Paris 1952, Niki s’est installée en France avec son mari et sa fille loin d’une Amérique et d’une famille étouffantes. Mais malgré la distance, Niki se voit régulièrement ébranlée par des réminiscences de son enfance qui envahissent ses pensées. Depuis l’enfer qu’elle va découvrir, Niki trouvera dans l’art une arme pour se libérer.
Actrice aux multiples talents, Céline Sallette a commencé sa carrière en 2004 avec Les Amants Réguliers de Philippe Garrel. Elle obtient ensuite un petit rôle dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola. Elle enchaînera les apparitions (La Chambre des morts, 2007 d’Alfred Lot ; Le Grand Alibi (2007) de Pascal Bonitzer ; La Grande vie (2009) d’Emmanuel Salinger ; Au-delà (2010) de Clint Eastwood ; Avant l’aube (2010) de Raphaël Jacoulot…) avant d’être remarquée pour son rôle de Clothilde dans L’Apollonide (2011) Bertrand Bonello qui lui vaudra une nomination aux César ainsi que le Prix Romy Schneider. La même année la comédienne incarnera l’un des personnages principaux dans Un été brûlant de Philippe Garrel.
Depuis 2012, Céline Sallette est plus que jamais présente sur les écrans. On la verra notamment à l’affiche de Dans la tourmente (2011) de Christophe Ruggia, Ici-bas (2011) de Jean-Pierre Denis, De rouille et d’os (2012) de Jacques Audiard, Le Capital (2012) de Costa-Gavras, Mon âme par toi guérie (2013) de François Dupeyron, Un Château en Italie (2013) de Valeria Bruni Tedeschi, Un voyage (2014) de Samuel Benchetrit, Vie sauvage (2014) de Cédric Kahn, La French (2014) et HHhH (2017) réalisés par Cédric Jimenez, Geronimo (2014) de Tony Gatlif, Les Rois du monde (2015) de Laurent Laffargue, Cessez-le-feu (2016) d’Emmanuel Courcol, Saint Amour (2016) de Benoît Delépine et Gustave Kervern, Corporate (2017) de Nicolas Silhol, Nos Années Folles (2017) d’André Téchiné, Un Peuple et son roi (2018) de Pierre Schoeller, Mais vous êtes fous (2019) d’Audrey Diwan, Rouge (2021) de Farid Bentoumi ou encore Les Algues vertes (2023) de Pierre Jolivet.
Après un premier court métrage, L’Arche des Canopées, réalisé en 2021, Niki est le premier long métrage réalisé par Céline Sallette. Cette dernière signe également le scénario du film qu’elle a co-écrit avec Samuel Doux à qui l’on doit, entre autres, les scénarios de La Prière (2018), Fête de Famille (2019) et Making Of (2023) réalisés par Cédric Kahn. Membre du collectif féministe 50/50, qui lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le milieu du cinéma, c’était presque une évidence que la réalisatrice engagée s’intéresse à cette figure, icône du féminisme, qu’est Niki de Saint Phalle (1930-2002). Célèbre pour ses immenses Nanas colorées aux formes opulentes, heureuses et libérées, mais aussi pour ses audacieux tableaux Tirs, le Jardin des Tarots constitué de sculptures monumentales situé en Toscane, ou encore ses diverses performances, à la fois peintre, graveuse, sculptrice et réalisatrice, Niki de Saint Phalle est une artiste talentueuse qui a su, à travers son art et sa puissante force de caractère, sa personnalité, s’imposer dans un milieu d’homme et affirmer la liberté des femmes.
« J’ai commencé à peindre chez les fous… J’y ai découvert l’univers sombre de la folie et sa guérison, j’y ai appris à traduire en peinture mes sentiments, les peurs, la violence, l’espoir et la joie. » Niki de Saint Phalle.
Née d’une mère américaine et d’un père français, Niki de Saint Phalle est issue d’une famille d’aristocrate de Neuilly ruinés par la guerre. Après avoir été confiée durant trois ans à ses grands-parents dans la Nièvre, Niki va ensuite grandir à New York où elle sera mannequin pour Vogue, Life et Elle. A 18 ans, elle épouse le poète Harry Mathews, un ami d’enfance, avec qui elle revient s’installer en France. Mais la jeune femme est hantée par le lourd secret du viol par son père à l’âge de onze ans, un traumatisme qu’elle ne révèlera qu’en 1994 à 64 ans. En 1953, victime d’une grave dépression, diagnostiquée schizophrène, Niki de Saint Phalle est internée en hôpital psychiatrique où elle subira des électrochocs qui altéreront sa mémoire.
« J’ai eu la chance de rencontrer l’art parce que j’avais, sur le plan psychique, tout ce qu’il faut pour devenir terroriste. Au lieu de cela, j’ai utilisé le fusil pour la bonne cause, celle de l’art. » Niki de Saint Phalle.
