre dans les rues de Tbilissi (Tiflis), troquant son talent pour le prix d’un repas. Ses tableaux sont remarqués par deux artistes de passage qui organisent une exposition de ses œuvres. Mais la critique officielle les boude ou les raille. Seuls de très rares connaisseurs auront détecté son génie. Pirosmani meurt dans le dénuement et fort incompris. Le destin et l’œuvre du peintre géorgien Niko Pirosmanichvili.

En pleine errance dans les rues de Tbilissi, le peintre géorgien Niko Pirosmanichvili échange ses créations contre un repas. Inspiré par le style naïf, Chenguelaia privilégie la poésie à la biographie pour sonder la marginalisation d’un artiste au talent méconnu, confronté à une critique qui le méprise et une poignée de connaisseurs enthousiastes. Restauration aux laboratoires des archives nationales de Géorgie.

La Prisonnière du désert (The Searchers, 1955) de John Ford, d’après le roman The Searchers d’Alan Le May basé sur une histoire vraie – 119 min – Avec John Wayne, Jeffrey Hunter, Vera Miles, Ward Bond, Natalie Wood…

Texas 1868. La famille d’Aaron Edwards est décimée par une bande de Comanches qui attaquent son ranch et enlèvent ses deux fillettes. Ethan, le frère d’Aaron, découvre le drame et se lance sur les traces des ravisseurs avec deux autres compagnons.

De scènes crépusculaires en grands moments de tension, Ford investit les paysages majestueux du Far West pour une odyssée viscérale au ciel rouge sang. Le film a été tourné dans le mythique décor naturel de Monument Valley, théâtre de très nombreux westerns (Rio Grande, La Chevauchée fantastique du même John Ford), dont les légendaires pitons de roche rouge ont pu être apprécié en Cinemascope et en Technicolor, deux procédés techniques utilisés par le cinéaste. En pleine quête existentielle, son héros, aux antipodes du manichéisme, arpente les rives d’un western flamboyant – l’un des chefs-d’œuvre du genre – dont la splendeur lyrique tutoie une noirceur surprenante. La copie 70 mm du film vient magnifiquement reproduire le format originel en VistaVision et la sublime photographie de Winton C. Hoch.

Restauration et retour sur pellicule 70 mm par Warner et la Film Foundation. Négatif VistaVision original scanné en 13K par Motion Picture Imaging, travaux de restauration réalisés en 6,5K. Copie 70 mm créée à partir d’un nouveau négatif 65 mm. Bande sonore mono originale restaurée par Post Production Creative Services. Projection en 70 mm.

La Prisonnière n°7 (Rabmadár, 1929) de Pál Sugár – 122 min – Avec Lissy Arna, Hans Adalbert Schlettow, Charlotte Susa…

Une jeune fille est envoyée en prison, après avoir accepté de voler pour son amant. Avec son cadre urbain, le film entrelace admirablement la manipulation, l’amour et le crime dans une succession de plans somptueux. Dramatique, rythmé, captivant, l’un des derniers muets hongrois, d’une étonnante modernité.

Restauration 4K par le NFI (National Film Institute) Hungary – Film Archive, avec le soutien du programme A Season of Classic Films de l’Association des Cinémathèques Européennes, financé par Creative Europe MEDIA (Union Européenne).

Règlement de comptes (The Big Heat, 1953) de Fritz Lang d’après le roman Coup de torchon de William P. McGivern – 89 min – Avec Glenn Ford, Gloria Grahame, Jocelyn Brando, Lee Marvin…

Le policier Tom Duncan se suicide en laissant une lettre où il révèle la corruption de l’administration de la ville qui est sous la coupe du gangster Mike Lagana. Dave Bannion pense qu’il y a une autre raison au suicide de son collègue. Ses soupçons sont confirmés lorsque Lucy Chapman, une entraîneuse, lui apprend qu’il était en parfaite santé et décidé à divorcer pour elle. Le lendemain, Dave reçoit l’ordre d’abandonner l’enquête, mais ne s’y résout pas : Lucy a été assassinée. Ce dernier défie Lagana et l’accuse d’avoir tué la jeune femme.

