Figure emblématique de la Nouvelle Vague australienne au milieu des années 70, le réalisateur, scénariste et producteur Peter Weir est né le 21 août 1944 à Sydney en Australie. Après un court passage à l’Université de Sydney, Peter Weir s’envole pour Londres où il se forme aux métiers de l’audiovisuel et où il rencontre sa future compagne avec qui il exerce différents petits métiers pour la télévision dont la rédaction et l’interprétation de sketches satiriques. De retour en Australie, à partir de 1967, Weir officie en qualité de machiniste et régisseur pour la chaîne ATN-7 de Sydney au sein de laquelle il réalisera ses deux premiers courts-métrages, Count Wim’s Last Exercises et The Life and Flight of Reverend Buckshotte. Il réalise ensuite le moyen-métrage Man on a Green Bike (1969) pour la télévision. Dès 1971, il obtient le grand prix de l’Australian Film Institute pour son moyen-métrage humoristique Homesdale. Tournée en noir et blanc et en 16 mm, Homesdale est une œuvre de jeunesse, une comédie noire dans laquelle des invités arrivent dans une propriété privée sur une île isolée près de Sydney, et se livrent à des activités étranges qui vacillent entre comédie et horreur. Durant toute cette période, le jeune réalisateur tourne également plusieurs documentaires pour le Commonwealth Film Unit et écrit pour la série télévisée The Aunty Jack Show.
Son parcours lui permet de signer son premier long-métrage en 1974, Les Voitures qui ont mangé Paris (The Cars That Ate Paris), une Série B à petit budget imaginée comme une métaphore de l’Australie. Les voitures tuent dans le petit village rural de Paris, en Australie. Après un étrange accident de voiture, un homme dont le frère a été tué, est retenu prisonnier dans une petite ville australienne et découvre la noirceur de l’Outback. A la fois violent et burlesque, noir et fantastique, le film est dans la lignée de son moyen-métrage Homesdale.
A travers une satire volontiers loufoque et innovante et les ingrédients d’un genre qui inspireront évidemment Mad Max, la grande saga australienne de George Miller, Les Voitures qui ont mangé Paris préfigure les atmosphères singulières et étranges du cinéaste et pose les bases de son cinéma qui évoque déjà les différentes cultures aborigènes de son pays. Les Voitures qui ont mangé Paris marque les débuts de l’Ozploitation, la Nouvelle Vague australienne.
À la fin des années 60, l’Australie ne produit plus de longs métrages depuis quinze ans, et la possibilité même de l’existence d’un cinéma national ne suscite aucun intérêt auprès d’un public qui se contente des productions anglaises et américaines qui monopolisent les écrans. Débarque alors une génération de cinéastes, formés pour la plupart à l’étranger, qui ne souhaite pas se limiter aux courts métrages, aux documentaires ou à travailler pour la télévision, et qui va profiter d’une série de lois favorables à la création artistique pour donner naissance à ce qui deviendra la Nouvelle Vague du cinéma australien, l’Ozploitation.
De la comédie à l’horreur sanglante, en passant par des films d’action bien souvent teintés de science-fiction ou de fantastique, ou œuvres inclassables, ce sont des centaines de films qui vont, durant près de deux décennies, former la majorité du mouvement de ce que l’on nomme aujourd’hui l’Ozploitation. Parmi les œuvres les plus représentatives de ce mouvement, aux côtés de celles de Peter Weir ou de celles de ses compatriotes Bruce Beresford et Fred Schepisi, on retrouve entre autres, Wake in Fright (1970) de Ted Kotcheff, La Randonnée (1970) de Nicolas Roeg, ces deux premiers films ayant la particularité d’avoir été réalisés par des cinéastes Canadien et Anglais, Alvin Purple (1973) de Tim Burstall, Inn of the Damned (1975) de Terry Bourke, Mad Dog Morgan (1976) de Philippe Mora, Oz (1976) de Chris Löfvén, Journey Among Women (1977) de Tom Cowan, The FJ Holden (1977) de Michael Thornhill, Mad Max (1977) de George Miller, Patrick (1978) de Richard Franklin, Réaction en chaîne (1980) de Ian Barry, Goodbye Paradise (1981) de Carl Schultz, Road Games (1981) de Richard Franklin, Next of Kin (1982) de Tony Williams, Razorback (1984) de Russell Mulcahy, ou encore Fair Game (1986) de Mario Andreacchio.