C’est dans l’art que Niki de Saint Phalle trouvera alors le moyen de se libérer de ses douloureux tourments intérieurs venus du passé. C’est par l’art qu’elle va transcender son trauma. L’art sera sa véritable thérapie, son exutoire. En 1955, elle voyage en Espagne avec son mari et découvre les jardins d’Antoni Gaudi qui resteront une inspiration majeure pour elle. C’est au musée d’Art moderne à Paris que Niki trouve son inspiration et qu’elle rencontre l’artiste Jean Tinguely qui deviendra son deuxième mari, avec qui elle formera un couple de légende. Sa carrière est lancée !
« Le film m’est apparu. La transformation de la jeune femme mannequin, pur produit de son époque, en artiste aux cheveux courts coupés au couteau qui tire avec une carabine pour créer un tableau. » Céline Sallette.
L’envie de réaliser son premier film sur l’artiste Niki de Saint Phalle est venue à Céline Sallette après avoir découvert une interview de cette dernière datant de 1965 sur l’Instagram de Juliette Binoche. Frappée par la puissance de la prise de parole de l’artiste en 1965, dont l’histoire et le douloureux passé viennent faire écho à notre société actuelle, Céline Sallette se passionne pour cette femme qui a l’âme d’une guerrière. La réalisatrice va instantanément faire le lien entre Niki de Saint Phalle et la comédienne Charlotte Le Bon, d’une part pour leur incroyable ressemblance physique, mais aussi pour leurs parcours familiers. De plus, il s’est trouvé que Grégory Weill, l’agent artistique de Céline Sallette, était aussi l’agent de Charlotte Le Bon et celui de Jalil Lespert qui co-produira le film aux côtés notamment de David Gauquié et Florence Gastaud ; le premier, déjà producteur entre autres d’Yves Saint-Laurent (2013) de Jalil Lespert et de Falcon Lake (2022) de Charlotte Le Bon, et la seconde, productrice entre autres de plusieurs films de Michel Hazanavicius (Le Redoutable, 2017 ; Coupez !, 2022 ; La Plus Précieuse Des Marchandises, 2024). Chacun des producteurs a soutenu et accompagné Céline Sallette en qui ils faisaient pleinement confiance pour ses choix artistiques.
« Alors que j’expose le dossier à mon agent et que nous prenons rendez-vous chez un producteur, Jalil Lespert l’appelle : il veut faire un film sur Niki de Saint Phalle avec Charlotte Le Bon ! Quand il apprend que j’ai la même idée, il propose qu’on se rencontre et l’histoire est lancée. » Céline Sallette.
Connue notamment pour ses rôles dans La Stratégie de la poussette (2012) de Clément Michel, La Marche (2013) de Nabil Ben Yadir, Le Grand Méchant Loup (2013) de Nicolas Charlet et Bruno Lavaine, Les Recettes du bonheur (2014) de Lasse Hallström, Yves Saint-Laurent (2013) et Iris (2016) réalisés par Jalil Lespert, Le Secret des banquises (2015) de Marie Madinier, Realive (2015) de Mateo Gil ou encore The Walk (2015) de Robert Zemeckis, comme Niki, Charlotte Le Bon est, elle aussi, une artiste. Plasticienne, Charlotte peint, sculpte et est aussi autrice et réalisatrice. A l’instar de Céline Sallette, Charlotte Le Bon a réalisé un court métrage, Judith Hôtel (2018), avant de passer au long avec Falcon Lake en 2022 qu’a déjà co-produit Jalil Lespert.
« J’aime que le film montre qu’une vie avec des traumas n’est pas linéaire. […] Niki ne s’est pas suicidée. Elle a fait l’inverse de se suicider : elle s’est fait naître. Toute sa vie, ses démons sont revenus, ont surgi de façons différentes. Ils se sont manifestés à travers la maladie, ou des pensées, des états dépressifs…Mais elle s’est armée pour apprendre à les combattre, à chaque fois qu’ils sont apparus. Il y a quelque chose de très universel dans l’idée de se chercher le plus authentiquement possible. De vouloir se trouver, sincèrement. Quelque part, c’est un film sur l’humanité. » Charlotte Le Bon.
