Sur une île ravagée par un désastre écologique – la seule usine de l’île a explosé -, deux adolescents aux physiques d’animaux ont décidé de fuir la misère de leur entourage et de leur quotidien : l’étrange Birdboy, un petit oiseaux blafard en costume-cravate, en se coupant du monde, en affrontant ses démons intérieurs (la disparition de son père) et en cherchant à recréer la forêt aujourd’hui disparue; la téméraire Dinky, une petite souris, en préparant un voyage dangereux, avec l’espoir secret que Birdboy l’accompagne.
« Bien sûr dans Psiconautas, il y a une grande part d’imagination, avec un bestiaire et des règles qui lui appartiennent, mais tout cela trouve sa source dans la réalité. Il n’y a rien de bien nouveau, les contes et les fables ont toujours utilisé cela pour prévenir les enfants des dangers et pour parler aussi de la réalité sous une forme détournée. Les thèmes abordés dans le film sont tout à fait actuels : la nécessité pour les adolescents de fuir le contrôle parental, la drogue comme moyen d’évasion, la pollution, le chômage… mais à cela se mêle une forte dimension fantastique… les démons, les objets qui parlent, les esprits des oiseaux morts… etc. » Alberto Vázquez.
Situé dans un contexte de catastrophe écologique, Psiconautas est un conte fantastique, sombre et désenchanté. C’est une fable aussi pessimiste par son propos que par son traitement ou son esthétique. Ici le graphisme flirte entre le gothique et le baroque. Le paysage de désolation que nous offre l’île ne manque pas d’évoquer les univers singuliers de cinéastes comme Guillermo del Toro ou encore Tim Burton.
Mais derrière la dystopie volontaire que véhicule les visions cauchemardesques se révèlent des moments oniriques habités par une poésie d’une force évocatrice peu commune dans le cinéma d’animation contemporain. Adapté de la bande dessinée originale destinée à la jeunesse d’Alberto Vázquez, Psiconautas dépeint et développe un univers sombre et apocalyptique qui symbolise on ne peut plus clairement la situation actuelle de nos sociétés, de notre monde. Cette fable, œuvre chorale avec des animaux comme personnages principaux, aborde admirablement des problématiques adultes et politiques au travers de thèmes comme l’écologie donc, mais également la corruption, le mal-être des adolescents, la maltraitance ou encore la misère sociale.
L’histoire et les thématiques abordées, les personnages et leurs psychologies, le procédé narratif avec une utilisation du temps et de l’ellipse résolument moderne, sans oublier la maturité du graphisme, témoignent de la maîtrise du duo de réalisateurs de Psiconautas et, dans le même temps, font prendre conscience aux spectateurs que nous ne vivons pas dans un monde parfait et idyllique comme on aimerait nous le faire croire mais dans un monde industriel, ou seule l’économie monstrueuse compte. Psiconautas alerte sur le fait que le monde dans lequel nous vivons nous vole tout, notre bonheur, notre liberté, nos vies. Ainsi, comme un message salutaire, le film nous montre que personne d’autre que soi n’est plus à même de s’en échapper, de se sauver, de se libérer pour s’en sortir humainement.
Situé dans un univers onirique et fantastique, Psiconautas, n’en est pas pour autant moins ancrer dans la réalité. Tout comme les Contes de Grimm, Perrault et Andersen font partie intégrante de la « Culture enfantine », souvenons-nous qu’en leurs temps (pas si anciens), les œuvres d’animations « adultes » suivantes ont été classées « Tous Publics » (avec ou sans avertissement) à leur sortie dans les salles : Le Chaînon Manquant (1980), Le Big Bang (1984) et Blanche Neige, la suite (2007) réalisés par Picha ; Métal Hurlant (1981) de Gérald Potterton ; Hair High (2003) et autres œuvres réalisées par Bill Plympton ; L’Etrange Noël de Monsieur Jack (The Nightmare Before Christmas, 1994) de Henry Selick ; Ghost In The Shell (1997) de Mamoru Oshii ; Valse avec Bachir (Vals Im Bashir, 2008) de Ari Folman ; etc….
Bien que Psiconautas ne soit pas conseillé aux plus jeunes (3-6 ans), ce dernier se situant entre la fable de George Orwell, La Ferme des animaux (Animal Farm : A Fairy Story, 1945) et La Planète Sauvage (1973) de René Laloux en collaboration avec Roland Topor (prix spécial du jury au Festival de Cannes en 1973) , nous ne pouvons donc que nous attrister de son interdiction en salle aux moins de douze ans.
Steve Le Nedelec
Psiconautas un film d’Alberto Vázquez et Pedro Rivero avec les voix de Andrea Alzuri, Eva Ojanguren, Josu Cubero, Félix Arcarazo… Scénario : Pedro Rivero et Alberto Vázquez. Montage : Iván Miñambres. Musique : Aránzazu Calleja. Producteurs : Luis Tosar – Farruco Castoman. Production : Abrakan Estudio – Basque Films – La Competencia Produciones – ZircoZine. Distribution (France) : Eurozoom (sortie le 24 mai 2017). Espagne. 2015. 76 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. DCP. Interdit aux moins de 12 ans. Goya du meilleur film d’animation 2016. Sélection Utopiales 2016. L’Etrange Festival 2016. Annecy 2016.