Keiko Yashiro est hôtesse de bar au Carton dans le quartier chic de Ginza, à Tokyo. La fréquentation est en baisse depuis qu’une ancienne hôtesse Yuki a ouvert son propre bar. Keiko est affectueusement surnommée Mama. Belle et élégante veuve, elle refuse de coucher avec les clients par fidélité à la mémoire de son mari défunt, ce qui lui vaut le respect des autres femmes mais aussi des habitués du bar. A l’approche de l’âge où la beauté décline, Keiko doit envisager l’avenir…
Quand une femme monte l’escalier est une merveille d’intelligence, de jeu, de mise en scène et d’émotions. Nous sommes happés par le charme de Keiko (Hideko Takamine, merveilleuse), sa délicatesse nous touche au point que nous nous retrouvons à partager envers elle les mêmes sentiments que les hommes qui l’entourent. Dans ce monde de la nuit, elle incarne des valeurs, certes traditionnelles, mais avant tout d’honnêteté et de sincérité. Dans le bar, ce sont des hommes d’affaires, banquiers, dirigeants qui se croisent et tournent autour de Keiko. Ils sont pour la plupart mariés et, après leur journée de travail, ils se détendent auprès d’hôtesses – situation que leurs femmes légitimes acceptent. Dans les volutes d’alcool, ils tentent de séduire Keiko, elle représente un défi. Sa droiture tout autant que sa beauté les enflamme. C’est une compétition, silencieuse et hypocrite, qui s’instaure entre les hommes. Qui le premier aura le privilège d’obtenir les faveurs de la belle?
La vie de la nuit est un miroir déformé, une vie parallèle, un espace où l’on se rêve autre. Naruse saisit ce monde du début des années 60 d’un boom économique qui cache bien des réalités, des souffrances, des solitudes. Son personnage principal Keiko est une femme indépendante. Dans ce monde ultra compétitif, elle doit investir en permanence pour rester une femme séduisante, choisir les kimonos les plus raffinés et vivre dans un appartement petit bourgeois qui engloutit ce qui lui reste de salaire. Une vie tout entière d’apparence.
Autour d’elle, les hommes mentent et se mentent. Keiko est amoureuse d’un homme d’affaires Fujisaki (Masayuki Mori). Amour réciproque condamné d’avance. Kenichi (Tatsuya Nakadai), le manager du bar, est fou amoureux d’elle. En retrait, il ne lui déclare pas sa flamme et se consume de jalousie. Sekine, un petit homme, se rêve plus grand que ce qu’il est et propose le mariage à Keiko…
Dans ce monde, se croisent l’argent et la misère. Naruse est d’une grande lucidité sur la nature humaine. En périphérie de la ville, c’est un quart monde, où les gens survivent comme ils peuvent. Impressionnante séquence de la rencontre de Keiko avec la femme de Sekine dans un terrain vague qui jouxte sa maison, tandis qu’un enfant en haillons sur un tricycle tourne autour d’elles. La cruauté du monde moderne, du chacun pour soi, où l’on accepte tous les écarts pour survivre. A chaque instant, tout peut être remis en cause, les rêves s’effondrent bien plus vite que le désir qui les a bâtis.
Quand une femme monte l’escalier est un film déchirant sur notre condition humaine, une œuvre d’une grande maitrise d’un cinéaste majeur, Mikio Maruse, dont une grande partie de films restent encore à découvrir. Quand une femme monte l’escalier est un chef-d’œuvre.
Fernand Garcia
Quand une femme monte l’escalier (Onna Ga Kaidan Wo Agaru Toki) un film de Mikio Naruse avec Hideko Takamine, Masayuki Mori, Daisuke Kato, Reiko Dan, Tatsuya Nakadai, Eitaro Ozawa, Keiko Awaji… Scénario: Ryuzo Kikushima. Directeur de la photographie : Masao Tamai. Direction artistique : Satoshi Chuko. Montage : Eiji Osi. Musique : Toshiro Mayuzumi. Producteur : Ryuzo Kikushima. Production : Toho. Distribution (France) : Les Acacias (sortie le 21 décembre 2016, sortie au Japon le 15 janvier 1960). Japon. 1960. 111 mn. Noir et blanc. Tohoscope. Format image : 2.35:1. DCP 2K.