Comme Niki, Charlotte Le Bon a également commencé sa carrière dans le mannequinat et possède la double nationalité. La fantaisie et la drôlerie sont aussi des caractéristiques communes aux deux femmes. Le fait que Charlotte Le Bon connaisse les gestes de fabrication et de création du personnage qu’elle devait interpréter était un atout pour le film. Céline Sallette avoue d’ailleurs s’être beaucoup servi des compétences de l’actrice lors du tournage du film : « C’est elle qui a fabriqué une toile comme Niki le faisait à ses débuts quand elle n’avait pas d’argent. Elle connaissait les gestes et les dosages pour fabriquer des couleurs avec du pigment, tout était simple. ». Impliquée, de l’écriture au montage en passant par la mise en scène, Charlotte Le Bon a accompagné la cinéaste tout le long du processus de création du film. Bouleversante, vibrante, intense et lumineuse, Charlotte Le Bon est impressionnante de justesse et de vérité dans son interprétation de Niki de Saint Phalle qu’elle incarne ici à la perfection.
Aux côtés de l’actrice, pour incarner les deux figures masculines du film en avance sur leur temps, le choix de Céline Sallette, accompagné de la directrice de casting Elodie Demey, s’est porté sur les comédiens Damien Bonnard et John Robinson pour ce qu’ils dégagent l’un et l’autre comme bonté d’âme. John Robinson, que l’on a pu voir entre autres à l’affiche de Elephant (2003) de Gus Van Sant, Transformers (2007) de Michael Bay, Wendy & Lucy (2009) de Kelly Reichardt ou Broadway Therapy (2015) de Peter Bogdanovich, incarne ici l’écrivain Harry Matthews.
Après de nombreux petits rôles chez Bertrand Blier (Le Bruit des glaçons, 2010) ou Rachid Bouchareb (Hors-la-loi, 2010), Damien Bonnard était la révélation de Rester Vertical (2016) d’Alain Guiraudie. Depuis, on l’a notamment vu à l’affiche d’En Liberté ! (2018) de Pierre Salvadori, Dunkerque (2017) de Christopher Nolan, Les Misérables (2019) de Ladj Ly, Blanche Comme Neige (2019) d’Anne Fontaine, J’accuse (2019) de Roman Polanski, Seules Les Bêtes (2019) de Dominik Moll, Les Intranquilles (2021) et Un silence (2023) réalisés par Joachim Lafosse, ou encore Pauvres Créatures (2023) de Yorgos Lanthimos. Une fois de plus, Damien Bonnard est parfait dans son interprétation de l’artiste sculpteur Jean Tinguely.
« Le film est le trajet de presque dix années (1952 – 1961) durant lequel Niki recouvre la mémoire de l’inceste qu’elle a subi, et se relève, se révèle par l’Art. Son parcours, ce qu’elle a accomplit comme transmutation, est pour moi sa plus grande œuvre. Une œuvre qu’elle devra renouveler toute sa vie. Mourir et renaître à elle-même. » Céline Sallette.
L’histoire que retrace Niki se concentre sur les débuts de l’artiste. L’action du film commence donc en 1952, juste avant que Niki de Saint Phalle n’ait eu le « déclic » de se lancer dans l’art. A travers Niki, Céline Sallette raconte comment une jeune mère de famille issue de l’aristocratie, Niki Matthews, va devenir une des artistes les plus puissantes du siècle, Niki de Saint Phalle. Le film retrace le parcours héroïque de cette femme abimée par la vie qui, en plus de ses propres démons, va passer ses jeunes années à se battre contre le patriarcat, les préjugés et les carcans de l’époque. Niki retrace le parcours héroïque de cette femme, libre avant son temps, qui va vaincre les enfers, survivre pour mieux revenir éclairer le monde et réaliser son rêve, renaître, s’émanciper des conventions sociales et réussir sa vie. Notons que dans la mythologie grecque, Niki (Niké) est la divinité de la victoire et du triomphe. Comme la métaphore et la magie sont au cœur de l’œuvre de Niki, la réalisatrice met en scène cette dimension mythologique en traitant, elle aussi, de manière métaphorique, les différents chapitres du film (l’incompréhension, la prise de conscience et le combat) qui nous montrent le chemin de l’héroïne, ses choix ou encore son exemplarité.
La première séquence du film commence par le mot « silence » et nous montre le visage de Niki divisé en deux par la lumière. Une partie d’elle, refoulée, est plongée dans l’obscurité. Cette séquence se termine par une question de Niki, la question du film : « Est-ce que je suis libérée ? ». Comment devient-on soi ? Peut-on devenir soi ?
Parmi les belles idées de mise en scène de la cinéaste, notons également l’utilisation du split screen qui vient parfaitement signifier la dimension mythologique du parcours de l’artiste.
N’ayant pas eu les droits pour utiliser les œuvres de l’artiste dans le film, la narration et le point de vue singulier de la cinéaste se concentrent donc plus sur l’artiste, sa métamorphose et sa relation cathartique à la création. Le film invite donc ainsi le spectateur à prolonger son expérience cinématographique au-delà de la séance en allant découvrir par lui-même l’œuvre de l’artiste.
