Le photographe britannique Richard Billingham fait ses débuts en tant que réalisateur avec une étude précise de la vie quotidienne, inspirée par sa propre famille. Nominé pour le prix Turner, l’artiste élabore une transition de la photographie au cinéma avec Ray & Liz, tournée en 16 mm en s’inspirant de son travail précédent, une série de clichés pris au milieu des années 90, illustrée par son père alcoolique Ray, sa mère Liz et son frère cadet Jason.
Ray & Liz est composé de trois courts-métrages juxtaposés. Comme des expositions zoologiques, les personnages du réalisateur installés dans leurs logements sociaux miteux présentent des signes de stress de la classe ouvrière pauvre: prise en charge, violence et agression verbale.
La première séquence est composée des plans serrés sur Ray le père (Patrick Romer) alors qu’il se consacrait à sa routine quotidienne: se réveiller, boire en quantité alarmante de la bière faite maison apportée par son voisin Sid (Richard Ashton). Vivant dans l’isolement total, il passe ses journées à regarder par la fenêtre de son immeuble, en buvant et attendant Liz (Deidre Kelly), dont il s’est séparé, pour des visites occasionnelles. Pendant ce temps, Billingham et son directeur de photos Landin se concentrent sur des détails visuels aussi banals que les mouches et les fibres molles.
Les deux séquences qui suivent composées de flashback des années précédentes, sont plus actives et vivantes en comparaison, bien qu’à peine plus optimistes.
La deuxième séquence nous montre Ray et Liz plus jeunes (joués respectivement par Justin Salinger et Ella Smith). À l’époque, leur monde était littéralement plus grand qu’une pièce et occupait un logement délabré dans une ville des Midlands, non loin de Birmingham, en Angleterre, avec leurs deux fils. Ray, Liz et leur fils Richard vont faire leurs courses, laissant à Oncle Lol (Tony Way) à l’esprit simple, l’autre enfant Jason âgé de deux ans. Cependant, le locataire, Will (Sam Gittins), persuade Lol (sans raison apparente sauf le fait d’être odieux avec un taré d’esprit) de perquisitionner la réserve d’alcool de la famille. Quand Ray et Liz rentrent chez eux, ils découvrent que Lol était allongé complètement ivre à côté d’un flot de vomissures et que le petit Jason jouait avec un couteau de cuisine, une séquence à la fois inquiétante et comique.
La dernière séquence se déroule quelque sept ans plus tard. La famille vit maintenant dans une tour encombrée, incrustée comme la dernière maison, avec du papier peint et des bouteilles jetées, que les gens et divers animaux traversent. Tous les matins au lit, avec Liz et Ray presque comateux et trop dépendants de l’aide sociale, leur enfant Jason se débrouille seul. Laissé à lui-même par ses parents à peine conscients et par Richard (Sam Plant), presque adulte, à la recherche lui aussi d’une évasion, le gamin trouve un réconfort dans des sandwichs au cornichon grossièrement préparés, des films d’horreur à la télévision et des promenades en solo dans le zoo local. Une excursion pour regarder le feu d’artifice de Guy Fawkes Night (un événement d’automne annuel en Grande-Bretagne) offre une évasion des confins claustrophobes de l’appartement et conduit à une intervention des voisins et de l’autorité locale pour protéger Jason trouvé presque mort du froid en dormant dans une cabane toute la nuit. Interprété par le remarquable enfant Joshua Millard-Lloyd, il apparaît comme le héros du troisième volet du film.
Il est difficile dans ce drame de ne pas se sentir horrifié par l’alcoolisme chronique du père, la négligence parentale et les normes d’hygiène épouvantables, ainsi que par le caractère très kitsch de la maman Liz.
Billingham publie avant ce film un livre intitulé Ray est un rire. Certaines photos font la une des journaux, avec « Le requin » de Damien Hirst, « La tente » de Tracey Emin brodée avec les noms de toutes les personnes avec lesquelles elle a couché et « le portrait d’enfant » controversé de Marcus Harvey, « Le meurtrier » Myra Hindley…
Son livre a rassemblé de nombreuses photos nues et peu flatteuses de Ray, son père, alcoolique, et de sa mère Liz inactive et tatouée, plongeant dans un appartement du conseil municipal délabré et moyenâgeux.
