Remarqué avec R en 2010, son premier long métrage de fiction traitant de l’univers carcéral (encore inédit sur les écrans en France), le cinéaste Danois Michael Noer, âgé de 34 ans, revient avec Northwest, un polar social brillant à mi-chemin entre la trilogie Pusher de son compatriote Nicolas Winding Refn (Drive, Only God Forgives,…) et le cinéma naturaliste de Ken Loach.
Nordvest est l’un des quartiers multiethniques les plus pauvres de Copenhague. Casper, jeune homme de 18 ans, y vit avec sa mère, son petit frère et sa petite sœur. Il s’acharne à joindre les deux bouts en vendant des biens volés à l’un des chefs de gangs du quartier. Quand le crime organisé arrive à Nordvest, la hiérarchie au sein du quartier change et Casper y voit une chance de monter en grade. Bientôt, il est projeté dans un monde de drogues, de violence et de prostitution entraînant son frère dans son sillage. Alors que les choses s’aggravent, l’aire de jeu de leur enfance devient un champ de bataille.
Né en 78, Michael Noer est diplômé de l’Ecole Nationale du Film du Danemark en 2003 et fait ses armes en réalisant des documentaires, Vesterbro en 2007 et Wild Hearts en 2008, qui, déjà, traitent de la jeunesse de son pays. En 2010, il co-écrit et co-réalise R, son premier long métrage de fiction, avec Tobias Lindholm dont on vient de découvrir cet été en France l’époustouflant Hijacking.
Après s’être construit une excellente réputation au sein des nombreux festivals de cinéma auxquels il a participé et remporté plusieurs récompenses, Northwest ne déçoit pas et est à la hauteur de celle-ci. Sélectionné au Festival International du Film de Göteborg, au Festival International du Film de Rotterdam, à L’Étrange Festival ou encore au Festival International du Film Policier de Beaune où il a obtenu le Prix du Jury ainsi que le Prix de la Critique.
Northwest (le film) investit Northwest (le quartier) comme un microcosme de notre société avec ses codes et ses lois qui lui sont propres. Il montre un autre Danemark que celui qui apparaît régulièrement comme le pays sûr et tranquille dans lequel il fait bon vivre. Ce n’est pas tant le milieu criminel en lui-même qui intéresse le cinéaste mais plutôt la « fraternité », les mécanismes et les codes qui se développent entre les individus ou encore, la description de leur environnement. Il cherche à comprendre les raisons qui font que la situation dégénère. Que se passe-t-il réellement dans la rue ? Comment y trouver sa place ? Comment y survivre ? Comment de « simple » voleur, de délinquant, bascule-t-on meurtrier ?…
Le film et son titre (qui indique une direction) résonnent avec une jeunesse en manque de repères. Une jeunesse fascinée par les caïds et attirée par l’argent facile. Ici, « Northwest » n’est pas qu’un simple quartier, c’est un lieu universel. Un phénomène qu’on retrouve dans toutes les grandes villes, de Copenhague à Berlin, de Stockholm à Paris, Amsterdam ou Londres.
Influencé par sa formation de documentariste, Michael Noer s’intéresse au réel qui reste ici la base de son récit de fiction. Il utilise le film de genre, le film noir et le confronte à la réalité sociale contemporaine en prenant bien soin d’éviter les caricatures. Sans manichéisme, il décrit avec minutie et intelligence, le quotidien des jeunes luttant à la recherche d’une place dans la cité et la société. Il dissèque chaque acte et décision des personnages ainsi que les conséquences désastreuses qu’ils engendrent dans ce milieu où le crime devient la norme. Une simple étincelle suffit à mettre le feu à tout un univers et à incendier tout un quartier au sens propre comme au sens figuré. Avec sa réalisation brillante et son scénario captivant qu’il a co-écrit avec Rasmus Heisterberg (Millénium), Noer plonge le spectateur dans un quotidien au climat oppressant et réussit parfaitement à orchestrer la montée en puissance de la tension avec efficacité; comme s’il nous gardait la tête sous l’eau tout au long du film.
La crédibilité et donc la force de ce film qui raconte une descente aux enfers repose également énormément sur le choix et la direction des acteurs. Non professionnels pour beaucoup, à commencer par les acteurs des rôles principaux, frères dans la vie et vivants vraiment à « Nordvest », tous les comédiens sont justes et d’une rare intensité. Ils ne « jouent » pas à être des frères, ils le sont. On ne peut pas en douter. Même si les personnages sont fictionnels et représentent chacun un ensemble de plusieurs destins, souvenirs, rencontres et observations du metteur en scène, les acteurs offrent à ce film d’une rare maîtrise, la possibilité de dépasser le réalisme pour transpirer l’authenticité.
Toujours présente dans le film, la violence n’est jamais montrée de manière frontale ni explicite. Elle n’est pas complaisante. Le film agresse par son réalisme et par son sujet. L’intelligence de la mise en scène démultiplie l’angoisse et le malaise chez le spectateur. L’alchimie provoquée par le fond et la forme du film est stupéfiante. C’est sa sincérité qui choc !
Avec Northwest, film sec et réaliste par sa forme et implacable dans sa construction scénaristique, Michael Noer observe et décortique les rouages de l’engrenage d’une criminalité dans laquelle basculent de nombreux jeunes en manque de repères aujourd’hui.
Peinture sociale chirurgicale, ce drame déguisé en polar restera important dans l’histoire du cinéma indépendant danois car il contribue à l’émergence d’un genre jusqu’ici quasi inexistant au Danemark, le film de gangster, le film noir, le polar. C’est probablement l’escalade de la violence dans les villes danoises qui a récemment frappé les esprits des nouveaux cinéastes et les a sortis d’une certaine léthargie. La conclusion brutale du film évite les écueils d’un message ou d’une fin morale pesante et reste à l’image même de la forme du film : le reflet de la vie.
Comme le dit si bien Michael Noer lui-même : » Northwest est un drame de gangsters, écrit au rythme des battements du cœur de la rue ». Ce film et sont auteur sont les témoins de la vitalité du cinéma nordique contemporain. Avec eux, le champ reste ouvert !
Steve Le Nedelec
Northwest un film de Michael Noer avec Gustav Dyekjær Giese, Oscar Dyekjær Giese, Roland Møller, Lene Maria Christensen, Nicholas Westwood, Dulfi Al-Jabouri. Scénario : Michael Noer, Rasmus Heisterberg. Photo : Magnus Nordenhof Jønck. Montage : Adam Nielsen. Producteurs : Thomas Radoor & René Ezra. Production : Nordisk Film Production A/S. Distribution (France) : BAC Films. Danemark. 2012. 91 mn. Interdit aux moins de 12 ans.