Après le suicide douteux d’un collègue, l’inspecteur Bannion prend l’affaire en main et révèle la corruption qui gangrène l’administration de toute une ville. La pègre locale décide de l’éliminer. Tout le génie cinématographique de Fritz Lang au service du film noir, genre dans lequel il exprime sa vision pessimiste de la société gouvernée par le mal. Sec et sans pitié, l’un de ses meilleurs films américains. Caractérisé par ses éclairs de violence, le film s’ouvre par exemple sur un suicide en plan subjectif inspiré de Spellbound (1945) d’Alfred Hitchcock, The Big Heat va annoncer les polars des années 1960. Pour l’anecdote notons qu’à l’origine, la Columbia souhaitait engager Marilyn Monroe, sous contrat à la 20th Century Fox, mais que devant le cachet excessif qu’elle demandait, le studio a préféré engager Gloria Grahame à sa place. Restauration 4K par Sony, aux laboratoires Cinetic, Motion Picture Imaging et Deluxe Audio Services.

Le Socrate (1967) de Robert Lapoujade – 90 min – Avec Pierre Luzan, René-Jean Chauffard, Martine Brochard…

Un pauvre philosophe vagabond et en crise est suivi partout par un inspecteur de police bougon.

Un policier se prend d’amitié pour un vagabond qu’il est chargé de surveiller. D’expérimentations plastiques en décalages visuels, Lapoujade signe une fable philosophique fourmillante d’inventions et de drôlerie. Le Socrate a remporté le Prix spécial du Jury à la Mostra de Venise 1968. Restauration 4K par le CNC en 2024, au laboratoire VDM. Restauration du son par Le Diapason.

Sur mes lèvres (2001) de Jacques Audiard – 115 min – Avec Vincent Cassel, Emmanuelle Devos, Olivier Gourmet…

Carla Bhem, une jeune femme de 35 ans malentendante. Elle est employée comme secrétaire à la Sédim, une agence immobilière où elle est payée une misère et souffre d’un manque de considération de la part de ses employeurs. Son existence triste et solitaire va prendre une tournure différente avec l’arrivée dans la société de Paul Angéli, une nouvelle recrue de 25 ans, plutôt beau gosse, mais qui n’a aucune compétence dans la promotion immobilière. Celui-ci cherche à se réinsérer après avoir fait de la prison. Une histoire d’amour improbable, doublée de manipulation réciproque, va naître entre ces deux marginaux.

Une secrétaire malentendante voit sa vie bouleversée par un ancien délinquant. Scénario à l’os, cadrages serrés et étude de caractère forment un thriller hors normes, sans cesse troublant, qui met en valeur deux interprètes magnifiquement assortis. Pour l’aider dans la construction de son personnage, Jacques Audiard a indiqué à Vincent Cassel quelques pistes, notamment celle du néo-réalisme italien. C’est pourquoi la physionomie de Vincent Cassel dans le film rappelle celle de Vittorio Gassman dans Le Pigeon (1958) de Mario Monicelli, ou encore celles de certains personnages de Il Bidone (1955) de Federico Fellini. De son côté Cassel s’est également inspiré des compositions de Patrick Dewaere, notamment dans Un mauvais fils (1980) de Claude Sautet et Beau-Père (1981) de Bertrand Blier. Sur mes lèvres a obtenu neuf nominations lors de la cérémonie des César 2002 et en a remporté trois : Le César du Meilleur son, celui du Meilleur scénario original ou adaptation, et celui de la Meilleure actrice pour Emmanuelle Devos. Restauration 4K par Pathé en 2024 au laboratoire TransPerfect Media France, en collaboration avec Jacques Audiard et le chef-opérateur du film Mathieu Vadepied.

La Tache de sang (The Scarlet Drop, 1918) de John Ford – 50 min – Avec Harry Carey, Molly Malone, Vester Pegg…

Durant la guerre de Sécession, Kaintuck Ridge refuse de s’engager dans une milice de l’union et s’engage comme maraudeur. A la fin du conflit, il est considéré comme hors-la-loi, mais va avoir une occasion en or de se racheter.

