Désaveu et inquiétude
Jacques Fansten, président de la SACD et Laurent Heynemann, président de la commission Cinéma de la SACD, réagissent à l’affaire du visa d’exploitation de NYMPHOMANIAC.
« L’Association « PROMOUVOIR » ne se cache pas. Elle se donne pour objet d’imposer à l’ensemble de la population ses propres valeurs, qu’elle prétend judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale. Et bien entendu aussi dans le domaine culturel.
Pour elle, un État autoritaire et hiérarchisé doit décider pour tous de ce qui peut être montré, de ce qui est beau, correct ou même regardable.
Cette définition du « rôle de l’art » a connu ses heures fastes dans les dictatures au milieu du XXème siècle.
Le climat actuel en Europe, la monté en puissance des politiques intolérantes et des tendances au repli sur soi, offrent un terrain favorable à la renaissance de ces aspirations.
L’Association PROMOUVOIR prône et défend un intégrisme militant en se cachant derrière une façade respectable et l’affirmation d’intentions pures. Elle veut imposer à tous ses choix extrêmes.
Ainsi, l’un des outils de son projet idéologique est le maniement de la loi républicaine : utiliser la définition démocratique de la protection des individus pour en détourner l’objet au profit d’un exercice de la censure.
C’est de cette manière qu’elle a obtenu d’un juge des référés, statuant seul et dans l’urgence, une restriction du visa d’exploitation du film de Lars von Trier, NYMPHOMANIAC, désavouant ainsi aussi bien la Ministre de la Culture que la Commission dont le rôle est de visionner les films, de réfléchir collégialement et d’émettre un avis.
Depuis plus de 50 ans, cette Commission de Classification des œuvres Cinématographiques fonctionne au bénéfice de tous. Elle est diverse, puisque l’on retrouve en son sein aussi bien des praticiens de l’éducation et de l’enfance, des associations familiales, des représentants de corps constitués, que des professionnels du cinéma et de la création. Elle est transparente et ses propositions sont soumises à la décision du Ministre qui, dans l’immense majorité des cas, suit son avis. Grâce à son action, dans un climat qu’elle contribue à apaiser, les conditions d’exploitation des films peuvent répondre à deux objectifs : protéger le jeune public et respecter la liberté d’expression.
En aggravant les seuils d’interdiction de deux films contre l’avis d’un comité d’experts dont la pluralité et la compétence ne peuvent pas être contestées, un juge du tribunal administratif de Paris, interprétant sa saisine de la façon la plus étroite possible, a été l’outil de la manœuvre de cette association.
Sa naïveté n’a d’égal que l’humiliation qu’il inflige à la Commission de Classification des œuvres Cinématographiques, et par rebond, à la Ministre de la Culture et de la Communication.
Comme d’habitude l’objet de cette censure est un film.
Comme d’habitude ce film n’a pas été vu par ceux là même qui veulent en restreindre l’accès.
Bien sûr, ce n’est encore qu’un jugement en référé, et le jugement définitif sur le fond est encore à venir. Mais, dans le temps compté de l’exploitation d’un film, le mal est déjà fait : une œuvre qui bien sûr peut-être contestée, c’est même en cela qu’elle est justement une œuvre et non un produit de consommation, a été amputée d’une partie importante de son public. Comme, en d’autres temps, « Les Fleurs du Mal » ont été condamnées, coupables, avait dit un juge, de « pervertir la jeunesse », avant d’être, quelques décennies plus tard, enseignées dans les lycées.
La victoire politique de l’association PROMOUVOIR est donc totale. Et elle nous inquiète.
Bientôt, de plaintes en plaintes, de saisines en procédures, cette association parviendra à sanctionner, puis quasiment interdire, des œuvres moins osées que NYMPHOMANIAC, grignotant la liberté d’expression par petits bouts, punissant les films qui n’entrent pas dans le moule de son idéologie. On l’a vu récemment avec la tentative d’interdiction de la diffusion du film TOMBOY sur ARTE.
La SACD représente les auteurs. Elle défend à la fois leur droit moral et la nécessité impérative de la circulation des œuvres, qui sont notre bien commun et non celui d’une Association aussi puissante soit-elle.
C’est la raison pour laquelle elle interviendra autant qu’elle le pourra pour obtenir le respect des préconisations de la Commission de Contrôle des œuvres cinématographiques et de sa pratique paisible de la classification des films.
Il en va de la liberté d’expression et de la liberté des spectateurs d’avoir accès aux œuvres. »
Jacques Fansten
Président de la SACD.
Laurent Heynemann
Président de la commission cinéma de la SACD.