Un couple vient de s’installer dans une grande et belle demeure perdue au milieu de nulle part et voit sa relation remise en question par l’arrivée d’invités imprévus (des intrus), un couple de plus en plus envahissant qui va perturber leur tranquillité et l’équilibre même du couple.
Après l’expérimental Pi (1998), le percutant Requiem For A Dream (2000), le pharaonique et fragile The Fountain (2006), le colossal et authentique The Wrestler (2008), le psychologique Black Swan (2010) et enfin le blockbuster peu concluant Noé (Noah, 2014), avec Mother !, son septième long métrage, Darren Aronofsky revient à un cinéma plus personnel qui témoigne une fois encore de sa maîtrise de la mise en scène et dans lequel il n’hésite pas à convoquer différents genres qui vont du drame à l’horreur en passant par le thriller ou encore le fantastique.
Darren Aronofsky a eu l’idée de ce « thriller fantastico-horrifique intimiste » au cours de cinq jours qu’il a passés seul dans une maison isolée devant son ordinateur. Ce sont ses angoisses concernant le monde d’aujourd’hui et sa vision profondément sombre de la société actuelle qui lui ont donné l’idée de Mother !. En effet, le film s’inspire et dénonce avec violence les informations dont nous sommes à chaque instant les cibles mais aussi l’aveuglement des masses cupides, avides et stupides, qui cherchent ses nouveaux prophètes. Les catastrophes qui surviennent dans Mother ! sont allégoriques et viennent dénoncer une société que le réalisateur ne comprend plus.
« Nous vivons une époque délirante. Alors que nous serons bientôt huit milliards d’êtres humains sur Terre, nous devons affronter des difficultés dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur : les écosystèmes s’effondrent et les espèces disparaissent à un rythme inédit ; la crise des migrants bouleverse les États ; le gouvernement américain, visiblement schizophrène, ratifie un accord historique sur le changement climatique, puis fait volte-face quelques mois plus tard ; des conflits tribaux ancestraux et des croyances anciennes nourrissent toujours la guerre et les haines (…). » déclare le cinéaste.
Mais Mother !, huis-clos inclassable, reprend également les thèmes chers au cinéaste comme l’enfermement, la création artistique, les névroses avec ses obsessions, la paranoïa et le glissement vers la folie, mais aussi, la frustration sexuelle, le mysticisme, la famille ou encore la religion, montrée ici comme « cannibale », et bien évidemment, la place de la « mère » étant toujours présente et importante dans l’œuvre d’Aronofsky, la maternité.
Pour l’interprétation des personnages, Aronofsky nous offre un casting de choix à commencer par les comédiens Javier Bardem et Jennifer Lawrence qui campent les personnages principaux. Lui est un grand écrivain en panne d’inspiration qui tente d’écrire son prochain livre et elle, son épouse de 20 ans sa cadette, effacée face à son mari, s’applique à restaurer la maison par amour afin d’en faire un nid douillet, un havre de paix, un paradis. Mais, chacun doit composer avec ses propres névroses et celles de l’autre.
Lui est obsédé par l’écriture, son œuvre et son succès. Son personnage n’est pas sans rappeler entre autres les héros de romans de Stephen King (Shining et Misery respectivement adaptés à l’écran par Stanley Kubrick en 1980 et Rob Reiner en 1990) qui témoignent non seulement des répercutions de la création sur la psychologie de l’auteur et des lecteurs mais également de la destinée des œuvres elles-mêmes une fois celles-ci achevées. Ici, on pense que le mari aime les autres (son prochain) mais très vite, à la vue de ses réactions paradoxales face aux événements, on comprend qu’en fait, il aime et a besoin qu’on l’aime. Il jouit d’être déifié. Javier Bardem incarne parfaitement l’égoïsme et le narcissisme du créateur qui n’hésite pas à tout détruire autour de lui à commencer par les personnes qui l’entourent. En cela, Mother ! est aussi une parabole sur les affres de la création artistique mais aussi sur la mort de l’Art, tué par le commerce (voir le personnage de l’éditrice tueuse interprété par Kristen Wiig).
Son épouse, quant à elle, est obsédée par leur foyer (la maison), le bonheur de son époux et son envie d’enfant…
La sérénité et l’équilibre du couple vont vaciller à l’arrivée d’étranges et mystérieux inconnus aussi opportunistes qu’inquiétants, un couple de plus en plus intrusif et indélicat magnifiquement interprété par les immenses Ed Harris et Michelle Pfeiffer, que l’épouse voit arriver d’un mauvais œil. Ces étrangers seront le révélateur de ce qui oppose le couple amoureux et déclencheront sa perte, son inéluctable destruction, dans un déluge de violence.
« On dit qu’avant l’humanité, il y avait un paradis où tout était beau mais que Dieu n’était pas vraiment satisfait. Et il a décidé d’apporter quelque chose qui dérange, un peu comme s’il avait joué aux dés pour voir ce qui allait se passer. C’est la base de mon film. On peut dire que je me suis à la fois inspiré de la Genèse, et du livre de la Révélation. » Darren Aronofsky.
