Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? – Blake Edwards

Sicile, 1943. Les troupes américaines repoussent les Allemands au cours de combats acharnés. Le lieutenant Lionel Cash (Dick Shawn), un militaire rigoureux, est promu capitaine. Le général Max Bolt (Carroll O’Connor) lui confie alors une mission cruciale : conquérir la petite ville sicilienne de Valerno, un emplacement stratégique à sécuriser avant l’arrivée de l’armée allemande. Pour cette mission, le capitaine Cash prend le commandement de la compagnie C, avec le soutien du lieutenant Christian (James Coburn). Contrairement à Cash, le lieutenant Christian adopte une attitude détendue et décontractée. Ensemble, ils se mettent en route pour Valerno…

Après la Seconde Guerre mondiale, l’une des questions favorites des enfants était : « Qu’as-tu fait pendant la guerre, papa ? ». Partant de cette remarque, Blake Edwards décide de répondre, à sa manière, en réalisant un film mêlant humour et dérision. Dans les années 60, les films de guerre rencontrent un grand succès auprès du public. Les Canons de Navarone (The Guns of Navarone, 1961), Le Jour le plus long (The Longest Day, 1962), La Grande évasion (The Great Escape, 1963), L’Express du colonel Von Ryan (Von Ryan’s Express, 1965) et La Bataille des Ardennes (Battle of the Bulge, 1965) sont autant de triomphes d’Hollywood au box-office mondial. Le projet de Qu’as-tu fait à la guerre, Papa ? remonte au début des années 60, mais Blake Edwards le repousse pour se consacrer au tournage de Quand l’inspecteur s’emmêle (A Shot in the Dark, 1964), film qu’il transforme en suite de La Panthère Rose après le succès retentissant de ce dernier, ainsi qu’à La Grande Course autour du monde (The Great Race, 1965). Lorsqu’il reprend le projet sous l’insistance du producteur Walter Mirisch, Edwards estime que ce n’est pas le bon moment pour faire une comédie, alors que les États-Unis s’enlisent dans la guerre du Vietnam. Cependant, il finit par accepter, à condition que le tournage ait lieu en Californie plutôt qu’en Italie, une exigence liée à la procédure de divorce en cours avec sa femme, Patricia Edwards. Le divorce sera prononcé en 1967.

Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? commence comme un film de guerre classique avec une remarquable séquence de combat. Merveilleusement mise en scène, cette introduction rivalise avec les grandes réussites du genre et démontre tout le talent de Blake Edwards. Après un tel début, le film prend un tournant inattendu lors d’une scène improbable entre le général Bolt et le capitaine Cash, introduisant le ton satirique qui marquera la suite. Le personnage de Cash est alors établi, et sa rencontre avec le lieutenant Christian confirme que nous sommes dans une comédie de guerre au ton pour le moins surprenant. Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? anticipe sur : L’Or pour les braves (Kelly’s Heroes, 1970), avec ses soldats désabusés, et surtout M*A*S*H* (1970), sur l’absurdité et les horreurs de la guerre (du Vietnam, en prenant pour cadre la guerre de Corée). Derrière son apparence légère, Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? se positionne comme une œuvre importante de son époque, qui mérite d’être réévaluée.

Le scénario est écrit par Blake Edwards en collaboration avec son fidèle partenaire, William Peter Blatty. Le futur auteur du roman et du scénario de L’Exorciste travaille depuis plusieurs années avec Edwards. En plus de Qu’as-tu fait à la guerre, papa ?, ils ont collaboré sur Quand la panthère rose s’emmêle, Peter Gunn, détective spécial (Gunn, 1967) et Darling Lili (1970). Blatty débute dans la comédie avec un premier film écrit pour Danny Kaye, Les pieds dans le plat (The Man from the Diners’ Club, 1963), réalisé par un maître de la comédie, Frank Tashlin. Bien que sa collaboration avec Edwards soit la plus notable, il a également signé L’Encombrant Mr. John (John Goldfarb, Please Come Home!, 1965), avec Shirley MacLaine et Peter Ustinov, réalisé par J. Lee Thompson, ainsi que le méconnu Le plus grand des hold-up (The Great Bank Robbery, 1969) d’Hy Averback, avec Kim Novak et Zero Mostel.

La carrière de Blatty prend un tournant radical avec la sortie de L’Exorciste en 1973. Il abandonne alors la comédie pour se consacrer au cinéma fantastique. Il refuse de participer à L’Hérétique : L’Exorciste II réalisé par John Boorman, un film qu’il n’apprécie pas (tout comme le premier, sur lequel il avait eu des divergences artistiques avec William Friedkin). Blatty réalise sa propre suite, L’Exorciste, la suite (The Exorcist III), en 1990, après que John Carpenter ait décliné l’offre. Blatty avait déjà réalisé un premier film, l’intriguant The Ninth Configuration (1980). Cependant, pour L’Exorciste III, il rencontre de graves problèmes avec les producteurs, qui le forcent à modifier son montage initial et à retourner des scènes. Cette expérience s’avère amère pour lui. Sa version, L’Exorciste III : Legion, ne sera visible qu’en 2016 ! Après cela, Blatty ne réalisera plus de films et ne reviendra jamais à la comédie.