La connaissance de la production photographique de Billingham n’est nullement essentielle à l’appréciation ou pas de Ray & Liz. Adopter le cinéma narratif en conférant à la procédure un sens de réflexion propre à celui de ses photographies, permet à Billingham de s’insérer à deux stades différents de la jeunesse.
L’histoire de ce film est centrée sur la classe ouvrière, tel que les films de Ken Loach et Mike Leigh. Mais contrairement à Ken Loach ou Mike Leigh qui font passer assez souvent des messages et de l’espoir, le film de Billingham est beaucoup plus abyssal, plus proche des films dépressifs d’Andrea Arnold (Fish Tank…) même si Billingham, montre un peu de l’affection et de respect pour ses personnages, tout en reconnaissant leurs qualités grotesques dures à comprendre ou à avaler.
Le film est un mélange de comédie, de drame britannique puissant et de moments très dérangeants. Mais, cela aurait pu être mieux exécuté, peut-être plus percutant, et plus émotionnel bien que l’authenticité de la période était impressionnant.
L’art imitant la vie n’est pas nouveau. Mais c’est la façon dont l’art imite et recompose un autre art – en particulier la photographie très controversée de Billingham montrant ainsi l’enfance du réalisateur.
Des environs aux décors, aux costumes authentiques de la période avec de multiples préoccupations visuelles et thématiques les filtrant à travers l’œil ingénieux du directeur de photos Daniel Landin, Ray & Liz est formellement saisissant et rigoureux, mais au détriment de la force émotionnelle où on a du mal à éprouver de la sympathie pour les personnages. Le chef déco Beck Rainford recrée avec authenticité la maison familiale du réalisateur et avec un souci du détail au milieu du mouvement nerveux et nauséeux du film.
Les remarquables acteurs Ella Smith, Deirdre Kelly, Justin Salinger et Patrick Romer à l’image de beaucoup d’excellents acteurs anglais donnent une vie très proche des photos fixes de ses parents. Cette reconstitution grave n’est pas pour autant très ironique; il y a le sens d’un artiste qui ne se contente pas de documenter son passé, mais qui tient compte de son influence néfaste sur la famille et surtout sur son frère.
Toutefois, on sent que Billingham n’est pas toujours à l’aise avec les exigences narratives du cinéma, bien que son œil étonnant pour le commun est très visible ici. On peut très bien imaginer qu’il fera de nouvelles incursions plus déterminantes dans le cinéma où l’on peut respirer après ce début étouffant de Ray & Liz.
Norma Marcos
Ray & Liz un film de Richard Billingham avec Justin Salinger, Ella Smith, Patrick Romer, Deidre Kelly, Tony Way, Sam Gittins, Richard Ashton, Joshua Millard-Lloyd, Callum Slater, Jacob Tuton, Mary Helen Donald, Sam Plant, Roscoe Cox, James Eeles, Jason Billingham, Sam Dodd, Kaine Zajaz, Joe Holness, Michelle Bonnard, Scot Stevens… Scénario : Richard Billingham. Directeur de la photo : Daniel Landin. Chef décorateur : Beck Rainford. Costumes : Emma Rees. Montage : Tracy Granger. Musique : Becca Gatrell. Producteurs : Jacqui Davies. Production : BFI – Ffilm Cymru Wales – CBC, en collaboration avec Severn Screen et Rapid Eye Movies of a Primitive Film production. Distribution : Potemkine Films (Sortie France : le 10 avril 2019). Grande-Bretagne. 2018. 108 minutes. Couleur. Mention spéciale du Jury Festival du film de Locarno, 2018. Grand Prix du Jury Festival Européen de Séville. Prix Golden Alexandre, Festival de Thessalonique. Sélection : TIFF, 2018, Premiers Plans Angers, 2019. Tous Publics.