Principalement remarqué dans les festivals de cinéma avec Les Voitures qui ont mangé Paris, c’est avec Pique-Nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock) que la carrière de Peter Weir décolle en 1975. Adaptation du roman du même nom de Joan Lindsay publié en 1967, qui raconte l’histoire de la disparition d’adolescentes en 1900, Pique-Nique à Hanging Rock envoûtera à nouveau critiques et festivaliers du monde entier et sera un énorme succès critique et commercial en Australie. Plus qu’une enquête abordant les questions des classes sociales ou la répression sexuelle dans la société australienne, tout en métaphore, Pique-Nique à Hanging Rock est une critique en bonne et due forme de la société coloniale victorienne rigide et hypocrite, de ses tabous (le plaisir charnel étant le péché capital), de son puritanisme, de ses préjugés et de son mépris racial. Les choix du postulat fantastique et de ne pas chercher à donner d’explication aux évènements imposent le style du cinéaste. Ce n’est pas l’élucidation du mystère qui importe ici mais bien le mystère lui-même et les conséquences qu’il aura sur les individus. Onirique, le film invite le spectateur à faire une balade à la fois poétique, mystique et sensuelle. Une balade fascinante à la lisière du fantastique, là où le temps s’arrête, là où l’invisible devient mystérieux et les grands espaces menaçants.
Le thème de l’intrus, de l’autre vivant dans une société étrangère et hostile, sera présent dans (presque) toute l’œuvre du cinéaste (Les Voitures qui ont mangé Paris, La Dernière Vague, Gallipoli, L’Année de tous les dangers, Witness, The Mosquito Coast, The Truman Show…). Comme l’annonçait Les Voitures qui ont mangé Paris et comme le confirmera son film suivant, La Dernière Vague (The Last Wave, 1977), Pique-Nique à Hanging Rock témoigne de l’univers singulier du cinéma de Peter Weir qui tend vers le mystérieux et le fantastique.
Inspiré et habité par le mysticisme aborigène Pique-Nique à Hanging Rock est pourtant un authentique film australien. Parfaite œuvre syncrétique, Pique-Nique à Hanging Rock est un film onirique, envoûtant et fascinant. Un film unique. Un classique incontournable du cinéma et du cinéaste australiens.
En 1977, La Dernière Vague (The Last Wave), le troisième long-métrage du réalisateur, vient confirmer l’univers singulier de son cinéma. En effet, avec La Dernière Vague, Peter Weir continue son exploration formelle du mystérieux et du fantastique tout en évoquant dans le même temps les différentes cultures aborigènes de son pays et les liens existants (ou pas) entre les êtres et leur environnement.
Selon les aborigènes du pays, annonciateurs d’un cataclysme imminent, des phénomènes météorologiques étranges et inquiétants (grêle et tonnerre dans un ciel bleu, pluies noires diluviennes…) s’abattent sur une région désertique et plonge Sydney dans l’obscurité. L’avocat David Burton est commis d’office pour défendre cinq aborigènes accusés du meurtre de l’un des leurs au cours d’une rixe. L’avocat enquête afin d’en savoir plus sur les circonstances obscures de ce meurtre tribal.
En écho à la manière dont la société australienne s’est façonnée, l’inquiétante étrangeté qu’instaure le cinéaste et l’angoisse permanente de la catastrophe climatique qui menace à chaque instant, viennent aussi bien traduire les maux actuels et ancestraux du pays que l’aliénation des individus aussi étrangers au milieu où ils vivent qu’à son histoire.
« Comme on le dit souvent, ce film est un choc des civilisations, mais pour moi c’est encore plus un choc de perceptions. Ces personnages que l’on voit dans le film voient le monde totalement différemment que nous. Et après avoir passé autant de temps à leurs côtés, cela reste impénétrable. La rencontre est impossible entre ces deux perceptions. Ça a été un honneur de travailler avec ces hommes. Je crois que de tous mes films, c’est celui dont je peux dire que la fabrication a été plus intéressante que le film en lui-même. » Peter Weir.
Sublime fable australienne aux multiples niveaux de lecture, inspiré et habité par le mysticisme des croyances aborigènes, La Dernière Vague est un grand film fantastique dans lequel le spirituel l’emporte sur le rationnel. La Dernière Vague est un grand film fantastique qui traite du rêve, de la prémonition, de la préscience millénaire de la disparition d’un continent, et à travers eux, du choc des civilisations, des certitudes les plus ancrées de la communauté blanche australienne ou encore de la méconnaissance qu’à l’homme moderne de lui-même.
La Dernière Vague a été doublement récompensé par l’Australian Film Institute en 1978 en obtenant les prix de la Meilleure photographie et du Meilleur son. Le film a également reçu le Prix spécial du jury au Festival international du film fantastique d’Avoriaz en 1978. Il faudra cependant attendre 1982 avant de voir arriver La Dernière Vague dans les salles en France.