Aronofsky fait autant symboliquement référence à la Bible qu’il emprunte à l’œuvre de Polanski. En effet, comme Black Swan, la première partie de Mother ! fait ouvertement référence à Répulsion (1965) de Roman Polanski. Le film oscille entre « rêve » (fantasme) et réalité créant ainsi un climat ambiguë pour le spectateur. Tout est filmé du point de vue du personnage féminin qui va se retrouver submergé par sa phobie des intrus ; son univers se dérègle et se fissure. En accord avec son (ses) sujet(s) et ses personnages, le réalisateur montre habilement au spectateur le lent processus d’asphyxie mentale et physique de son personnage. On remarquera au passage son intérêt marqué pour l’organicité des surfaces (la peau, les murs ou encore les sols) qui rappelle évidemment le cinéma de David Cronenberg. L’intrusion de son espace intime provoque chez l’héroïne des visions étranges et angoissantes qui marquent pour elle le début d’une véritable descente aux enfers qui se confirme dans la deuxième partie du film qui met en scène sa grossesse en faisant référence cette fois à Rosemary’s Baby (1968) toujours de Polanski. Lors de sa maternité, ses hallucinations deviennent de plus en plus délirantes et celles-ci ne font qu’accélérer la chute du couple. Les visions cauchemardesques s’enchainent alors dans un rythme effréné.
Présentée comme un modèle de pureté, la figure de la mère est ici malmenée et sacrifiée. Subissant les affres du désespoir, ignoré de tous, le personnage interprété par Jennifer Lawrence perd sa raison d’être (son foyer et son enfant) et sera successivement effrayé, lynché, brûlé et éviscéré.
Pour sa représentation de la venue du messie qui traduit son appréhension personnelle et alarmante du destin de l’humanité, Aronofsky invite tout le chaos du monde ainsi que ses propres angoisses existentielles dans la demeure qui symbolise alors en quelque sorte l’espace mental de l’artiste. En effet, avec l’envahissement de la demeure qui devient le théâtre post-apocalyptique de tous les maux de la société contemporaine (c’est toute l’histoire de l’humanité qui envahit la maison tel un fléau : délinquance, misère, guerre, réfugiés, fanatisme, ultra violence…), on assiste à un tel chaos que l’on se croirait propulsé au beau milieu d’un épisode de The Twilight Zone (La Quatrième Dimension). L’hystérie collective est traitée avec une esthétique à la fois gothique et psychédélique qui pousse le spectateur à se demander s’il n’est pas en train d’halluciner lui aussi. Dans cette deuxième partie, le film bascule radicalement vers le fantastique et même l’horreur. L’ambiance est tendue et le cinéaste n’a pas son pareil pour distiller un sentiment de malaise qui va provoquer l’angoisse chez le spectateur.
Véritable expérience cinématographique radicale et démentielle, Mother ! divise. On adore ou on déteste. Ses innombrables (trop ?) champs de réflexion et grilles de lecture, les multiples interprétations (trop ?) possibles tant psychologiques que religieuses, politiques, philosophiques ou encore environnementales, et enfin, sa violence exacerbée peuvent paraître excessifs et perdre le spectateur. Le problème de lisibilité du film, ajouté à une « logique » narrative ne permettant pas de résoudre une intrigue (il n’y a aucune explication rationnelle), créent un sentiment de confusion chez le spectateur qui peut l’amener jusqu’au rejet total du film.
Troublant et dérangeant, Mother ! est un film on ne peut plus singulier. C’est à la fois le portrait d’une femme ou plutôt d’une « mère » qui s’avère être une allégorie onirique radicale et déstabilisante sur le couple (le film est construit comme une spirale infernale), une relecture de la Bible, un constat sur la nature folle et destructrice de l’humanité, mais aussi, une réflexion sur la création et la condition d’artiste, la propre condition du cinéaste lui-même.
Steve Le Nedelec
Mother ! un film de Darren Aronofsky avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Ed Harris, Michelle Pfeiffer, Brian Gleeson, Domhnall Gleeson, Jovan Adepo, Amanda Chiu, Patricia Summersett, Emily Hampshire, Eric Davis, Stephanie Ng Wan, Kristen Wiig… Scénario : Darren Aronofsky. Directeur de la photographie : Matthew Libatique. Directeur artistique : Philip Messina. Costume : Danny Glicker. Montage : Andrew Weisblum. Producteurs : Darren Aronofsky, Scott Franklin, Ari Handel. Production : Protozoa Pictures. Distribution (France) : Paramount Pictures France (Sortie le 13 septembre 2017). Etats-Unis. 2017. 121 minutes. Couleur. Pellicule négative Super 16 mm transfert 4k. Ratio image : 2.35 :1. Dolby Digital. Interdit aux moins de 12 ans.