Presence – Steven Soderbergh

Une famille emménage dans une nouvelle maison, où une mystérieuse présence hante les lieux.

Steven Soderbergh est scénariste, réalisateur, producteur, directeur de la photographie et monteur. Son premier long-métrage en tant que réalisateur, Sexe, mensonges et vidéo (Sex, Lies and Videotape), remporte la Palme d’or au festival de Cannes en 1989 et lui vaut une nomination pour l’Oscar du meilleur scénario original. En 1991, il réalise Kafka avec Jeremy Irons et Theresa Russell, et enchaine avec King Of The Hill (1993), A fleur de peau (The Underneath, 1996), Schizopolis (1996), L’ Anglais (The Limey, 1998) avec Terence Stamp, Hors d’atteinte (Out of Sight, 1998) avec George Clooney et Jennifer Lopez. En 2000, il est nommé à deux reprises aux Oscars, pour Erin Brockovich avec Julia Roberts et Traffic avec Michael Douglas et Catherine Zeta-Jones, film pour lequel il remporte l’Oscar de la meilleure réalisation. Parmi ses autres réalisations, citons la série télévisée The Knick, et les films Full Frontal, la trilogie Ocean’s, Solaris, Bubble, The Good German, The Informant !, Contagion, Piégée (Haywire), Magic Mike, Ma vie avec Liberace (Behind the Candelabra), Effets secondaires (Side Effects), Logan Lucky ou encore Paranoïa (Unsane). Après le thriller Kimi en 2022, Presence marque la deuxième collaboration du cinéaste avec le scénariste David Koepp qui est aussi le scénariste du prochain film de Soderbergh, The Insider (Black Bag), en salle… le mois prochain !

Scénariste, réalisateur et producteur, David Koepp a travaillé en tant que scénariste avec de nombreux réalisateurs, tels que Robert Zemeckis pour La mort vous va si bien (Death Becomes Her, 1992), Steven Spielberg pour Jurassic Park (1993), Le Monde Perdu : Jurassic Park (The Lost World : Jurassic Park, 1997), La Guerre des Mondes (War of the Worlds, 2005) ou Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull, 2008), Brian De Palma pour L’Impasse (Carlito’s Way, 1993), Mission : Impossible (1996) ou Snake Eyes (1998), David Fincher pour Panic Room (2002), Sam Raimi pour Spider-Man (2002) et Spider-Man 2 (2004) ou encore Ron Howard pour Anges & Démons (2009) et Inferno (2016). En tant que réalisateur, on lui doit entre autres les films Réactions en chaîne (The Trigger Effect, 1998) avec Kyle MacLachlan et Elisabeth Shue, Hypnose (A Stir of Echoes, 2000) avec Kevin Bacon, Fenêtre secrète (Secret Window, 2004) avec Johnny Depp, Maria Bello et John Turturro, La Ville Fantôme (Ghost Town, 2008) avec Greg Kinnear, Premium Rush (2012) avec Joseph Gordon-Levitt et Michael Shannon, Charlie Mortdecai (Mortdecai, 2014) avec Johnny Depp et You Should Have Left (2020) avec Kevin Bacon et Amanda Seyfried.

« Presence est né d’un événement survenu dans notre maison de Los Angeles, à Jules – ma femme – et moi. Quelqu’un est mort dans cette maison avant notre emménagement. La rumeur veut que la personne décédée dans cette maison soit une mère, tuée par sa fille. […] J’ai commencé à penser à l’histoire d’une présence dans une maison, et à une nouvelle personne ou aux nouvelles personnes qui entrent dans cette maison, comment la présence se sentirait ? J’ai rédigé cette idée, en gros, et je l’ai envoyée à David (Koepp). » Steven Soderbergh.