Blake Edwards est, au moment de Qu’as-tu fait à la guerre, papa ?, un réalisateur à succès. Il a déjà signé des films comme Opération jupons (Operation Petticoat, 1959), Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s, 1961) et La Panthère Rose (The Pink Panther, 1963), qui l’ont imposé comme l’un des meilleurs réalisateurs de comédies sentimentales, mais surtout de films burlesques. La création du personnage de l’inspecteur Clouseau marque le début d’une longue collaboration avec Peter Sellers, donnant naissance à cinq films de la série La Panthère Rose, ainsi qu’à un sixième, À la recherche de la Panthère Rose (Trail of the Pink Panther, 1982), réalisé après le décès de l’acteur, en utilisant des scènes coupées des films précédents. En dehors de cette saga, Edwards et Sellers signent un chef-d’œuvre du burlesque avec La Party (The Party, 1968). Edwards ne se limite pas à la comédie : il s’illustre également dans le film noir avec l’excellent Allô… Brigade spéciale (Experiment in Terror, 1962), avec Lee Remick et Glenn Ford, ainsi que dans le drame. Blake Edwards est reconnu comme un maître de la comédie américaine moderne, mais derrière le vernis de l’humour, on décèle chez lui une sensibilité tragique.

William Blake Crump naît à Tulsa, dans l’Oklahoma, en 1922. Son père abandonne la famille peu avant sa naissance. Il est ensuite élevé par Jack McEdwards, le second mari de sa mère, qui est le fils de J. Gordon Edwards, un réalisateur de films muets. Jack McEdwards, quant à lui, est directeur de production à Hollywood. Blake Edwards fait ses débuts comme acteur sous la direction de Henry Hathaway dans Ten Gentlemen from West Point (1942). Il poursuit sa carrière en incarnant de nombreux rôles de militaires, notamment dans des classiques tels que Trente Secondes sur Tokyo (Thirty Seconds Over Tokyo, 1944) de Melvyn LeRoy, Les Sacrifiés (They Were Expendable, 1945) de John Ford, ou encore Les Plus belles années de notre vie (The Best Years of Our Lives, 1946) de William Wyler. Mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, il est grièvement blessé au cou, expérience qui lui laissera un profond sentiment antimilitariste.

Sa rencontre avec Richard Quine en 1948 est déterminante pour la suite de sa carrière. Ensemble, ils écrivent et réalisent quelques-unes des comédies les plus réussies du cinéma américain des années 1950, notamment Ma sœur est du tonnerre (My Sister Eileen, 1955) et Le Bal des cinglés (Operation Mad Ball, 1957). Edwards fait ses débuts en tant que réalisateur à la télévision en 1954 avec Four Star Playhouse, une série qui met en scène quatre vedettes – Ida Lupino, David Niven, Dick Powell et Charles Boyer – dans des épisodes individuels allant de la comédie au drame. Oscillant entre comédie et polar, Edwards réalise également le pilote de la première série Mike Hammer, centrée sur le célèbre détective privé créé par Mickey Spillane, avec Brian Keith dans le rôle principal.

Son premier film au cinéma est une comédie musicale, Donne-moi ton sourire (Bring Your Smile Along, 1955), qu’il coécrit avec Richard Quine. Edwards s’impose à Hollywood avec trois succès majeurs en collaboration avec Tony Curtis : L’Extravagant Mr. Cory (Mister Cory, 1957), Vacances à Paris (The Perfect Furlough, 1958) et Opération jupons (Operation Petticoat, 1959).

Tout en développant sa carrière au cinéma, Edwards ne tourne pas le dos à la télévision. Il crée la série Peter Gunn (1958-1961), qui rencontre un immense succès. Le thème principal, composé par Henry Mancini, alliant rock and roll et jazz, devient un classique. C’est le début d’une collaboration exceptionnelle entre Edwards et Mancini.

Le Jour du vin et des roses (Days of Wine and Roses, 1962), un drame poignant mettant en scène Jack Lemmon et Lee Remick dans les rôles d’un couple d’alcooliques, est un chef-d’œuvre qui s’inscrit dans la veine dramatique de Blake Edwards. La mise en scène, comme toujours chez Edwards, est absolument remarquable. Il joue avec l’espace et la durée, permettant aux acteurs de faire surgir l’émotion de chaque scène de la manière la plus naturelle possible. Cette précision et ce sens du tempo se retrouvent dans tous ses films.

Malgré ses succès, Blake Edwards se heurte souvent aux dirigeants des studios, ce qui entraîne de nombreux conflits. Ainsi, il désavoue le montage final d’Opération clandestine (The Carey Treatmant, 1972), un thriller médical d’après Michael Crichton, qu’il achève sous la menace de poursuites. De plus, la MGM coupe 40 minutes et modifie la fin de Deux Hommes dans l’Ouest (Wild Rovers, 1971) sans l’en informer, une décision qui plonge Edwards dans une immense déception. Il considérait ce western avec William Holden, Ryan O’Neal et Karl Malden comme son meilleur film dans sa version originale.

