Noura rêve est un film très intéressant par l’histoire qu’il raconte mais imparfait. C’est un premier long métrage d’une nouvelle voix dans le cinéma tunisien.
Le thème du film est la version arabe d’un film iranien (2015) appelé Nahid qui raconte l’histoire d’une femme divorcée déjà (ce n’est pas le cas de Noura qui n’est pas encore divorcée)et amoureuse d’un autre homme, réalisé paresseusement par Ida Panahandeh. Nahid se poursuit dans une série de clichés dans une atmosphère oppressante sans trop de profondeur ni d’humour et où on arrive jamais à cerner le personnage qui ment tout le temps. L’oppression des femmes au Proche et Moyen Orient est telle que tout film traitant de ce sujet est souvent apprécié sans trop de critiques en Occident. En d’autres termes, le thème prime. Toutefois, ce n’est pas le thème qui est en cause dans ces deux films mais leur exécution, bien que le personnage et la réalisation dans Noura rêve soient mieux structurés.
En effet, Noura rêve nous fait vivre quelques moments de profondeur notamment chez le personnage principale Noura, incarné par la comédienne tunisienne Hind Sabri. Cette dernière est souvent bousculée par des forces patriarcales qui échappent à son contrôle, car, presque tout est structuré autour du pouvoir centré sur les hommes. La fin (pas claire) mais laisse le spectateur imaginer, que Noura a enfin obtenu son divorce. Une victoire de l’héroïne malgré certaines scènes douloureuses et sombres.
En Tunisie, l’adultère est un crime et la personne est condamnée à une peine de prison de cinq ans. Le divorce est également empoisonné par la protection du concept de l’honneur des femmes. Les enjeux dans cette société sont de taille pour ceux qui osent défier les normes sociales – bien que la situation de la femme tunisienne et au Liban soit bien meilleure que le reste du monde arabe -.
Noura rêve commence dans un environnement ouvrier inhabituel dans le cinéma tunisien. À première vue, cela ressemble plus à une histoire de lutte de classe tirée de certains films de Mike Leigh et surtout de films de Ken Loach. Mais au fur et à mesure que le film avance, le thème ressemble plus à l’histoire d’un couple amoureux « illégal » car, non reconnu par une société conservatrice.
Dans son documentaire de 2012 intitulé C’était mieux demain, la réalisatrice Hind Boujemaa a enquêté sur les difficultés rencontrées par une mère célibataire à la suite du Printemps arabe. Elle revient ici sur le droit d’une femme mariée à la liberté et au choix dans des circonstances très difficiles, car le personnage de Noura n’est pas satisfait de son mariage et est amoureux d’un autre homme.
Le public sera donc témoin du dilemme d’une femme qui se bat pour son bonheur sans vraiment savoir ce qu’elle a en tête pour l’avenir de ses trois enfants avec son amant. Cette approche offre une perspective morale complexe et compliquée dans une histoire amoureuse difficile à vivre dans une société traditionnelle.
Pourtant, Noura rêve n’est pas vraiment une histoire très romantique, ni d’ailleurs une histoire sur la condition des ouvriers. Hind Boujemaa décrit ici une mère qui travaille des heures supplémentaires dans une buanderie de l’hôpital pour garder un toit sur la tête, tandis que son mari, Jamel (Lotfi Abdelli), est en prison. Hind Sabri joue parfois dans ce film avec vitalité et intensité, montrant pourquoi elle est l’une des stars les plus admirées du cinéma arabe. Elle parvient de temps en temps à nous communiquer la complexité de son personnage, l’ambiguïté de ses sentiments et la contradiction de sa situation. Elle a été cette année (2019) à Venise la première actrice arabe à recevoir le Starlight International Cinema Award pour ses rôles dans des films comme L’Immeuble Yacoubian et Asmaa.
Dans une scène, Noura confronte une femme (probablement une avocate) dans un bureau pour un divorce. Au début, elle essaie de culpabiliser Noura d’avoir déstabilisé ses enfants, car, pendant que son mari Jamel était en prison, elle est tombée amoureuse du beau séduisant mécanicien de garage Lassaad (Hakim Boumasoudi) et ils ont décidé de se marier. « L’avocate » lui rappelle que cette histoire d’adultère ne peut s’exprimer publiquement sans risquer 5 ans d’emprisonnement. Nous ne saurons pas qui est vraiment cette personne au bureau surtout quand elle confirme à la fin de l’entretien avec Noura que cette dernière ne bénéficiera plus d’une aide au logement, alors que Noura est venue la consulter pour son divorce.