Œuvre cinématographique audacieuse, Presence s’inscrit parfaitement dans la continuité de la filmographie riche et variée du cinéaste. A travers Presence, Steven Soderbergh, réalisateur virtuose, continue d’explorer les recoins de la psychologie humaine et ses failles. Pour ce faire, il tisse avec habileté des éléments de suspense psychologique dans une atmosphère tendue et nous offre diverses réflexions sur des thématiques très actuelle comme la drogue, la violence, la perversion ou le mal-être des adolescents victimes de nouvelles névroses, mais aussi, les liens familiaux, la famille et ses maux, ou encore la foi, l’emprise, le surnaturel et le deuil.

Écrit par David Koepp et porté par un casting impressionnant, dont Lucy Liu, Chris Sullivan, Callina Liang et Eddy Maday, le film est une exploration minutieuse des zones floues entre le monde tangible et l’invisible qui vient en fait traduire la complexité des relations au sein de la famille. À l’aide d’une direction artistique soignée et d’un montage ingénieux, Soderbergh nous plonge dans un univers où la présence (ou l’absence) devient une question centrale.

« Je voulais trouver une manière différente de raconter l’histoire. Tout est révélé à travers les aperçus de cette famille que cette présence voit. Et les éléments du film de fantômes sont en fait un cheval de Troie pour montrer un groupe de personnes qu risquent de s’effondrer. » Steven Soderbergh.

Entièrement filmé en caméra subjective du point de vue de la « présence », maître de la mise en scène subtile, Soderbergh effectue avec ce film, une véritable prouesse technique, à la fois visuelle et narrative, qui vient proposer une relecture formellement brillante du film de fantôme et du mythe de la maison hantée. Il y a une réelle recherche de déstabilisation visuelle dans Presence. Les choix de cadrage et de composition renforcent l’isolement des personnages, tout en mettant en avant leurs interactions. Les plans sont souvent composés de manière à rendre les personnages presque « piégés » dans leur environnement. Exploration méthodique des rapports familiaux, avec Presence, Soderbergh démontre une fois de plus son savoir-faire en matière de mise en scène et son inventivité pour créer la tension chez le spectateur. Témoin privilégié de la vie de cette famille, la mise en scène du réalisateur place le spectateur comme s’il était lui-même la « présence » du film. Comme la « présence », le spectateur est le témoin muet de la désagrégation des relations des individus au sein de la famille. La mise en scène de Soderbergh et le regard omniscient qu’il utilise par le biais de son choix formel de raconter le film en caméra subjective, jouent non seulement sur la place du spectateur, comme étant celle d’un voyeur, mais font également du réalisateur, ou plus précisément de sa mise en scène, un personnage à part entière, le personnage principal. C’est la grammaire de la mise en scène et le regard du cinéaste qui donnent vie à la « présence ». Une « présence » qui, de fait, représente à la fois l’incarnation de la caméra et celle du spectateur.

Le travail de Soderbergh ici est notable pour sa capacité à jouer sur des éléments subtils et non explicites. Loin des films de genre plus conventionnels qui surchargent l’intrigue avec des effets visuels spectaculaires, Soderbergh préfère effectuer une exploration audacieuse des fantômes d’une famille américaine névrosée et de la psyché humaine. Dans ce huis clos, il parvient à installer une tension palpable dans des scènes qui, à première vue, semblent anodines. Il exploite à merveille les silences (et les non-dits), les ombres et les espaces vides pour amplifier la sensation d’angoisse, rendant chaque mouvement, chaque regard, chaque son presque angoissant. Le film procure ainsi comme une impression de flottement, nécessaire à la construction de l’atmosphère.

« Steven m’a envoyé ses idées et m’a demandé si j’étais intéressé. J’ai répondu : “Tu plaisantes ?”. Tout se passe au même endroit. Des choses étranges se produisent. Une famille commence à se désagréger. Cela concentre toutes mes obsessions personnelles. » David Koepp.

Guidé par le choix esthétique très fort du cinéaste, le scénario astucieux de Presence, écrit par David Koepp, est une véritable prouesse. Koepp, scénariste aguerri, livre ici une histoire qui navigue habilement entre le drame familial, le thriller psychologique, le fantastique et l’épouvante subtile. Le film joue sur la frontière floue entre ce qui est réel et ce qui est surnaturel, plongeant le spectateur dans un état de tension.

