En plus d’une journée de rencontres et d’études internationales, pour tout savoir de l’actualité des questions brûlantes que posent la restauration, la conservation, la collecte et la diffusion des œuvres à travers les interventions de techniciens, de restaurateurs, de chercheurs, d’archivistes et d’artistes, l’excellente programmation du festival proposait entre autres cette année, des débats, des rencontres, des conférences, des séances ciné-concerts et des tables rondes sur des sujets aussi divers et variés que : « Les Scanners, étude comparative – De la capture d’image à son traitement », « L’ Anniversaire de la Révolution (1918), un film retrouvé de Dziga Vertov », « Le Lieu et l’Evènement. Quelques considérations sur la restauration des films d’artistes et sur la restauration en général », « Archivage audiovisuel : Dans la jungle des formats de fichiers », « Restaurer les films d’Emile Cohl (Animation et prises de vues réelles. », « Politique de stockage et conservation : pour une plus grande longévité des films », « Le HDR, une révolution pour l’image ? »,… Autant de thématiques et de questions posées qui sont au cœur des préoccupations professionnelles : Entre faire renaître, restaurer, et préserver, plus qu’un travail, un défi, une gageure d’équilibriste. Comment parvenir à un juste équilibre entre préservation et restauration ? Comment parvenir à un juste équilibre entre l’Art et la Technique ? Comment la Technique peut-elle venir en aide à l’Art sans le dénaturer ?
Plus largement, ce sont les travaux de recherche, de collecte, de restauration et de sauvegarde qui sont mis en lumière ici et dont les questions sont au cœur même des enjeux de la « mémoire ». « Mémoire » qui, inévitablement, pose la question de la transmission du patrimoine cinématographique au public. Le cinéma possède et permet d’offrir à l’Homme une « mémoire » du monde, une « mémoire » de son histoire. Comment la préserver et la diffuser ?… Le Cinéma est un témoin de l’Histoire. Le patrimoine est précieux. Nous nous devons de le préserver afin de préparer l’avenir. Ces « actions » sont donc essentielles. Elles permettent aux spectateurs de découvrir quelques-uns des secrets des évolutions de la fabrication des films dans le temps mais évidemment aussi ceux des techniques de restauration. Ce sont ces actions qui permettent de favoriser le lien entre les œuvres qui fondent notre « mémoire » et les cinéphiles. Le festival permet au public de découvrir ou de redécouvrir sur grand écran de nombreux films restaurés, des trésors historiques. La technologie au service de la mémoire cinématographique permet au spectateur d’assister à des projections sublimes d’œuvres exceptionnelles et rares. A l’image de dispositifs tels que « Collège au Cinéma », « École et cinéma » ou « Lycéens et apprentis au cinéma », destinés au jeune public, le rôle d’une telle manifestation relève du travail de l’éducation à l’image. Chacun doit pouvoir avoir accès à une culture cinématographique, essentielle à la culture mondiale au sens le plus large du terme. Il faut connaître notre passé car notre patrimoine nous aide à comprendre notre présent. Rien ne se crée d’intelligent aujourd’hui et rien ne se créera d’intelligent demain sans l’héritage d’hier. Bien plus qu’une « simple » question de mémoire, la connaissance du cinéma et de son histoire protège l’avenir de notre civilisation. Comme pour l’Histoire, le « passé » du cinéma doit être présent dans nos mémoires car il féconde son propre avenir et donc le nôtre. Le Cinéma et son histoire sont l’affaire de tous. Il en va de notre responsabilité que cette mémoire collective accompagne les générations futures d’une éducation à l’image et au cinéma afin qu’elles apprennent à lire, comprendre et apprécier toute la richesse et l’intelligence que propose cet Art, témoin, primordial à la connaissance du monde. C’est par la connaissance que l’on développe, affine et aiguise sa culture, ses goûts, son esprit critique et son jugement. L’Art en général et le cinéma en particulier nous « élève »; dans tous les sens du terme. Il nous instruit et il nous éduque. Il nous emmène au-delà de notre propre condition.
La finalité de l’art est le plaisir esthétique qui va toucher la sensibilité, les sensibilités et l’intelligence. Ni superficiel, ni illusoire, l’art est une inépuisable sphère riche de sens de l’activité humaine et assure l’éducation esthétique de l’homme. Le cinéma transcende la réalité immédiate et révèle par la même la nature essentielle des choses. Sans se contenter d’appliquer mécaniquement des recettes toutes faites d’après des règles quelconques, le cinéma (le vrai) a pour rôle entre autre de nous apprendre à observer le monde, la nature, l’Histoire, l’homme, la vie. Le cinéma nous sensibilise autant à leurs beautés qu’à leurs horreurs. Le cinéma dépasse sa condition première pour devenir utile. Il a une « beauté libre » (naturelle) et possède également une « beauté adhérente » (enrichissante et utile) – Emmanuel Kant. Il répond à un besoin de l’esprit. D’une richesse et d’une utilité insoupçonnée, en « montrant » les choses, le cinéma prévient la maturation naturelle des troubles de la société et des individus. Indice frappant des dangers qui menacent l’humanité du fond des pulsions refoulées par la civilisation actuelle, par ses expositions et ses représentations, le cinéma permet l’explosion salutaire des psychoses, névroses et perversions collectives. C’est donc par sa protection, sa restauration et sa diffusion au plus grand nombre que passe, autant que la nôtre, la sauvegarde du cinéma, que passe la sauvegarde de son histoire, de sa mémoire et de son avenir.
En ces temps très préoccupants d’hystérie collective et de pression sociale où, confondant tout, regroupés par le biais des réseaux sociaux et confortés par leurs « succès » aussi bien dans les faits que dans les médias, tel un tribunal populaire, des personnes incultes et « intellectuellement incompétentes », des obscurantistes, encouragés, manipulés et instrumentalisés par les tout aussi incompétents et incultes parvenus, veules et nuisibles qui occupent par opportunisme les postes de pouvoir et de décision des entreprises et des institutions, mettent tout et n’importe quoi au même niveau et provoquent des excès de censure qui font froid dans le dos ; en ces temps très préoccupants d’hystérie collective et de pression sociale où on assiste à une effrayante et dangereuse « révision » de l’Art, de l’Histoire et de la Culture, le festival « Toute la mémoire du monde » fait acte de résistance et devient tout simplement indispensable.
Cette année encore, à Paris, le festival était ouvert à l’extérieur. Six salles partenaires au total (L’Auditorium du Musée du Louvre, Le Christine 21, La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, La Filmothèque, Le Méliès et le Reflet Médicis) sont venues s’ajouter aux trois salles de la Cinémathèque. Ce partenariat a permis de proposer aux spectateurs plus d’une centaine de séances en cinq jours.
En poursuivant son extension dans Paris et en s’ouvrant à une plus grande diversité cinématographique cette septième édition du Festival Toute la mémoire du monde a encore été un succès. Un succès qui ravit ! C’est avec impatience que l’on attend déjà la huitième édition.
Steve Le Nedelec
Toute la mémoire du monde – 7ème édition – Festival International du Film Restauré – Du 13 au 17 mars 2019 à La Cinémathèque Française et « Hors les murs »