« Ce qui m’a le plus touché, c’est de voir à quel point un film est le résultat d’une intelligence collective. Toutes les personnes engagées dans la fabrication du film étaient passionnées et créatives. J’ai personnellement été portée par la très belle confiance que m’accordaient mes producteurs et mes partenaires au plateau. Le film se trouve toujours dans cet espace entre le fantasme et la matière. C’était beau de le voir prendre vie. » Céline Sallette.
Véritable bain artistique, l’enjeu esthétique du film était un défi primordial. Les décors sont réalisés par la cheffe décoratrice Rozenn Le Gloahec (Je ne suis pas un salaud, 2015, d’Emmanuel Finkiel ; Une fille facile, 2019, de Rebecca Zlotowski…) et ont été conçus dans l’optique de souligner l’évolution du personnage de Niki de manière allégorique (les cages, les oiseaux…). Très importants eux aussi, les costumes ont été créés par Marion Moules et Matthieu Camblor (Les Crevettes pailletées, 2019, de Cédric Le Gallo et Maxime Govare…). Comme les décors, de l’austérité et la rigueur du début des années 50 aux couleurs et extravagances de la décennie suivante, les costumes dessinent la trajectoire du personnage comme ils rendent compte de sa progression.
Autre clef de la matérialisation de l’art dans le film, composée par Para One, puissante et poétique, avec ses envolées ou encore ses cuivres murmurants, la musique illumine le film autant qu’elle participe admirablement à son discours. De concert avec les décors et les costumes, accompagnée du travail effectué par l’ingénieur du son Jean-Pierre Duret qui a entre autres travaillé avec Andrzej Zulawski, Maurice Pialat, Agnès Varda, Jacques Audiard, Eric Rochant, Nicole Garcia, Claude Chabrol ou encore Alain Resnais, Agnès Jaoui, Bertrand Bonello, François Ozon et les frères Dardenne, la musique du film parvient à nous faire entendre l’évolution des émotions et la métamorphose de Niki.
A la fois crue et colorée, l’image du film est signée Victor Seguin, le chef opérateur à qui l’on doit notamment la photographie de Revenir (2019) de Jessica Palud ou A plein temps (2021) d’Eric Gravel, et dont le travail sur Gagarine (2021) de Jérémy Trouilh et Fanny Liatard, avait retenu l’attention de Céline Sallette qui lui a proposé de faire partie de l’aventure de Niki. Pour que le tournage sur le plateau soit le plus léger possible malgré la reconstitution de l’époque, mais aussi plus dynamique, libre et rapide, la réalisatrice a convaincu Victor Seguin de lancer le projet sans grosse machinerie ni projecteurs mais uniquement avec un pied et une caméra. Les couleurs utilisées apportent une texture particulière au film et viennent également retranscrire les états psychologiques de l’héroïne. Le gris vient traduire aussi bien l’amnésie, l’asservissement ou l’enfermement de Niki, alors que les couleurs éclatantes, quant à elles, traduisent son retour à la conscience, sa révolte et sa libération. Au diapason des décors, des costumes et de la musique, l’image vient ainsi, elle aussi, témoigner des souvenirs et du trauma comme de la transformation ou encore de la richesse du monde de Niki.
Pour sa première réalisation, comme une évidence, Céline Sallette a su magnifiquement marier les différents postes techniques et artistiques, afin que tous se répondent, servent le propos, et apportent ensemble une indubitable poésie au film. Inventif et élégant, Niki est une œuvre poétique à la fois touchante, ambitieuse et généreuse dans le geste. Niki est une œuvre poétique qui évite les clichés et tout misérabilisme pour nous offrir un portrait de femme lumineux et subversif. A l’image de l’éclosion fragile et délicate du papillon, Niki est un film passionnant.
Pour sa première mondiale, Niki a été présenté dans la section Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes.
Steve Le Nedelec
Niki un film de Céline Sallette avec Charlotte Le Bon, John Robinson, Damien Bonnard, Judith Chemla, Alain Fromager, Virgile Bramly, Grégoire Monsaingeon, Nora Arnezeder… Scénario : Céline Sallette et Samuel Doux. Image : Victor Seguin. Décors : Rozenn Le Gloahec. Costumes : Marion Moulès et Matthieu Camblor. Producteurs : Jean-Luc Ormières, Alexandre Mattiassi, David Ganquié et Julien Denis. Production : CinéFrance Studios – Wild Bunch – France 2 Cinéma – Onze Cinq – Panache Productions – La Compagnie Cinématographique – Proximus – Voo – Be Tv – Hologram avec le soutien de Canal + et la participation de Ciné + et de France Télévisions. Distribution : Wild Bunch Distribution (Sortie le 09 octobre 2024). France, 2024, 1h38. Couleur. Format image : 1.50. Son: 5.1. Sélection Un Certain Regard – Festival de Cannes, 2024.