Brillamment écrits, les personnages du film sont une peinture caractéristique des relations familiales et leurs profils psychologiques sont d’une impressionnante justesse. Koepp réussit à créer une tension dramatique sans jamais expliciter le mystère central du film. Le dialogue laisse souvent place à des silences lourds de sens. De plus, l’écriture de Koepp rend les interactions entre les personnages riches et complexes. Cette dernière joue un rôle essentiel dans l’intrigue et apporte une dynamique aussi intéressante que nuancée à l’histoire.

Comme les personnages du film ont une obsession permanente pour l’assimilation, la dynamique familiale est ici complexe et potentiellement autodestructrice. Le choix du casting pour incarner les personnages de l’histoire était donc particulièrement important. Lucy Liu a été choisie la première pour incarner Rebekah, la mère de la famille, et les autres comédiens(nes) du film ont été choisis à partir d’elle.

Lucy Liu est une actrice, réalisatrice et productrice, dont l’influence s’étend au cinéma, à la télévision et à Broadway. Sa filmographie comprend des films tels que Payback (1999) de Brian Helgeland, Charlie et ses drôles de dames (Charlie’s Angels, 2000) de McG, Chicago (2002) de Rob Marshall ou encore Kill Bill (2003) de Quentin Tarantino. Elle est également connue pour son personnage de Ling Woo dans la série Ally McBeal. A ses côtés on retrouve les acteurs Chris Sullivan et Eddy Maday dans les rôles respectifs du père de famille et du fils, et l’actrice Callina Liang dans celui de la fille.

Indépendamment de son statut de réalisateur, comme il en a l’habitude, Steven Soderbergh est aussi le directeur de la photographie et le monteur du film, postes qu’il signe sous les pseudonymes de Peter Andrews pour la photo et de Mary Ann Bernard pour le montage.

Dès le plan-séquence d’ouverture du film, l’impressionnant travail qu’il effectue sur l’image, avec ses choix de lumière et son approche visuelle minimaliste et épurée, où chaque plan est pesé, mesuré, tout en étant habité par une tension latente, plonge les personnages et le spectateur dans une atmosphère à la fois intime et oppressante. Soderbergh joue de manière remarquable avec les contrastes, entre ombres et lumières, pour souligner l’ambiguïté du film. Parfois, la lumière devient presque une entité à part entière. La manière dont le réalisateur sculpte l’éclairage vient parfaitement traduire et souligner les caractères, les émotions et sentiments des personnages. Le cinéaste sublime ainsi la narration par l’image qui joue un rôle essentiel dans l’ambiance du film comme pour l’immersion du spectateur.

Le montage joue un rôle essentiel dans le rythme et la construction de l’atmosphère du film. Soderbergh met en place une cadence qui alterne entre moments calmes et ruptures violentes de rythme. Parfois, les scènes s’enchaînent de manière presque imperceptible, créant une sensation d’inconfort. D’autres fois, des transitions abruptes entre différents moments plongent le spectateur dans une anxiété déstabilisante.

Loin d’être gratuite, cette approche du montage participe pleinement à l’homogénéité de l’œuvre. Témoin des conflits entre les personnages, le spectateur est entraîné dans un tourbillon d’émotions, se sentant à la fois immergé dans l’histoire dramatique de cette famille et incertain de la suite des évènements. La manipulation du temps et de l’espace à travers le montage devient l’un des outils narratifs les plus puissants du film.