On apprend également pendant cet entretien que dans quatre jours, le divorce de Noura sera définitif et elle pourra vivre avec Lassaad. Selon la loi tunisienne : Le divorce pour préjudice subi ou le divorce demandé par l’un de deux époux (divorce caprice) interviennent après l’échec des tentatives de conciliation des époux par le juge. Or, dans ce film le mari n’est pas au courant de la démarche de Noura de divorcer et on se demande comment elle pourra imaginer obtenir le divorce dans quatre jours sans les tentatives de conciliation du juge selon la loi tunisienne ? Soudain son mari Sofiane est libéré de prison sans préavis et rentre chez lui. Lassaad, son amant est fou de jalousie et Noura n’arrive pas à dire à son mari qu’elle est en train de divorcer. Lorsque Jamel découvre sa relation avec Lassaad, le côté violent de son personnage émerge et l’enfer cruel se déchaîne sur Noura et Lassaad.
Jamel, Noura et Lassaad sont forcés de s’affronter au commissariat de la police, d’abord devant un policier ferme où personne ne peut dire la vérité sur leurs relations enchevêtrées, et la tension monte, puis devant le corrompu policier Hamadi (Jamel Sassi) avec qui le mari partage habituellement ses gains avec ce qu’il a volé. Pourtant, Jamel n’est pas présenté comme étant tout à fait mauvais (il montre de l’affection pour ses enfants et semble aimer Noura. Lassaad n’accepte pas non plus toute indignité qui se présente à lui (le mari de Noura le viole pour se venger). Lassaad est décrit ici aussi comme un être humain imparfait et violent. Le mari et l’amant diffèrent peu in fine. Ainsi le choix amoureux de Noura ne nous implique pas et nous interroge. On a du mal à ressentir le déchirement d’une femme entre deux hommes et deux choix presque similaires.
Heureusement la Tunisie dans ce film n’est pas montrée comme dans une carte postale. Le paysage est trempé dans le diesel, la poussière et le bruit de la circulation de l’environnement urbain. Ce genre de traitement filmique décidé par la réalisatrice confère une véritable atmosphère étouffante et oppressante très intéressante. Mais le film souffre de peu de respiration et de moments calmes où on peut souffler. Traditionnellement, le gros plan ou le très gros plan est utilisé dans les films pour permettre au spectateur de pénétrer dans l’espace intime du personnage, révélant certaines caractéristiques et émotions qui autrement passeraient inaperçues de loin. La vue anormalement rapprochée intensifie les sentiments qui nous permettent de ressentir de la sympathie pour le personnage en question et d’établir un lien avec lui. De cette façon, le gros plan souligne l’importance dramatique de la scène et la distingue par rapport au film dans son ensemble. En utilisant trop souvent dans Noura rêve des gros plans, le public perd parfois le contact avec le décor ou avec ce qui se passe autour d’eux.
Bien que Boujemaa présente certaines luttes internes de Noura, le film manque d’une touche mélodramatique pour nous faire ressentir l’angoisse de Noura qui nous rapprochera d’avantage du personnage. Par exemple, la scène où il y a eu un échange entre ce mari voyou et impitoyable et sa femme qui a eu une liaison avec un autre homme, est une scène qui aurait pu être plus étouffante pour ressentir la peur de cette femme. Hind Sabri donna de meilleures performances mais Hind Boujemaa ne put obtenir de meilleure interprétation d’elle. De plus, certaines scènes répétitives pas assez vigoureuses où la réalisatrice ne met pas en évidence l’histoire, nous empêchent de s’engager émotionnellement envers le personnage principal qui n’évolue presque pas. Toutefois, le scénario nous offre quelques scènes inédites, moins conventionnelles et plus intrigantes. La force du film réside aussi dans le fait qu’il n’est pas trop manichéen, ni ses personnages d’ailleurs. On peut se demander aussi pourquoi la réalisatrice a choisi d’utiliser peu la bande-son pour refléter les dures réalités de Noura. Mais pourquoi pas ? Un film à voir malgré certaines maladresses et incohérences du scénario.
Norma Marcos
Noura rêve un film de Hinde Boujemaa avec Hind Sabri, Lotfi Abdelli, Hakim Boumasaoudi, Belhassen Harbaoui, Ikbal Harbaoui, Jamel Sassi… Scénario : Hinde Boujemaa & Laurent Brandenbourger. Directeur de la photographie : Martin Rit. Chef décorateur : Rauf Helioui. Costumier : Salah Barka. Montage : Nicolas Rumpl.Producteurs : Imed Marzouk, Samuel Tilman, Tatjana Kozar, Marie Besson & Francois d’Artemare. Production : Propaganda Productions (Tunisie), Eklektik Productions (Belgique), Films de l’Après-Midi (France). Ventes Internationales : Wild Bunch. Distribution (France) : Paname Distribution (Sortie le 13 novembre 2019) Tunisie – Belgique – France. 2019. 92 minutes. Couleur. Format image : 1,85 :1. DCP. Son : 5.1. Tous Publics. Tanit d’Or et Prix de la meilleure interprétation Féminine – Journées Cinématographiques de Carthage 2019 (Tunisie), Mention Spéciale Prix d’Interprétation féminine – Festival de Saint Jean de Luz, 2019. Sélection officielle Cinemed Montpellier, 2019. San Sebastian, New Directors, 2019.