La nuit new-yorkaise touche à sa fin dans les bas quartiers: les enseignes lumineuses, les panneaux vidéo présentent en boucle des filles dans des situations subjectives et les néons éclairent ce qui reste de pénombre. Police sur la ville est un polar urbain sur des flics fatigués par trop de kilométrage, d’attente, de whisky, de mauvaises rencontres et d’amour d’une nuit.
Un vendredi comme tant d’autres. A l’heure où se croisent dans les premiers métros le peuple de la nuit et les salariés, la paupière lourde, Daniel Madigan (Richard Widmark) et Rocco Bonaro (Harry Guardino) attendent au pied de l’immeuble où se terre Barney Benesch (Steve Ihnat), un truand. Une banale opération pour les deux flics, ils doivent amener Barney au commissariat de Brooklyn pour une enquête de routine. Revolver en main, ils défoncent la porte de la minable piaule de Barney. Ils le surprennent au lit en charmante compagnie. Les trois hommes se connaissent. Barney est un vieux renard menteur et violent, il sort la fille du lit et l’expédie sans ménagement, nue comme un ver, jusqu’à un placard pour récupérer sa veste. Les deux flics en profitent pour reluquer la plastique de la gamine de 22 ans. Erreur fatale, Barney se saisit d’un flingue et tient en joue les deux flics. Barney s’enfuit par les toits avec l’arme de service de Madigan. Course poursuite perdante pour Madigan, à bout de souffle le vent matinal lui fouette le visage, New-York se réveille…
Police sur la ville est une œuvre importante, le passage du film policier des années 60 au polar désabusé des années 70. Des héros fatigués, taraudés par le spleen et le temps qui fuit inexorablement. Madigan (Richard Widmark) tout comme le préfet Russell (Henry Fonda). Plus que l’intrigue, ce sont les rapports humains qui intéressent Don Siegel. Comment des hommes droits ont vu leurs idéaux de justice s’évaporer sans qu’ils s’en rendent compte. Petit à petit, la réalité leur a fait changer de monde, d’un coup, ils sont devenus vieux. Intelligence de la mise en scène de Don Siegel, la jeune femme nue, que les flics suivent du regard dans la chambre, n’est ni plus ni moins que la jeunesse qui défile, le moment où l’on passe de l’immersion dans le temps présent à la nostalgie d’instants passés. Les 72 heures qu’a Madigan vont bien au-delà de la simple arrestation de Barney, récupérer son arme est plus que la légitimation de son existence, l’ultime occasion pour lui de recoller les lambeaux d’une jeunesse en aller, d’être encore dans le coup.
Siegel met en parallèle deux hommes, deux chemins différents, Madigan flic de la rue et des petits arrangements, tandis que Russell, homme des salons et de l’intransigeance. A partir d’une petite affaire, les deux hommes vont se confronter. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est le respect « hiérarchique » que Madigan porte au préfet. La séquence de leur rencontre est un moment d’une grande intensité, surprenant, tant Hollywood nous a appris que l’individualisme forcené et l’irrévérence étaient une seconde nature chez les héros, rien de cela ici, le sentiment de la faute commise lamine intérieurement Madigan.
L’intime prend le pas sur l’intrigue et, dans cette farandole d’hommes, surnage de magnifiques portraits de femmes. Julia (Inger Stevens), l’épouse de Madigan, a vu son couple sombrer et les angoisses de son mari ont finie par prendre le dessus jusqu’à anéantir toute sexualité. Sa fidélité l’a conduite à la frustration. Au cours d’une soirée, dans le parking, elle résiste à la tentation d’une aventure extraconjugale. Madigan est impuissant. Quant à sa possible maîtresse (le code Hays n’a pas encore volé en éclat), Josesy (Sheree North), autre blonde, sorte de double de la nuit de sa femme, elle n’est plus qu’une amie, un réconfort au cœur de la nuit. Dans le jardin secret de Madigan, les fleurs se sont fanées, la sève s’est retirée des tiges, les mauvaises herbes, comme des métastases, ont recouvert ce qui restait de la vie, la mort s’apprête à y mettre un point final. Les 72 heures ne sont qu’un compte à rebours final au cours duquel tous les signes d’un destin funeste se relèvent.
Richard Widmark et Henry Fonda sont impeccables, ils incarnent autant qu’ils représentent un cinéma classique et des valeurs qui s’éteignent, leurs personnages n’ont pas descendance. Autour d’eux, de formidables seconds rôles, les actrices Inger Stevens, Susan Clark que Siegel dirige la même année dans Un Shérif à New-York (Coogan’s Bluff). Sheree North retrouvera à maintes reprises Don Siegel : Tuez Charley Varrick (Charley Varrick, 1973), Le dernier des géants (The Shootist, 1976), Un espion de trop (Telefon, 1977). Harry Guardino, James Whitmore, Don Stroud qui lui aussi enchaîne avec Un Shérif à New-York et toujours aussi bon dans une apparition mémorable l’un des plus grands acteurs nains : Michael Dunn. Aussi curieux que cela puisse paraître, Richard Widmark endossera à nouveau le costume de Madigan pour une série TV au début des années 70.
Police sur la ville scelle sans regret ni sentimentalisme la fin d’une époque, d’une génération, un grand Siegel.
Fernand Garcia
Police sur la ville est disponible pour la première fois en France en Blu-ray dans une belle édition combo (Blu-ray – DVD) sous la houlette d’Éléphant Films. En supplément : Peur sur la ville, une présentation du film par Julien Comelli « Ce qui frappe immédiatement c’est le décor naturel, le film tourné en milieu urbain… » Une mine d’informations sur sa fabrication, retour sur les différents artistiques entre Don Siegel et le producteur Frank P. Rosenberg, etc. (réalisé par Erwan Le Gac, 25 minutes), la bande-annonce américaine d’époque de Police sur la ville (2’50), une Galerie de photos et enfin, les bandes-annonces des autres films de la collection : Un Hold-up extraordinaire, Chacal, Les Loups de haute mer.
Police sur la ville (Madigan) un film de Donald Siegel avec Richard Widmark, Henry Fonda, Inger Stevens, Harry Guardino, James Whitmore, Susan Clark, Michael Dunn, Don Stroud, Steve Ihnat, Sheree North… Scénario : Henri Simoun et Abraham Polonsky d’après le roman « The Commisioner » de Richard Dougherty. Directeur de la photographie : Russell Metty. Décors : Alexander Golitzen et George C. Webb. Matte Painting : Albert Whitlock. Montage : Milton Shifman. Musique : Don Costa. Producteur : Frank P. Rosenberg. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1968. 101 minutes. Couleur. Techniscope. Format image : 2.35 :1. 16/9e Audio : VOSTF et VF DTS HD Master Dual mono 2.0. Master numérique HD 1920×1080 p. Tous publics.