Le portable vibre sur la table. Les regards se portent sur lui. La femme comprend que l’appel provient de la maîtresse de son mari. Ils se regardent. La tension monte. Le couple en vient aux mains sous les yeux de leur fils unique. Le calme revient provisoirement. La mère bouillonne de rage. La nuit, elle se saisit d’un couteau, entre dans la chambre et pendant le sommeil de son mari tente de lui couper le pénis. Elle échoue. Jeté dans le couloir, elle se rabat sur son fils. Elle entre dans sa chambre et lui tranche le sexe. Son mari arrive trop tard. Elle avale le pénis de son fils et quitte la maison, tandis que père et fils se précipitent à l’hôpital.
Amputé, l’adolescent est la risée de ses camarades de classe. Il se morfond de désir pour la pulpeuse vendeuse d’une petite épicerie, unique lieu qui échappe à l’aseptisation de la société. Jupe courte et belle poitrine, le corps de la vendeuse est l’enjeu d’une bande de jeunes délinquants. Le chef entraîne l’adolescent dans un viol collectif. L’ado mime l’acte sur la vendeuse sous les yeux des petites frappes. Il devient un homme « comme les autres ». Pourtant cette assimilation sera de courte durée, dans le commissariat son père baisse de force le pantalon de son fils. Couvert de honte, l’enfant frappe son père. En prison, son absence de sexe, fascine les autres hommes… De retour dans la société, l’adolescent revoit la petite vendeuse. Il lui « offre » son corps, mais c’est uniquement son propre désir. Elle lui plante un couteau dans l’omoplate, et la douleur exacerbe son désir jusqu’à la jouissance.
Moebius est un film sans paroles. L’action se situe soit juste avant, soit juste après le verbe, il ne reste alors à l’écran que les silences et la tension qui en émane. Tout le film est dans la tension, et les non dits se transforment en des cris de rage et de désespoirs. Les relations entre les personnages se développent par le regard. Kim Ki-duk interroge alors les corps et sa fonction dans la société. Le corps dans Moebius est le dernier lieu d’expression et de subversion dans un univers aseptisé. Mais c’est aussi un élément de domination, de force physique et sexuelle ; de force entre les hommes et sexuelle envers les femmes. Il est le lieu des désirs et des frustrations qui transgresse les classes sociales. L’adolescent est issu d’un milieu petit bourgeois et la petite vendeuse, une prolétaire, n’est rien d’autre pour lui, qu’un élément pour satisfaire sa libido naissante. L’adolescent est un simple double de son père.
Kim Ki-duk sous l’apparence d’une simple provocation, développe un film dont les thèmes sont bien plus complexes qu’une simple analyse superficielle. Pour un public occidental, le rapport à Freud semble évident, mais en est-il de même dans une société asiatique ? Là où le doute n’est pas de mise c’est dans les rapports de classes, de dominant/dominé. Reste la dimension mystique, le couteau est sous le buste creux d’une divinité bouddhiste dans l’appartement du couple et à la fin sur un trottoir, devant une boutique, dans la nuit de Séoul. Reste-t-il une lueur d’espoir dans un tel monde ? Peut-être…
Fernand Garcia
Moebius (Moebiuseu) film de Kim Ki-duk avec Jae-hyeon Jo, Eun-woo Lee, Young-ju Seo, Cho Jae-hyun. Scénario, photo, montage : Kim Ki-duk. Producteur : Kim Soon-Mo. Production : Kim Ki-duk Film. Corée du Sud. Couleurs. 1.85 :1. 2013. 98 mn. Sélection officielle, hors compétition, Mostra de Venise, 2013. Sélection officielle, hors compétition, XXe édition de l’Etrange Festival, 2014.