Ne supportant plus les ingérences des studios, Edwards décide de s’installer au Royaume-Uni, où il produit ses films sous le régime des droits d’auteur et devient copropriétaire de ses œuvres via sa société Geoffrey Productions (du nom de son fils). C’est là qu’il tourne plusieurs films, dont les hilarants épisodes de La Panthère Rose et Top Secret (The Tamarind Seed, 1974) avec Omar Sharif et Julie Andrews, qui est également son épouse.

En 1979, Blake Edwards retourne à Hollywood et enchaîne trois chefs-d’œuvre cyniques, ironiques, humains et sophistiqués. Elle (Ten, 1979), véritable condensé de son œuvre, met en vedette Dudley Moore et Bo Derek. S.O.B. (1981), l’une des comédies les plus féroces sur le système des studios, fait scandale avec l’apparition seins nus de Julie Andrews. Puis vient Victor/Victoria (1982), véritable joyau de la comédie américaine, avec une Julie Andrews époustouflante dans ce qui est sans doute son plus grand rôle.

Edwards quitte le tournage de Haut les flingues ! (City Heat, 1984) en raison de divergences artistiques avec Clint Eastwood, et il est remplacé par Richard Benjamin. Edwards reste toutefois crédité au scénario sous le pseudonyme de Sam O. Brown, marquant ainsi un rendez-vous manqué avec l’une des plus grandes stars du cinéma américain. Il retrouve cependant Burt Reynolds, co-vedette de Haut les flingues !, pour le remake de L’Homme qui aimait les femmes (1977) de François Truffaut. L’Homme à femmes (The Man Who Loved Women, 1983), ajoute au film original une forte dose de considérations psychanalytiques.

Les comédies Boire et déboires (Blind Date, 1987), L’Amour est une grande aventure (Skin Deep, 1989) et Dans la peau d’une blonde (Switch, 1991) sont de véritables feux d’artifice de gags. En 1993, Edwards tente de relancer la franchise de La Panthère Rose avec Le Fils de la Panthère Rose (Son of the Pink Panther), porté par Roberto Benigni. Bien que des acteurs emblématiques comme Herbert Lom (le commissaire Dreyfus) et Claudia Cardinale soient présents au générique, le film est un échec commercial et critique. À 71 ans, Blake Edwards quitte définitivement les plateaux de cinéma.

Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? est une charge antimilitariste, satirique et subversive des plus réjouissantes, qui dépeint l’absurdité de la guerre dans un petit coin d’Italie. Tout le monde en prend pour son grade : l’armée américaine est composée d’incompétents et de cyniques, l’armée italienne de fanfarons, et l’armée allemande de bouffons. Blake Edwards met en scène une bande de crétins, qu’il visualise de manière géniale à travers la circulation des uniformes de soldat en soldat, au point que ces derniers en perdent toute signification. Quel que soit le camp, tous se ressemblent. La guerre n’est qu’un immense chaos. Edwards orchestre cette sarabande avec une précision parfaite. La gravité de la guerre est dynamitée de l’intérieur par les désirs de vivre, de jouir, et de partager des moments entre hommes et femmes.

Comme tous les grands films de Blake Edwards, Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? se bonifie à chaque vision. C’est du grand art !

Fernand Garcia

Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? est édité pour la première fois en Blu-ray par Rimini Editions. Une très complète édition combo (1 Blu-ray et 2 DVD) avec en compléments : Conversation entre Thierry Jousse, critique et cinéaste, et Frédéric Mercier, journaliste et critique à la revue Positif (26 min). Un cinéaste majeur par Jean-Baptiste Thoret, réalisateur et historien du cinéma (13 min). Blake Edwards ou l’art de l’ivresse par Jean-Baptiste Thoret, réalisateur et historien du cinéma (38 min). Une belle introduction à l’œuvre et à l’art de Blake Edwards.

Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? (What Did You Do in the War, Daddy ?) un film de Blake Edwards avec James Coburn, Dick Shaw, Sergio Fantoni, Giovanna Ralli, Aldo Ray, Harry Morgan, Carroll O’Connor, Leon Askin… Scénario : William Peter Blatty d’après une histoire de Blake Edwards et Maurice Richlin. Directeur de la photographie : Philip H. Lathrop. Décors : Fernando Carrere. Costumes : Jack Bear. Montage : Ralph E. Winters. Musique : Henry Mancini. Producteurs : Blake Edwards. Production : Mirisch – Geoffrey Productions – The Mirisch Corporation – United Artists. États-Unis. 1966. 1h56. Couleur. DeLuxe. Panavision anamorphique. Format image : 2,35 16/9e Son : Version originale avec sous-titres français et Version française. DTS-HD Mono et Dolby Audio. Tous Publics.