Viêt-Nam. Au petit matin, un bataillon d’hélicoptère de l’armée américaine survole la jungle, il se dirige vers un village Viêt-Cong. Un commando dirigé par le Capitaine Norman Hopper (John Saxon) est déposé à proximité. Arrivés au village, ils font face aux combattants Viêt-Congs. Les Américains ne font pas de quartier et c’est au lance-flamme qu’ils nettoient les lieux. Norman découvre deux soldats prisonniers au fond d’un trou, Charles Bukowski (Giovanni Lombardo Radice) et Tom Thompson (Tony King). Rendus à l’état de bêtes, ceux-ci mangent de la chair humaine. Image traumatisante qui, nuit après nuit, le hante encore… sur son avant-bras, la trace de la morsure d’un des soldats… la vue du sang le perturbe… Norman ne comprend pas ce qui lui arrive, le retour à la vie civile malgré le soutien de sa femme Jane (Elizabeth Turner) n’est pas aisé… Depuis quelque temps, il est assailli par d’étranges désirs… Bukowski et Thompson sont internés dans un l’hôpital psychiatrique. Pour la première fois, Bukowski à une permission de sortie en ville…
Pulsions Cannibales est un pur produit du cinéma d’exploitation fait avec passion et honnêteté. Antonio Margheriti et Dardano Sacchetti empruntent évidemment aux succès du moment. Avec ses hélicoptères survolant la jungle (des stock-shots), le début évoque tout autant Apocalypse Now (1979) que Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, 1978) pour l’assaut sur le village. Mais très vite, le film bifurque et l’on quitte la jungle vietnamienne pour la jungle urbaine d’Atlanta. Margheriti suit alors un chemin qui allie suspense, action et horreur. Cette combinaison d’éléments à priori disparates fait toute l’originalité de Pulsions cannibales.
Les soldats sont porteurs d’un virus qui les fait anthropophages. Le film de cannibales est un sous-genre du cinéma d’horreur qui a connu son heure de gloire au début des années 80 avec des films particulièrement violents et sanglants généralement situés dans la jungle amazonienne. Par contre, dans le film de Margheriti, ce n’est pas une peuplade primitive qui est contaminée par un virus mais de « braves » soldats. On peut relier Pulsions cannibales au film de David Cronenberg Rage (Rabid, 1977): même contexte urbain, même pulsion et dimension sexuelle. Celle-ci est ici reliée directement à la guerre. Dans la séquence d’ouverture, une Viêt-Cong en feu tombe dans la fosse, Bukowski et Thompson se précipitent pour la dévorer. Dans un plan très court, Margheriti nous montre sa poitrine brûlée associant directement guerre, sexe et pulsion cannibale. Deux autres séquences vont relier ses éléments. Quand la jeune voisine de Norman tente de le séduire, un plan subjectif très court de Norman sur la culotte de Mary n’a pas la fonction érotique voulue par la jeune fille mais enclenche en Norman une pulsion « cannibale » qu’il va satisfaire en la mordant au pubis. Norman est viscéralement un soldat, il a soif de sang.
Cette thématique va être exposée de manière plus explicite dans une scène parfaitement agencée. Bukowski se réfugie dans une salle de cinéma, où l’on projette un film sur la Seconde Guerre mondiale. Devant lui, un couple se câline, tandis que, sur l’écran, ce sont des explosions, des chars d’assaut, des morts. Le jeune homme dénude la poitrine de son amie, quand Bukowski l’attaque et la mord profondément à l’épaule. Sexe et guerre sont sur un même plan, visuel et psychologique. Norman et Bukowski sont les deux faces d’un même personnage – l’un tente de résister à ses pulsions, l’autre s’y abandonne frénétiquement. Bukowski et Thompson sont enclins à une rage proche de la démence. Le virus que portent les soldats en eux n’est que le révélateur de leur besoin de carnage. Cette première partie est intéressante par les développements et les pistes d’interprétations que le film ouvre. La seconde partie, plus classique, la contamination de certaines catégories socio-professionnelles (infirmière, policier…) de la population et la traque des soldats, est un retour au combat. Les soldats sont traqués par la police dans les égouts de la ville, inversion de la scène d’ouverture.