Un western inédit de John Ford, perdu pendant 106 ans avant d’être retrouvé au Chili dans les stocks d’un collectionneur. Pour l’un de ses premiers essais, le cinéaste filme la guerre de Sécession et les tourments d’un maraudeur en quête de rédemption, avec un sens de l’image déjà brillant et la collaboration marquante d’Harry Carey. Film considéré comme perdu, retrouvé en 2024. Restauration en 4K par Jaime Córdova de l’Université de Viña del Mar, avec l’aide de la Cineteca de Chile. Ciné-concert. Accompagnement musical par Édouard Ferlet et Joël Grare.

Cinq jours durant, dans 9 cinémas (La Cinémathèque française, La Filmothèque du Quartier Latin, Le Christine Cinéma Club, L’Ecole Cinéma Club, La Fondation Jérôme Seydoux – Pathé, L’Archipel, L’Alcazar, Le Vincennes et Le Centre Wallonie-Bruxelles) le Festival de la Cinémathèque propose cette année encore, près d’une centaine de séances de films rares et/ou restaurés présentés par de nombreux invités et répartis en différentes sections pour célébrer le cinéma de patrimoine et fêter en beauté son douzième anniversaire.

Le Festival de la Cinémathèque (ex « Toute la mémoire du monde »), le Festival international du film restauré fête ses 12 ans avec une riche sélection de restaurations prestigieuses accompagnées d’un impressionnant programme de rencontres, de ciné-concerts et de conférences.

Moment privilégié de réflexion, d’échange et de partage qui met l’accent sur les grandes questions techniques et éthiques qui préoccupent cinémathèques, archives et laboratoires techniques mais aussi, bien évidemment (on l’espère encore !), éditeurs, distributeurs, exploitants et cinéphiles, le Festival de la Cinémathèque, né dans le contexte de basculement du cinéma dans l’ère du numérique, propose une fois de plus, cette année encore, une programmation exceptionnelle en donnant à voir aux spectateurs les chefs d’œuvre comme les œuvres moins connues (curiosités, raretés et autres incunables) du patrimoine du cinéma. Avec toujours un élargissement « Hors les murs » dans différentes salles partenaires de la manifestation à Paris et banlieue parisienne, puis, dans la continuité du festival francilien, en partenariat avec l’ADRC (Agence nationale pour le développement du cinéma en régions), plusieurs films qui tourneront après le festival dans des cinémas en régions, pour sa douzième édition, le Festival International du film restauré, renommé depuis l’année dernière « Festival de la Cinémathèque », s’affirme comme étant l’immanquable rendez-vous dédié à la célébration et à la découverte du patrimoine cinématographique mondial.

Créé par La Cinémathèque française en partenariat avec le Fonds Culturel Franco-Américain et Kodak, et avec le soutien de ses partenaires institutionnels et les ayants droit essentiels aux questions de patrimoine, ce festival est incontournable pour les cinéphiles passionnés, les amoureux du patrimoine cinématographique, les archivistes, les historiens, les chercheurs et autres curieux. Riche et foisonnante, la programmation du festival nous propose un panorama très éclectique des plus belles restaurations réalisées à travers le monde et salue ainsi non seulement le travail quotidien des équipes des différentes institutions, mais nous fait également prendre toute la mesure de la richesse incommensurable de cet Art qui n’a de cesse de témoigner tout en se réinventant tout le temps.

Afin de ne rien manquer de cet évènement, rendez-vous à La Cinémathèque française et dans les salles partenaires du festival du 5 au 9 mars.

Steve Le Nedelec

Festival de la Cinémathèque : Sans la connaissance de notre passé, notre futur n’a aucun avenir. C’est pourquoi le passé est un présent pour demain.

Festival de la Cinémathèque – 12ème édition – Festival International du Film Restauré – Du 5 au 9 mars 2025 à La Cinémathèque Française et « Hors les murs ».