Deux ans plus tard, Peter Weir signe Le Plombier (The Plumber, 1979) pour la télévision. Le film raconte l’histoire d’une universitaire brillante, mais peu adaptée aux réalités du monde moderne, qui reçoit un plombier venu effectuer quelques travaux dans sa salle de bains sans avoir été appelé. De plus en plus envahissant, ce dernier finit par s’installer chez elle. Face à cet homme étrange et menaçant, elle se révèle terriblement vulnérable. Angoisse, terreur et solitude sont au programme de ce cauchemar qui va durer près d’une semaine. Le Plombier est un thriller psychologique qui sera présenté dans plusieurs festivals dont le Festival du film de Sydney, le Vienna International Film Festival, le Festival International du film de Hong Kong ou encore le Festival International du film de La Rochelle.
Réalisé en 1981, c’est avec Gallipoli que l’œuvre du cinéaste s’ouvre à un public plus international. Plus direct et spectaculaire que ses œuvres précédentes, son quatrième long-métrage, Gallipoli, est un film de guerre relatant la tragique bataille des Dardanelles durant la Première Guerre mondiale. Deux amis australiens s’engagent pour aller combattre sur le Front européen aux côtés des Alliés. Ils se retrouvent à Gallipoli, dans l’Empire ottoman, et y découvrent les horreurs de la guerre. C’est après avoir visité un champ de bataille de la Première Guerre mondiale que Peter Weir a souhaité réaliser un film sur le sujet. Un film qui va venir faire écho au chaos de la guerre du Vietnam. Les thématiques et la mise en scène de Gallipoli confirme l’influence qu’a pu exercer l’œuvre de Stanley Kubrick sur le jeune cinéaste qui s’inspire ouvertement ici du film Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, 1957) pour montrer l’horreur de la guerre de tranchées comme les massacres inutiles de soldats sacrifiés à des ordres absurdes. Après Mad Max (1977) de George Miller, avec Gallipoli, film magnifique à la mise en scène lyrique, qui compte parmi les meilleurs du cinéma australien, Peter Weir offre l’un de ses premiers grands rôles à Mel Gibson.
Parmi ses nombreuses récompenses, Gallipoli a été récompensé par l’Australian Film Institute en 1981 en obtenant les prix du Meilleur film, du Meilleur réalisateur, du Meilleur acteur (pour Mel Gibson), du Meilleur acteur dans un second rôle (pour Bill Hunter), du Meilleur scénario, du Meilleur son, du Meilleur montage et enfin de la Meilleure photographie.
L’année suivante, Peter Weir retrouve Mel Gibson accompagné de Sigourney Weaver dans L’Année de tous les dangers (The Year of Living Dangerously, 1982). Le film raconte l’histoire d’un correspondant australien, Guy Hamilton (Mel Gibson) qui arrive en Indonésie pour couvrir un sujet sensible juste avant la tentative de putsch du 30 septembre 1965 et les gigantesques massacres qui l’ont suivie. Il met également en scène son histoire d’amour avec une assistante anglaise d’ambassade, Jill Bryant (Sigourney Weaver).
A l’instar de films comme Salvador (1986) d’Oliver Stone, Under Fire(1983) de Roger Spottiswood, Le Faussaire (Die Fälschung, 1981) de Volker Schlondorff, Cry Freedom (1987) de Richard Attenborough ou encore La Déchirure (The Killing Fields, 1984) de Roland Joffé, L’Année de tous les dangers s’inscrit dans un mouvement de films des années 80 ayant pour thème « le correspondant de guerre ». A l’époque, L’Année de tous les dangers est l’un des films australiens les plus chers jamais produit et marque la première coproduction entre l’Australie et un studio hollywoodien (Metro-Goldwyn-Mayer). Présenté au festival de Cannes en 1983, le film et a été salué entre autres pour l’impressionnante performance de l’actrice Linda Hunt, travestie en homme pour le rôle de Billy Kwan. Rôle qui lui a notamment valu l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.
Remarqué dans les festivals de cinéma du monde entier dès 1974 avec son premier film, Les Voitures qui ont mangé Paris, puis, avec le succès à la fois critique et commercial de ses films suivants, Pique-Nique à Hanging Rock (1975) et La Dernière Vague (1977) et enfin, la démonstration de son talent pour mettre en scène l’action avec les superproductions Gallipoli (1981) et L’Année de tous les dangers (1982), en réalisant des œuvres à la fois singulières et populaires participants au mouvement de la Nouvelle Vague du cinéma australien que l’on nommera « Ozploitation », le cinéaste australien Peter Weir a, incontestablement, grandement participé à la renaissance d’un cinéma disparu comme à sa reconnaissance aux yeux du monde.
Incarnation même de la plus belle idée du cinéma populaire, cinéaste singulier et talentueux, c’est sans surprise que Peter Weir sera convoité par les studios américains. Auteur de films populaires et profonds aux multiples niveaux de lecture, c’est également sans surprise que Peter Weir va conquérir Hollywood…
Steve Le Nedelec