Minutieusement conçus par la cheffe décoratrice April Lasky, qui a déjà collaboré avec Soderbergh sur Paranoïa (2018), sobres et dépouillés, les décors ajoutent une dimension supplémentaire à l’univers du film. Ceux-ci accentuent en effet le sentiment de confinement et d’isolement des personnages mais aussi de claustrophobie pour le spectateur. L’environnement dans lequel ils évoluent (les différentes pièces de la maison) est à la fois banal et déstabilisant. Chaque espace est soigneusement pensé pour refléter l’état émotionnel des personnages. Comme un reflet de la psychologie des personnages, évocateurs, les lieux deviennent donc eux aussi un outil narratif clé qui participe activement au suspense comme à l’angoisse du film.

Composée par Zack Ryan, la bande originale évocatrice du film vient parfaitement s’inscrire dans son univers sonore. A la fois délicates et puissantes, les compositions accompagnent les émotions des personnages sans jamais les écraser. Soulignant les moments de tension comme de réflexion, la musique joue, elle aussi, un rôle essentiel dans la création de l’ambiance immersive du film.

Réflexion sur le mal-être et la violence des adolescents ou encore sur la complexité des relations familiales, Presence s’impose comme une expérience cinématographique fascinante. Aussi maîtrisé et exigeant que captivant, Presence est ce que l’on appelle un film-concept avec lequel le cinéaste poursuit ses expérimentations cinématographiques. Dans le même temps qu’il nous peint un portrait effrayant de nos sociétés contemporaines, Soderbergh utilise le cinéma fantastique pour questionner le travail de mise en scène en général et de création de la tension chez le spectateur en particulier.

Presence s’inscrit dans la lignée des films de Soderbergh qui examinent les complexités de la vie moderne. Fidèle à son style, Soderbergh joue constamment avec ses idées de mise en scène. Que ce soit dans la réalisation, le montage ou le travail sur l’image, chaque choix semble être dicté par une volonté de questionner l’art cinématographique dont il est l’un des plus grands maîtres contemporains. En refusant de donner une lecture simple et « classique », Soderbergh invite son public à une réflexion sur le cinéma, sur la manière dont il se crée et sur la perception que l’on en a, sur sa réception.

Presence ne se contente pas de séduire par ses performances ou encore par sa narration intrigante. Le travail de Soderbergh sur ce film illustre non seulement l’évolution de sa carrière en tant que cinéaste, mais aussi, par son invitation à une réflexion plus large sur ses choix stylistiques et esthétiques, son désir de faire évoluer les conventions du cinéma, son désir de toujours réinventer le langage cinématographique.

Presence est un film exigeant qui parvient à créer un équilibre parfait entre le divertissement et la réflexion. Un film qui témoigne donc du respect qu’à le cinéaste pour le spectateur. Presence est une œuvre ambitieuse et audacieuse, à la fois profondément psychologique, sociétale et visuellement séduisante, à travers laquelle le réalisateur continue d’explorer des thèmes à la fois universels et contemporains. Avec son casting porté par Lucy Liu, Callina Liang, Chris Sullivan, et Eddy Maday, et soutenu par un travail d’équipe en harmonie totale, Presence est un exemple de cinéma où la forme et le fond se mêlent de manière magistrale. Steven Soderbergh continue de prouver qu’il est l’un des cinéastes les plus innovants et singuliers de sa génération, capable de repousser les limites de ce que le cinéma peut accomplir. Brillant.

Steve Le Nedelec

Presence, un film de Steven Soderbergh avec Lucy Liu, Chris Sullivan, Callina Liang, Eddy Maday, West Mulholland, Julia Fox… Scénario : David Koepp. Image : Peter Andrews (Steven Soderbergh). Décors : April Lasky. Costumes : Marci Rodgers. Montage : Mary Ann Bernard (Steven Soderbergh). Musique : Zack Ryan. Producteurs exécutifs : David Koepp et Corey Bayes. Co-producteur : H.H. Cooper. Producteurs : Julie M. Anderson et Ken Meyer. Production : Extension 765 – The Spectral Spirit Company – Neon. Distribution : Dulac Distribution (sortie le 05 février 2025). États-Unis. 2024. 1h25. Couleur. Format image : 1,77:1. Son : 5.1. Dolby Atmos. Interdit aux moins de 12 ans.