On pourrait croire que les personnages de Norman et de Charles Bukowski (très certainement un hommage à l’auteur de L’Amour est un chien de l’enfer) sont calqués sur ceux de John Rambo et du Colonel Samuel Trautman, tant il y a de similitudes dans leurs comportements, mais le film de Margheriti est antérieur de deux ans à celui de Ted Kotcheff.
La mise en scène de Margheriti privilégie l’action et le spectaculaire. Il n’abuse pas du gore, visiblement pas dans son élément. Le film est très habilement réalisé: il enchaîne des plans d’une grande dynamique avec une caméra en mouvement et utilise brillamment courtes focales et grands angulaires. Le film doit une partie de sa réputation à une scène violente: l’un des soldats est abattu d’un coup de chevrotines dans le dos, et un trou énorme se fait dans son ventre laissant voir à travers le policier derrière lui. Dans un contexte différent, comique, John Huston avait devancé Margheriti avec le même effet dans Juge et hors-la-loi (The Life and Times of Judge Roy Bean, 1972).
La fin entre Norman et sa femme est un beau moment de cinéma, romantique et cruel, la patte de Margheriti.
Fernand Garcia
Pulsions Cannibales est édité pour la première fois en version intégrale par Le Chat qui fume dans un beau digipack trois volets avec deux DVD, sur le premier le film et en bonus Jungle d’Asphalte avec Edoardo Margheriti, fils du cinéaste, évoque avec beaucoup d’humour la genèse et le tournage du film, une mine d’informations (21 mn), L’Instinct Cannibale avec Giovanni Lombardo Radice dans un français impeccable se souvient du tournage à Atlanta et à Rome, d’Antonio Margheriti, de John Saxon… de sympathiques anecdotes (32 mn), la bande annonce française de Pulsions Cannibales ainsi que celle d’Opera de Dario Argento prochainement disponible chez l’éditeur, sur le deuxième L’Outsider, le cinéma d’Antonio Margheriti documentaire d’Edoardo Margheriti. Un bel hommage à son père pour le dixième anniversaire de sa mort et un regard sur l’ensemble de sa carrière (59 mn). Structuré autour des rares entretiens que le réalisateur a donnés et introduits par Edoardo Margheriti, plusieurs collaborateurs, producteurs, scénaristes, acteurs, amis et critiques évoquent la manière de travailler et les films d’Antonio Margheriti. « Il est plus important de faire un mauvais film au bon moment, qu’un bon film au mauvais moment… » toute la philosophie de cinéma de genre italien en somme.
Pulsions Cannibales (Apocalypse Domani / Cannibal Apocalyse) un film d’Anthony M. Dawson (Antonio Margheriti) avec John Saxon, Elizabeth Turner, John Morghen (Giovanni Lombardo Radice), Cinzia de Carolis, Tony King, Wallace Wilhinson, Ramiro Oliveros, May Heatherly… Scénario : Anthony M. Dawson (Antonio Margheriti) & Jimmy Gould (Dardano Sacchetti). Directeur de la photographie : Fernando Arribas. Décors : Walter Patriarca. Effets spéciaux : Giannetto de Rossi. Montage : George Serralonga. Musique : Alexander Blonksteiner. Producteurs : Edmondo Amati, Maurizio Amati & Sandro Amati. Production : New Fida Organization s.r.l. (Rome) – Jose Frade PC S.A. (Madrid). Italie-Espagne. 1980. Couleur. 1h32. Technovision. Format image : 1.66 :1. 16/9e compatible 4/3. Son : Mono. Versions : Anglaise et Française. Sous-titres : Français. Sortie dans les salles françaises, le 3 février 1982. Interdit aux moins de 16 ans.